Trente ans après la chute du bloc de l’Est, où en est la société russe ? Né en 1989, le réalisateur Kirill Sokolov n’a pas connu la guerre froide ni l’époque soviétique, ce qui ne l’empêche pas de disséquer ses concitoyens avec une caméra qui tient autant du scalpel que du couteau de boucher : à en juger par la mentalité dominante dans Why Don’t You Just Die !, l’idéal collectiviste de jadis n’est plus qu’une crotte de mouche dans le rétroviseur, et l’ex-URSS, au 21ème siècle, est un territoire où le bien et le mal ne survivent qu’à l’état de concepts flous, avec lesquels on s’arrange en louvoyant à la recherche du profit. Pour une poignée de dollars — ou plutôt pour une sacoche pleine de roubles —, on est prêt à trahir son meilleur ami, à secourir des meurtriers psychopathes, à manipuler ceux qui nous aiment et même à fomenter l’assassinat de son propre père ! Le tableau n’est pas très glorieux, mais c’est celui dépeint par Sokolov dans cet incroyable Papa, sdokhni — « Crève, papa » —, où un appartement ordinaire moscovite se transforme en petit théâtre de l’horreur.
Tout commence par un gars armé d’un marteau. Planté avec nervosité devant la porte dudit appartement, il hésite un peu puis se décide à sonner. C’est là que vit Andreï — crâne chauve, physique de taureau et, surtout, figure « légendaire » des forces de police locales. Pour des raisons qu’on ne va pas étaler ici, le jeune type, Matveï, est venu régler son compte à Andreï (en deux ou trois coups de marteau, donc), mais bien sûr rien ne se passe comme prévu. L’appartement va voir défiler plusieurs personnages qui, tous, auront une « bonne » raison de s’en prendre à Andreï, du reste flic ripou, père indigne et mari autoritaire qui raisonne sa femme à coups de saucisson. Passé cinq minutes d’intro tendue (où l’agressivité latente s’exprime par les silences autant que par les mots), le spectacle de la violence éclate, puisant son inspiration graphique chez Sergio Leone, Park Chan-wook, Quentin Tarantino… Si l’ultra-violence n’est pas votre tasse de thé, OK, passez votre chemin, le film ne s’adresse pas à vous. Pour les autres, en revanche, le festival orgiaque de coups (de poing, de marteau, de couteau, de fusil, même de poste de télé !) est un régal hilarant, alignant des situations absurdes (et colorées) dignes d’une intégrale de Bip-Bip et le Coyote, les décalitres d’hémoglobine en plus. Soutenu énergiquement par le Ministère russe de la Culture (si on en croit les crédits du générique — bravo !), Why Don’t You Just Die ! a mis l’ambiance lors de la neuvième édition du PIFFF, en décembre dernier, d’où Kirill Sokolov est reparti la valise alourdie de deux trophées : l’Œil d’or (récompensant le meilleur film de la compétition) et le Prix des lecteurs de Mad Movies. Pour tous ceux qui n’y étaient pas et qui le regrettent, la séance de rattrapage peut débuter tout de suite à la maison : le film est disponible depuis le 11 mars 2020 en VOD.