On a coutume de dire que les artistes sortent leurs albums sous la bannière de telle ou telle maison de disques, mais ce groupe-ci bat double pavillon : celui de Napalm Records et le fameux Jolly Roger cher à tous les passionnés de la piraterie. Les corsaires suédois Ye Banished Privateers ont sorti ce 11 avril leur nouvel et sixième album, ‘Til the Sea Shall Give Up her Dead. Magda « la Pie », chanteuse et joueuse de luth, est venue à notre rencontre pour tout nous dire des notes portées par les embruns du « pirate folk ».

Khimaira : Bonjour, Magda. Ou devrais-je dire Magpie — « la Pie » — car c’est ton surnom dans le groupe. Est-ce toi qui l’as choisi ?

Magda « Magpie » Andersson : C’est une trouvaille encore toute récente. Jusqu’à peu, mon nom de pirate, c’était Magda Malvina. Mais on a un peu travaillé le personnage, et c’est pourquoi j’ai choisi ce nom d’oiseau : les pies sont attirées par les choses qui brillent et elles donnent de la voix, elles en deviennent même parfois énervantes (rires) !

Je dois avouer que jusqu’ici, je ne connaissais Ye Banished Privateers que de nom, et je me suis rendu compte en préparant cet entretien que vous étiez 18 dans le groupe ! Un véritable équipage ! Êtes-vous toujours tous sur le pont, en concert comme en studio, ou bien est-ce que vous faites des quarts, comme sur un navire ?

Sur scène, on fait toujours en sorte d’être environ une dizaine. Rarement plus parce que la plupart d’entre nous ont des emplois au quotidien, ils ne peuvent pas être disponibles tout le temps pour venir se produire en concert. Certains ne viennent même jouer qu’une fois par an. Tout dépend des circonstances. Après, en studio ou lorsqu’on tourne un clip, on essaie de tous participer, autant que possible.

Le premier clip que j’ai visionné, c’était celui que vous avez tourné pour la chanson Raise Your Glass. Et j’ai été fortement impressionné par la qualité des costumes que vous portez. Ce ne sont pas des déguisements de Carnaval, tout a l’air très authentique…

En fait, le groupe a été créé par ‘Bellows’ et ‘Blackpowder Pete’. Ils se sont rencontrés en 2008 à une fête costumée sur le thème des pirates. Tous deux avaient mis le paquet, ils s’étaient déguisés avec des costumes d’excellente facture et, tout naturellement, chacun a remarqué l’autre. Ils se sont dit qu’ils pourraient lancer un groupe de musique pirate, sur le ton de la plaisanterie mais c’est de là que tout est parti !

Et les autres membres sont arrivés motivés par le goût de la musique ou par celui du déguisement ?

Par le goût de la musique bien sûr, même si, c’est très juste, l’aspect visuel est aussi très important. Le groupe existe par notre volonté de nous exprimer de toutes les façons possibles, et les costumes, de ce point de vue, n’ont rien de secondaire. J’aime beaucoup les moments que nous passons à donner du cachet à nos tenues autant qu’à nos clips et à tous les éléments de décor qu’on apporte avec nous sur scène. Même l’odeur que nous dégageons en concert est importante à mes yeux, c’est dire (rires) ! C’est vraiment tout un univers, j’adore ça. Pour ma part, je suis arrivée dans la formation en étant déjà, au départ, une chanteuse folk. À ce moment-là, le groupe avait besoin d’une remplaçante pour quelques semaines lors d’une tournée en Allemagne, et ils m’ont proposé de les rejoindre. Je ne me connaissais pas d’affinités particulières avec le thème de la piraterie du 18e siècle, c’est quelque chose que j’ai appris à aimer. J’apprécie énormément l’idée de la communauté d’individus soudés par des valeurs communes. C’est une caractéristique du monde des pirates qui compte beaucoup à mes yeux.

Cela dit, d’un point de vue historique, y a-t-il seulement existé des pirates au large des côtes suédoises ?

(Rires) Je ne suis peut-être pas la personne la plus calée pour répondre à cette question, il y a dans le groupe des gens férus d’histoire qui pourraient mieux t’éclairer à ce sujet ! Mais bon, oui, il y en a peut-être eu quelques-uns, qui ne ressemblaient sans doute pas à ceux qui abordaient les navires dans les Caraïbes, mais des pirates tout de même…

Lorsqu’on lance la lecture de l’album, on entend pour commencer The Cranker. Un super titre pour ouvrir l’album ! Il raconte l’histoire d’un équipage ensorcelé par un joueur de violon démoniaque, peut-être le diable en personne. S’agit-il d’une légende bien connue par chez vous ou avez-vous créé l’histoire de toutes pièces ?

En effet, il y a dans la tradition folk suédoise un mythe qui raconte une histoire assez semblable, et dont la chanson s’est un peu inspirée. Ça nous plaisait bien d’attaquer l’album avec un récit qui fait peur.

Je trouve l’ambiance extraordinaire dans cette chanson. À l’écoute, on s’imagine assis en cercle autour d’un feu de camp, à écouter un chanteur accompagné par des percussions…

Je n’ai rien à ajouter, c’est exactement le type d’image que nous voulions évoquer ! [Et c’est un peu ce que montre le clip tourné pour la chanson, ci-dessus, dévoilé le jour de la sortie de l’album — NdR] 

Un peu plus loin dans la tracklist, l’atmosphère change du tout en tout avec un autre titre qui, lui, m’a fait beaucoup rire : A Final Toast for Oliver Cromwell. Qui est cet Oliver Cromwell contre qui vous avez une dent ?

Il a bel et bien existé, c’était un politicien et militaire anglais que certains ont détesté à un tel point qu’après sa mort, ils ont déterré son cadavre pour le pendre et ensuite le décapiter, comme pour le tuer une seconde fois ! Rendre hommage à cet odieux personnage est bien sûr très ironique, ce n’est pas vraiment en son honneur qu’on veut lever notre verre ! [Cromwell fut un tyran anglais, mégalomane et puritain, qui renversa la couronne britannique et conduisit le massacre d’innombrables catholiques irlandais, au 17e siècle — NdR]

Tu es chanteuse mais également musicienne, tu joues d’un instrument au sein du groupe et ce n’est pas un article très banal…

Tu peux le dire ! C’est un luth à huit cordes du début du 20e siècle. Très cool, comme instrument.

Il y a un peu de nostalgie, je trouve, dans la démarche du groupe : vous jouez d’instruments anciens, les paroles évoquent une époque révolue…

C’est vrai que notre musique est un peu comme une bulle : on s’emploie à recréer des atmosphères, l’ambiance d’une taverne au 18e siècle par exemple, et c’est une façon de se reconnecter à une époque ancienne tout en invitant le public à nous y rejoindre. C’est à cela qu’on pense en écrivant et composant nos chansons. Cela dit, ce qu’on joue ne sonne pas à 100 % comme ce qu’on pouvait réellement entendre il y a trois siècles, d’autant qu’on s’inspire aussi de ce que font d’autres groupes que nous allons voir sur scène.

Le plus souvent, aujourd’hui, quand on parle de musique et de pirates, on pense au « pirate metal », et pour le coup c’est moins authentique : les groupes du genre branchent les guitares électriques, voire les synthés… Ça doit vous paraître totalement hors de propos, non ?

Dans ce monde de fous, tout ce qui peut rendre les gens plus heureux est bon à prendre ! Si ton grand kif, c’est le pirate metal, alors vas-y, fonce, on sera les premiers à trouver ça cool. C’est vrai que c’est un style de musique qui marche bien, ce qui fait que beaucoup, quand ils nous voient, ont tendance à nous assimiler à ce courant. Notre « pirate folk » n’a pas une notoriété aussi grande, c’est sûr…

Ce qui vous distingue, c’est aussi la qualité des paroles de vos chansons : les couplets sont pleins de mots rares, du vocabulaire que même des anglophones natifs peuvent ne pas connaître. Vous donnez l’impression de pirates très lettrés, je trouve…

On adore raconter des histoires dans nos chansons, et ça passe par le choix des mots, en effet. Nous mettons un point d’honneur à écrire des paroles de qualité. Je signale au passage que ce n’est pas moi qui prend la plume dans le groupe, alors je peux me permettre de nous lancer des fleurs à ce sujet (rires) ! Nous avons parmi nous des personnes qui savent très bien écrire, il y a plusieurs enseignants, des professeurs de musique mais aussi des professeurs d’anglais et d’autres matières. Ce qui explique sans doute que nous appréciions autant les mots.

Vous êtes même très documentés, et les chansons replongent dans des épisodes pas forcément connus de l’Histoire maritime et de la piraterie…

Des histoires un peu tombées dans l’oubli, oui, comme celle du « Whydah Galley » [un navire de marchands d’esclaves à l’origine, et qui devint par la suite un bateau pirate — NdR].  Cela nous permet de réveiller le souvenir de gens qui ont réellement existé, et qui ont vécu des vies entières en tant que marins. Ce qui fait qu’on ne se contente pas de n’évoquer que les grands noms de la piraterie, et que nos chansons ne parlent pas que de beuveries et de tonneaux de rhum !

Comme je disais tout à l’heure, l’album qui sort est le tout premier que j’écoute dans votre discographie. Il me reste pour ainsi dire tout à découvrir. Quel album me conseillerais-tu pour commencer cette exploration ?

Eh bien, tu pourrais commencer par le tout premier, Songs And Curses, mais je te conseillerais peut-être d’attaquer avec First Night Back in Port, notre troisième album : c’est celui qui contient le plus de titres, et j’aime beaucoup toutes les histoires que les chansons racontent.

Sinon, le public peut aussi aller vous découvrir sur scène, en concert : il y a une tournée prévue, en première partie de Faun, notamment. Il y a des points communs, sûrement, entre les deux groupes, mais ce n’est quand même pas tout à fait le même style de musique, non ?

Nous allons commencer par écumer les festivals européens, dès ce printemps et tout au long de l’été, et nous avons aussi plusieurs concerts prévus en tête d’affiche. Et en ce qui concerne nos apparitions en première partie de Faun, ce sera à l’automne prochain, on va sillonner le continent avec eux. Musicalement, on est assez différents, c’est juste, et je me demande bien comment leur public va réagir à notre musique. Ça va représenter un petit défi pour nous d’essayer de les conquérir et de les emporter avec notre musique et notre show de pirates. Mais on est prêts à le relever, ce défi, et on est tous très impatients de se retrouver sur scène !

Propos recueillis en mars 2025. Vifs remerciements à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) et à Florian Blumann (Napalm Records Berlin).

Site officiel du groupe