« Wonderland » selon Raven Gregory, c’est toujours un univers d’inspiration médiévale tantôt aux allures de Disneyland pervers (dans les volumes précédents), tantôt, comme c’est le cas à présent, de Mordor aux vastes plaines enneigées ou rocailleuses. En tout cas, l’endroit est toujours habité de créatures à longs crocs, de porte-lances en armure et de pin-ups qu’on croirait sorties d’une fiesta chez Hugh Heffner. Par exemple la Reine de Pique, qui se rêve en nouveau monarque du Pays des Merveilles et lorgne le trône laissé vacant par le défunt Jabberwock. Le Chevalier Gris suit sa reine machiavélique en bas résille pour l’aider à se constituer une armée, tandis qu’en parallèle, dans notre monde réel, Callie Liddle et sa fille Violet s’emploient tant bien que mal à retrouver une vie normale, fuyant les horreurs de Wonderland…
Les références et renvois, sous forme d’astérisques, aux tomes précédents sont nombreux et pourraient déconcerter les lecteurs novices, d’autant que la narration n’est pas toujours d’une clarté absolue. Illustré par plusieurs dessinateurs selon les chapitres, l’ensemble s’avère un peu décousu, à l’image du Pays des Merveilles, chaos onirique où la folie est la norme et qui envahit parfois notre dimension. Dans le tome 1, Johnny, le frère de Callie devenu le Chapelier Fou, parvient à posséder les esprits de toute une cohorte de citoyens, qui basculent en un clin d’œil dans la démence homicide, tel ce mioche qui égorge ses parents indignes au rasoir. Callie et sa fille ne sont pas loin et vont devoir en découdre avant de mettre le cap sur Hollywood, dans le volume suivant, où Violet fera la connaissance d’une voisine de son âge plutôt délurée.
La qualité globale du trait n’est pas tout à fait à la hauteur de la première série (sortie en France en 2022, dessinée par Daniel Leister), cependant l’édition fignolée par Graph Zeppelin est de toute beauté, avec une impression sur papier glacé et une épaisse couverture cartonnée, un luxe auquel les lecteurs américains n’ont pas eu droit quand le titre est paru chez eux (c’était en 2013, déjà — la parution française accuse pas mal de retard). Au fil des épisodes, Wonderland est devenu un classique du comic trash et sexy pour adulte, et uniquement pour adulte : outre son exubérance graphique, l’histoire est hantée par le thème du deuil, une caractéristique compréhensible lorsqu’on sait que Raven Gregory a lui-même dû surmonter plusieurs fois la perte d’êtres chers, décédés violemment dans des accidents de la route. En dépit de la palette aux tons vifs, la noirceur est donc de mise, et les comportements addictifs sont aussi légion, avec des personnages qui abusent de tout un tas de substances, réelles — alcool, crack — ou sorties de l’imagination du scénariste (il y en a qui se défoncent au « dream », qui donne l’impression d’évoluer dans un rêve éveillé). Quant à la conclusion de ce Monde d’après, bien entendu, ce n’en est pas vraiment une, il reste des volumes à découvrir…
En librairie depuis le 13 juin 2023.