Le 30 octobre, il sera possible de voir Visions Of Atlantis en concert, chez soi, grâce au CD+DVD live A Symphonic Journey To Remember, enregistré à l’été 2019 au festival Bang Your Head !!!, en Allemagne. Une setlist idéale de dix-sept titres qui fait la part belle aux chansons de The Deep & the Dark et Wanderers, les deux derniers LP du groupe autrichien, mais qui revisite aussi quelques titres plus anciens. Retour sur une soirée mémorable avec la soprano française de VoA, Clémentine Delauney.

Khimaira : A Symphonic Journey To Remember est le tout premier album live de Visions of Atlantis, et il a été enregistré avec l’appui d’un orchestre symphonique. Le groupe avait-il déjà joué avec une telle formation ?

Clémentine Delauney : Non, c’était la première fois. Un désir de longue date, en fait, et le projet s’est vite concrétisé une fois que nous avons trouvé cet orchestre de Prague, qui a l’habitude d’accompagner des groupes de metal. Et nous avons préféré inviter ces musiciens à se joindre à nous à l’occasion d’un festival afin de profiter d’une plus grande scène que celles où nous avons l’habitude de jouer.

On voit que Michele et toi semblez très heureux de partager la scène et le chant. Comment décrirais-tu votre duo ?

À la date du concert, cela faisait moins d’un an que Michele avait intégré le groupe, une dizaine de mois environ, et on n’avait pas encore donné tellement de concerts ensemble. Mais l’alchimie existait déjà entre nous ! Aujourd’hui, d’un point de vue artistique, musical, scénique, je qualifierais ma relation avec Mick de fusionnelle. Nous sommes en symbiose totale et, avant de le rencontrer, je n’aurais jamais imaginé connaître ça sur scène avec un chanteur. Aujourd’hui nous écrivons même ensemble les prochaines chansons de Visions of Atlantis.

Dans la setlist du concert, on entend beaucoup de morceaux récents mais aussi quelques titres plus anciens qui, à l’origine, ont été écrits et enregistrés par d’autres chanteurs. Y en a-t-il qui ont été difficiles à vous approprier ?

Les nouveaux morceaux sont un peu plus taillés pour nos voix, c’est sûr, et même au niveau des paroles, les titres antérieurs du groupe ne correspondent pas forcément à notre univers, à notre sensibilité, à Michele et moi. De ce point de vue-là, oui, ce n’est pas toujours évident de faire siens des morceaux qui n’étaient pas les nôtres du tout. Cela dit, aucun titre n’a été trop ardu à reprendre.

Je pensais à Memento, une compo de 2011 qui ressemble à un mini-opéra et exige beaucoup de variations de la voix…

Ce n’est pas un titre qui a été si difficile que ça à reprendre… J’ai toujours beaucoup aimé ce morceau, j’y ai vite trouvé mes marques. Par rapport à l’interprétation d’origine, j’ai changé deux, trois choses, adapté certaines parties à ma sauce… mais on a surtout dû simplifier quelques lignes de chant car, dans la version studio, il y a beaucoup de chœurs et là, nous ne sommes que deux chanteurs sur scène ! Concernant les variations de hauteur, c’est une diversité vocale que j’apprécie beaucoup et que j’aimerais exploiter davantage à l’avenir sur notre prochain album… En réalité, ce que je trouve plus difficile, de mon point de vue de chanteuse, c’est de passer d’un morceau « full power » comme A Journey To Remember, qui est tout en voix de poitrine, à une chanson plus classique. Cela exige une certaine élasticité de la voix qui peut être fatigante.

J’aimerais parler de The Last Home, une chanson très douce que tu dédies en introduction à tous ceux qui ont perdu un être cher. Pensais-tu à quelqu’un en particulier lorsque tu as écrit ces paroles ?

Comme tout le monde, j’ai perdu des proches, des grands-parents, une tante… mais ce n’est pas ce qui a motivé la chanson. Simplement, j’ai ressenti un jour le besoin d’écrire sur le thème de la peine et du deuil, en lâchant prise et en donnant libre cours à l’émotion, ce que je n’avais encore jamais fait jusque-là. Alors non, la chanson n’est pas dédiée à une personne en particulier. Mais beaucoup de gens m’ont écrit au sujet de ce morceau, car il les a touchés à un moment où eux-mêmes étaient confrontés à un deuil.

Après ce concert en Allemagne, le groupe a poursuivi sa tournée en Europe et en Amérique du Nord… Y a-t-il eu d’autres soirées particulièrement mémorables ?

Nous sommes partis en tournée avec Kamelot et Evergrey, et ça a été une super expérience — je suis, qui plus est, très fan des deux groupes, et particulièrement d’Evergrey ! J’ai partagé un peu la scène avec eux, et musicalement, ça a été hyper-intéressant. On a joué devant des salles remplies et ressenti un vrai engouement autour de VoA. Du coup, c’est malheureux que toutes les tournées aient dû s’arrêter ! Il a fallu tout interrompre six mois à peine après la sortie de Wanderers, et on n’a pas pu promouvoir l’album comme on aurait aimé. La tournée s’est arrêtée quand nous étions aux États-Unis, après plusieurs concerts là-bas. La rencontre avec le public américain fait partie de mes meilleurs souvenirs de la tournée, c’est un public qui n’a rien à voir avec les spectateurs en Europe !

Pourquoi ça ?

C’est un public très joueur, qui a l’habitude du show et se manifeste de manière ultra- expressive. Dès que notre guitariste attaquait un solo, ils hurlaient ! Idem à chaque fois que Michele atteignait une note haute. Les Américains sont aussi très généreux en applaudissements, et quand on les rencontre en fin de soirée, ils sont toujours expansifs dans leur manière de nous faire part de la joie qu’ils ont ressentie pendant le concert. Et en même temps, ils ne sont pas collants physiquement, ils restent respectueux, très disciplinés aussi : quand ils font la queue au stand de merch, il n’y a jamais de bousculade. Tandis qu’en Europe, selon les pays, je suis désolée de dire ça mais ça n’a rien à voir : les gens sont très agités, ils se marchent sur les pieds… Dans les pays de l’Est, il y en a même qui sont venus nous bloquer dans les couloirs !

Comment avez-vous vécu la nouvelle des annulations de concerts et du retour nécessaire en Europe ?

Il y a eu un effet de choc, c’est sûr. La soudaineté de la nouvelle avait un côté irréel, même si quelques signes nous avaient mis en alerte : la pandémie était à ce moment-là à un stade beaucoup plus avancé en Italie qu’en Amérique, et Michele étant italien, il se tenait informé de la situation chez lui. Il n’en revenait pas de ce qui se passait, de la fermeture des écoles… Mais bon, on était aux USA, les autres membres du groupe et moi suivions ça avec détachement en se disant que la crise allait se calmer et se limiterait à l’Italie ! Peu après, il y a eu le discours de Macron, celui de Trump, et à partir de là, tout était fini. On était alors à Minneapolis, bloqués à l’entrée de la salle de concert, et on a dû attendre jusqu’en milieu d’après-midi pour apprendre officiellement que le show était annulé. On a eu la chance, tout de même, de donner un dernier concert deux jours après au Mexique, mais sans que ça puisse effacer l’impression de vivre un mauvais rêve… De retour en France, j’ai préféré aller me confiner chez ma mère à la campagne plutôt que rester seule en ville, à Lyon. Là aussi, l’expérience avait un côté surréaliste : quelques jours plus tôt j’étais aux États-Unis, en pleine tournée, et je me retrouvais en un clin d’œil confinée en France à la campagne !

Je crois me souvenir que le retour en Europe n’a pas été facile pour le groupe d’un point de vue matériel…

Oui, malgré notre état de sidération, il a fallu affronter la réalité très concrète de notre situation financière : nous avions avancé tous les frais de cette tournée américaine de treize concerts, avec des commandes de merchandising qui avaient été calculées pour être écoulées tout au long de ces dates. Au final, on n’a pu donner que cinq concerts, et on s’est retrouvés avec un déficit énorme. D’où notre décision, prise en une soirée, de demander aux gens de nous soutenir en faisant un appel aux dons, faute de quoi c’était la banqueroute assurée pour le groupe ! On a mis rapidement la campagne en place, filmé la vidéo dans notre chambre d’hôtel… et les gens ont répondu à l’appel : en une semaine, l’objectif était atteint. C’était incroyable !

Visions of Atlantis fête ses vingt ans d’existence cette année. Est-ce que tu as pu revoir récemment les autres membres du groupe pour fêter cet anniversaire, loin de la scène, certes, mais pour le fêter quand même ?

Oui, nous nous sommes revus il y a peu, nous avons même donné un concert fin août dans un festival. Après, célébrer cet anniversaire ne correspond pas vraiment à notre état d’esprit : j’ai rejoint VoA il y a sept ans, Michele deux ans… Tom est le seul à être là depuis le début, alors on n’a pas ce sentiment d’appartenir à un groupe qui joue depuis deux décennies. Qui plus est, Visions of Atlantis a connu une période de creux, on n’a presque rien fait entre 2013 et 2018 : on a donné quelques concerts, on a essayé de composer quelques morceaux mais ça ne fonctionnait pas très bien… Donc je n’ai pas du tout l’impression de faire partie d’un groupe qui a cet âge-là !

Comme tu disais, votre batteur Thomas Caser est le seul membre restant du line-up originel. Saurais-tu dire s’il est heureux de pouvoir faire vivre la discographie même ancienne de Visions Of Atlantis avec les membres actuels ?

La discographie de VoA est en dents de scie. Sans même nous compter, il y a eu trois sets différents de personnes qui ont écrit pour le groupe, avec tous les changements de style que cela implique au fil des albums, et pour tout dire Tom ne se sent pas tellement d’affinités avec ce qu’ont pu écrire certains des compositeurs précédents. En outre, ce n’est pas quelqu’un qui regarde en arrière, il est plutôt tourné vers l’avenir et il ne ressent pas la discographie passée comme un héritage. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous jouons en priorité des morceaux récents.

Et quand tu n’es pas avec le groupe, à quelles activités musicales te livres-tu ?

Je travaille beaucoup ma voix, qui est mon instrument. Et comme je disais tout à l’heure, Mick et moi écrivons ensemble les prochaines chansons du groupe, je me suis donc rendue deux fois dernièrement en Italie pour travailler avec lui — c’est un peu l’avantage de ne pas partir en tournée, on a du temps à consacrer à l’écriture ! Sinon, je prends part à d’autres projets : récemment j’ai été invitée à chanter dans un morceau de Leaves’ Eyes, et je vais peut-être aussi apparaître sur le prochain DVD de Tarja : en début d’année, j’ai chanté avec elle dans deux concerts donnés pour fêter les quinze ans de sa carrière solo. Un de ces concerts a été filmé, et il a été question de l’édition d’un DVD. Je n’en sais pas plus pour l’instant, mais je pense que je serai tenue au courant…

L’album et le DVD live de Visions of Atlantis, quant à eux, sortent fin octobre. Est-ce un cadeau que tu as prévu de faire à tes proches pour Halloween ?

(Rires) Non ! Les personnes autour de moi qui aiment Visions… ont déjà commandé leur exemplaire. Ce serait un peu narcissique, non ? « Tiens, regarde, c’est mon groupe, je te l’offre ! » Non non, pas question d’offrir ma propre musique en cadeau !

C’était une simple boutade, bien sûr ! Pour conclure, j’ai une petite question que je pose souvent aux musiciens que je rencontre en interview… Elle est en deux parties : tout d’abord, quel est le dernier album, tous styles confondus, que tu as découvert ?

Je crois bien qu’il s’agit du dernier album de Nightwish. Mais je n’ai écouté que le deuxième CD, instrumental, pas celui avec le chant : Nightwish et VoA appartiennent à la même scène et, comme on est en pleine phase d’écriture, je limite les écoutes, je n’ai pas envie de me laisser influencer.

Et quel est le dernier album que tu adoré de la première à la dernière note ?

(Temps de réflexion) Ce n’est pas évident de déclarer qu’on ne rejette absolument rien d’un album, de dire qu’on l’aime du début à la fin. Mais il y en a plusieurs qui me viennent à l’esprit. Un album instrumental de néo-classique, In a Time Lapse (2013) de Ludovico Einaudi, que j’adore ! Sorti la même année, Altered State de Tesseract constitue ma référence en termes de rock/metal progressif. Et j’ajouterai l’album éponyme de Nothing But Thieves (2015), que j’aime aussi de la première à la dernière note.

Juste une dernière question avant de prendre congé : lorsqu’on visionne le concert du DVD et que l’on compare avec ton image aujourd’hui, on remarque une petite différence : un oiseau est apparu dans ton cou. Que représente-t-il pour toi ?

Oui, c’est une mésange bleue ! Pour moi, ce tatouage renvoie à la nature et à la façon dont nous la maltraitons, et qui m’attriste. Faire une place à la nature sur mon corps d’humain, c’était quelque chose de fort à mes yeux — je fais partie de la nature, et elle fait partie de moi. À mes yeux, les oiseaux revêtent une symbolique particulière. Ils sont un peu l’emblème de toute la beauté et de toute la légèreté que la nature est capable de créer — quand on prend un oiseau dans sa main, on a la sensation d’un être d’une légèreté incroyable ! Et les oiseaux sont beaux, colorés, et ils chantent ! Ils me font rêver. Voilà, ce tatouage, je le vois comme une ode à tout ce que la nature est capable de créer de beau, de fragile et en même temps de fort, et qu’on se doit de préserver.

Et pourquoi une mésange bleue ?

C’est un choix qui renvoie à mon enfance : plus jeune, j’ai beaucoup observé les oiseaux dans le jardin de ma mère, on avait des petits nichoirs où ils venaient se poser, on leur donnait à picorer… et il y avait des mésanges bleues parmi eux. Ce spécimen a une particularité : c’est la plus petite des mésanges et c’est aussi la moins farouche, la plus audacieuse, elle n’a pas peur de s’imposer face aux autres oiseaux pour réclamer sa ration de graines. C’est une belle leçon de vie : peu importe qu’on soit petit, on peut être très fort, tout est une question d’état d’esprit.

Propos recueillis en septembre 2020.

Remerciements à Magali Besson de Sounds Like Hell Productions et à Sarah Weber de Napalm Records.

Tracklist

  1. Intro
  2. The Deep & the Dark
  3. New Dawn
  4. Ritual Night
  5. Lost
  6. The Last Home
  7. Memento
  8. Release My Symphony
  9. Words Of War
  10. Heroes Of The Dawn
  11. Wanderers
  12. Seven Seas
  13. A Journey To Remember
  14. The Grand Illusion
  15. Nothing Lasts Forever
  16. Passing Dead End
  17. Return To Lemuria

À (re)lire également, notre premier entretien avec Clémentine, publié en août 2019 peu avant la sortie de l’album Wanderers.

Site officiel du groupe (page Facebook)

Page du groupe sur le site de Napalm Records