Il n’aura pas fallu attendre longtemps avant de pouvoir se plonger dans la suite : paru en octobre dernier, Wyld, premier tome nous avait transportés vers des sommets d’émotion et de truculence littéraire (en tout cas, j’en ai ainsi vécu la lecture et j’espère qu’il en a été de même pour vous, amis imaginaires qui vous êtes procuré l’ouvrage). Quatre mois à peine séparent donc les arrivées en librairie de La Mort ou la gloire et de Rose de Sang, mais l’on découvre, à l’ouverture de ce second volume de fantasy débridée, que six années ont passé pour les personnages de Nicholas Eames. Six années depuis l’homérique bataille de Castia, à l’issue de laquelle la « roquebande » Saga, au mépris de tous les dangers, parvint à libérer la ville fortifiée assiégée par la terrible Horde — et du même coup sauver la vie de Rose, turbulente fille de Gabriel, alias Gabe le Magnifique, le meneur du groupe. Rose est à présent une adulte, elle est aussi mère de Wren, une fillette conçue avec son compagnon d’armes Nuage Libre. Mais la jeune mercenaire aux cheveux rouges n’est guère encline à la vie de famille : laissant son enfant aux bons soins de papy Gabriel, la « Rose de Sang », ainsi qu’on la surnomme, écume le pays avec sa roquebande « Fable », elle passe sa vie en tournée, de ville en ville, de contrat en contrat. Jusqu’à ce qu’une terrible menace mette à nouveau en péril l’existence de tous les habitants de la contrée…
Surprise ! Alors que tout indiquait une aventure écrite du point de vue guerrier de Rose, Nicholas Eames choisit une approche différente, celle, pourtant éprouvée, du roman d’initiation. Tandis que La Mort ou la gloire relatait les hauts faits de vieilles badernes sur le retour, ce livre-ci s’essaie à l’art du contrepoint en nous contant les émois, les découvertes et, au final, les actes héroïques d’une jeunette musicienne, Tam, 17 ans, à qui le destin offre de rejoindre Fable en tant que barde (car toutes les roquebandes s’attachent les services d’une voix inspirée pour chanter — et surtout magnifier ! — leurs exploits). Un parcours riche attend la demoiselle, qui lui permettra de s’affranchir des modèles familiaux, de se forger une personnalité notamment en affirmant son courage et son orientation sexuelle. Pour accomplir tout cela, la fréquentation des membres de Fable sera une sacrée école, où les excès en tout genre sont un programme quotidien mais où la plus belle leçon pour Tam consistera à célébrer en toutes circonstances les vertus cardinales inaltérables de la solidarité et de l’amitié.
Il allait de soi que Nicholas Eames n’allait pas simplement répéter la formule de La Mort ou la gloire (c’eût été une recette réchauffée, et les lecteurs même les plus fanatiques du premier volume lui en auraient voulu). L’auteur met donc la pédale douce sur les allusions à la culture rock, toujours présentes, qu’on se rassure, mais disséminées avec plus de parcimonie et toujours à propos : jamais Eames ne verse dans le sous-entendu gratuit, ses clins d’œil au monde de la musique donnent lieu à des tableaux cocasses (les groupies qui suivent Fable, l’ambiance des festivals…) aussi bien qu’à des moments bouleversants (tel le chant choral la veille de l’époustouflante bataille finale — j’en ai des frissons à la seule écriture de ces mots !). Enfin, même si Nicholas Eames s’y connaît pour doper ses pages à coup de répliques cinglantes (quels dialogues !) et que sa patte déroule une série impressionnante de comparaisons qui claquent, Wyld ne serait peut-être qu’une récréation littéraire pour rôliste de Donjons & Dragons sans l’élégance et la délicatesse avec lesquelles l’auteur traite ses personnages. La camaraderie, les liens familiaux, la complicité, les blessures intimes et l’amour sont dépeints avec une telle vérité humaine qu’on ne peut moult fois s’empêcher d’écraser pudiquement une larme. C’est vraiment très beau, Mr Eames, ce que vous écrivez. Merci beaucoup.
En librairie depuis le 15 janvier 2020.