Non loin du Sacré-Cœur, l’Alba Opéra n’est pas un hôtel comme les autres : la plaque à l’entrée signale aux amateurs de jazz que Louis Armstrong est venu y poser valise et trompette ; une photo triplement dédicacée (dans le lounge, parmi d’autres) apprend aux metalleux de passage que Floor, Tuomas et Marco, de Nightwish, y ont aussi pris leurs quartiers… Pour nous, l’endroit était le spot rêvé pour un rendez-vous avec Clémentine Delauney : la douce et enjôleuse chanteuse de Visions Of Atlantis nous a révélé tout ce que nous voulions savoir sur Wanderers, le dernier album du groupe, dans un décor « luxe, calme et volupté » des plus cosy et des plus arty. Such a lovely place, such a lovely face…
Wanderers est annoncé pour fin août, soit à peine un an et demi après le précédent LP, The Deep and the Dark. On est peu habitué à un délai si court entre deux albums…
Le reste du groupe et moi étions très contents de l’album The Deep and the Dark, toutefois pas au point de pouvoir anticiper le succès qu’il a eu. Il nous a permis de nous lancer dans une grande tournée, chose qu’on n’avait pas envisagée au départ. Il fallait qu’on profite de cet élan, qu’on ne laisse pas trop de temps s’écouler entre cet album et le suivant… Nous avons travaillé avec les mêmes personnes, avec le même producteur, qui maintenant connait bien notre style, notre univers. La collaboration a donc été très simple, elle s’est faite dans la continuité de The Deep and the Dark.
Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
De façon très ordinaire : après la tournée que nous avons faite avec Kamelot, nous sommes tout de suite entrés en studio. Nous avons commencé par les batteries, puis les basses, les guitares… Pour le chant, c’était nouveau : Michele et moi avons travaillé ensemble — jusque-là, j’avais toujours été seule en studio avec le producteur. Michele maîtrise sa technique de chant à la perfection, nous nous sommes stimulés mutuellement… Une expérience très enrichissante !
Concernant ce nouveau chanteur, l’Italien Michele Guaitoli, comment a-t-il intégré le groupe ? Le connaissais-tu déjà auparavant ?
Non, pas du tout ! On a fait appel à lui l’an dernier pour prendre la succession de Siegfried Samer, mais aucun d’entre nous ne le connaissait personnellement. On était seulement au fait de son travail dans son groupe, Temperance. Thomas [Thomas Caser, le batteur et leader du groupe — NdR] l’a contacté, l’a eu plusieurs fois au téléphone pour s’assurer qu’il avait le bon feeling. Il fallait que sa voix s’accorde avec la mienne mais aussi qu’on s’entende tous bien avec lui. On n’a pas été déçus : Michele s’est avéré quelqu’un de très positif, généreux, il a apporté un vrai rayon de soleil dans le groupe.
Comment le groupe décide-t-il, entre toi et Michele, de qui chante quoi, c’est-à-dire comment établissez-vous le partage des paroles dans une même chanson ?
On décide de ça à la préproduction, selon nos tessitures de voix respectives, par rapport à la hauteur de la ligne de chant. Certains couplets siéent mieux à Michele, d’autres à moi. On doit faire des essais, procéder à des ajustements pour que l’un et l’autre soient mis en valeur par ce qu’il chante. On veille aussi à ce qu’il y ait une parité. Ainsi Michele commence la moitié des titres de l’album, et je commence l’autre moitié. Et même si on a l’impression que le chant féminin prédomine, il ne faut pas que ce soit au détriment de la voix masculine. Michele a également écrit certains textes, comme At the End of the World, et il est normal qu’on le sente très présent sur ces titres-là.
Quelles ont été les sources d’inspiration des nouvelles chansons ?
On peut dégager un thème commun : le voyage, grâce auquel on part à la recherche de soi, de sa propre vérité, grâce auquel on traverse de nombreuses étapes pour se retrouver face à soi-même. Il y a beaucoup de métaphores… Par exemple, lorsque je cite le Kraken, dans la chanson A Life Of Our Own, je ne fais pas une référence directe à l’animal mythologique, je parle plutôt de nos propres monstres, de nos propres peurs, de tout ce qui nous empêche de nous réaliser.
Les textes de Visions Of Atlantis sont empreints de fantasy… Es-tu toi-même une fervente lectrice de ce genre littéraire ?
Disons que j’ai lu récemment beaucoup de livres d’aventures en lien avec l’océan, notamment la série de romans Les Aventures de Thomas Kydd, marin de Sa Majesté de Julian Stockwin, l’histoire d’un jeune marin enrôlé de force dans la marine anglaise, à la fin du dix-huitième siècle. C’est ce genre d’univers-là qui m’inspire pour le groupe, à travers le vocabulaire employé, à travers les images qu’évoque le texte… Mais je ne fais pas de copier-coller. Si une image m’interpelle, je l’intègre pour m’en resservir plus tard, à travers le prisme de ma propre créativité.
Musicalement, avez-vous tenté des expérimentations, des sonorités que vous n’aviez jamais explorées avant ?
On a accentué le côté celtique, surtout avec la chanson Heroes of the Dawn, où la flûte est très présente. Ce n’est pas quelque chose qu’on avait essayé par le passé, en tout cas pas d’une manière aussi marquée. Le titre The Siren & The Sailor propose des touches très orientales… Et il faudra écouter attentivement les « bonus tracks » de l’album : avec la chanson Bring the Storm, on a voulu tenter des gammes un peu différentes, beaucoup plus « rentre-dedans » !
Heroes of the Dawn est le premier titre à avoir été dévoilé, début juillet. Comment avez-vous choisi cette chanson-là pour annoncer l’arrivée de l’album ?
C’est une chanson qu’on aime beaucoup, qui nous permet de faire le lien avec l’album précédent. On reste dans le style du metal symphonique, mais pas en grande pompe, et les paroles ne sont pas sans rapport avec les décors du premier photo-shoot qu’on a révélé cette année, des prises de vues très proches de la nature. La chanson raconte l’histoire de gens qui veulent changer le monde et qui ne sont pas bien reçus à cause de ça.
L’année 2019 est particulièrement riche de concerts pour le groupe, avec des dates prévues jusqu’en octobre dans beaucoup de pays. À quoi peut-on s’attendre lorsqu’on entre dans la salle d’un concert de Visions of Atlantis ?
Je ne pourrai répondre à cette question qu’en août, à la sortie de l’album, lorsqu’on aura fait notre première date en tête d’affiche. Jusqu’ici, nous avons participé à plusieurs festivals, au milieu d’autres groupes. Quand on joue avant Freedom Call, il est évident qu’on n’est pas la tête d’affiche. Leur public est là, le nôtre également, mais ce n’est pas notre show, on n’a pas toute la place sur scène. Nous allons commencer une grande tournée l’an prochain, à partir d’avril, où nous serons en tête d’affiche et où nous pourrons créer véritablement une ambiance. Mais quoi qu’il en soit, on essaie toujours de faire voyager l’auditeur à travers nos personnages de pirates romantiques, à travers un show très power metal et des lumières qui suivent les humeurs des chansons, qui sont très variées. Cela donne des atmosphères tantôt épiques, tantôt intimistes.
Te prépares-tu de façon particulière avant de monter sur scène ?
Non… (long silence de réflexion) Il s’agit surtout de travailler sur soi, de transformer l’excitation ou l’anxiété en énergie, pour ensuite la communiquer aux autres de manière très positive.
Peux-tu nous parler de ta formation musicale ? Quand et comment t’es-tu orientée vers le chant ?
Avant d’être musicienne, je dansais. Quand j’étais encore petite, j’habitais près de Paris et je prenais des cours de danse contemporaine. Et mon rapport à la musique était déjà très fort : mes parents baignaient eux-mêmes dans la musique, et je chantais tout le temps — c’est sans doute La Petite Sirène de Disney, que j’ai vu quand j’avais cinq ans, qui a provoqué chez moi un déclic ! Mais je ne suis pas venue tout de suite aux cours de chant. Ma famille et moi avons ensuite déménagé à Lyon, où je n’ai pas trouvé de cours de danse qui me convenait, alors je me suis tournée vers l’apprentissage du piano. J’ai suivi l’enseignement d’un prof de jazz qui m’a appris à improviser, et c’est à cette époque que j’ai commencé à composer des petits morceaux. Un peu plus tard, au collège, j’ai chanté dans une chorale gospel où j’ai commencé à développer ma voix de poitrine, et j’en suis venue à intégrer une autre chorale, à l’Opéra de Lyon qui, à l’époque, recherchait des voix d’ados, très aériennes, pour accompagner les chœurs adultes. C’est là que j’ai acquis mes premières bases en chant classique. J’ai pratiqué aussi le chant choral en interprétant de la musique sacrée — un style que j’adore ! — et, de fil en aiguille, j’ai découvert le metal symphonique… et j’ai compris que c’était cela que je voulais faire !
Quel regard portes-tu sur la scène metal symphonique actuelle ?
Je la trouve un peu trop codifiée, avec beaucoup de règles, de grands principes et de standards à respecter… Ça ne permet pas aux formations nouvelles qui se réclament de ce style de proposer des choses inédites. C’est ce que nous, Visions Of Atlantis, avons essayé de faire, entre autres avec notre dernière série de photos officielles, dans lesquelles on a éliminé le noir, les châteaux, etc. tous ces codes un peu baroques et aujourd’hui usés. Il reste plein de choses à faire, explorer d’autres tessitures vocales, sortir des rapports homme/femme calqués sur l’image de la Belle et la Bête… De ce point de vue, Temperance, par exemple, même s’ils ne font pas exactement du metal symphonique, est un bon groupe prometteur. Tarja, aussi, va sortir un nouvel album en même temps que nous, elle a ouvert son registre pour apporter de la diversité à sa musique…
Quel est à ce jour ton meilleur souvenir avec Visions of Atlantis, sur scène ou en dehors ?
En janvier dernier, nous avons joué nos morceaux sur la scène du paquebot du festival « 70,000 Tons of Metal » : chanter sur le pont d’un grand bateau, avec le vent dans les cheveux et l’océan en point d’horizon… C’est un très beau souvenir de concert, en naviguant dans les Caraïbes entre la Floride et Haïti. Une expérience qu’on ne vit pas tous les jours ! Nous avons aussi donné cette année cinq concerts en Amérique latine, en Argentine et au Brésil, des pays où nous n’étions jamais allés et face à des publics incroyables : les spectateurs là-bas se montrent extrêmement énergiques, enthousiastes — une attitude hyper chaleureuse et expressive qu’on n’a pas coutume de voir en Europe ! C’était fou ! Et en dehors de la scène, je n’ai que de bons souvenirs avec le groupe : nous sommes très complices et soudés, on rit tout le temps…
Tu es la seule Française de la bande. Comment les autres membres du groupe perçoivent-ils la France ? Nous avons vu que vos dernières photos officielles ont été prises à Quiberon…
J’ai été très contente de les emmener en Bretagne, même si ce n’étaient pas des vacances mais deux jours de prises de vues assez intenses. On n’a pas eu beaucoup de temps pour visiter, mais je crois que le séjour leur a plu, notamment les escales à la crêperie locale ! Maintenant, je trouve qu’il n’y a guère de différences entre Français et Autrichiens : notre rapport aux autres, au monde, est exactement le même. Sinon, je sais que les autres membres du groupe n’apprécient guère Paris, qu’ils trouvent surpeuplée et polluée. Vienne, par comparaison, est une capitale tout aussi belle — enfin, presque aussi belle (rires) ! — et, en même temps, beaucoup plus calme.
Quels albums écoutes-tu en ce moment ?
Je surfe entre divers genres, j’écoute beaucoup de musique classique… et pas tellement de metal symphonique, je dois avouer, car je n’ai pas envie que d’autres groupes m’influencent ou m’amènent à penser que ce que j’expérimente a déjà été fait. Le pire qui puisse arriver, en composant, est de se dire que ce qu’on fait ressemble au travail de tel ou tel artiste, même si les rapprochements, les comparaisons sont inévitables car on œuvre dans un genre qui existe à part nous. Maintenant, certains ne se gênent pas pour nous reprocher de faire du Nightwish, alors que Visions Of Atlantis est un groupe presque aussi ancien. Nous sommes, au même titre que Nightwish, des pionniers du metal symphonique.
Avant que nous nous quittions, aurais-tu un message particulier à transmettre aux visiteurs de Khimaira ?
J’aimerais beaucoup qu’à travers cet album-là, les gens qui sont en proie au doute, en recherche d’eux-mêmes, soient rassurés, qu’ils se disent qu’ils sont sur la bonne voie… J’aime que les gens soient heureux, qu’ils s’accomplissent, qu’ils ne se sentent pas prisonniers d’idées préconçues concernant ce qu’ils devraient faire ou devraient être. Quand on prend trop en compte les attentes des autres autour de soi, on risque de ne pas trouver ni imposer sa propre identité. On est sur Terre pour se réaliser, et pour cela il faut écouter son intuition.
Est-ce un combat que tu as l’impression d’avoir mené ?
Je suis en train (rires) ! Je ne sais pas, en fait, si on peut vraiment arriver au bout, mais le message de l’album va dans ce sens-là.
Propos recueillis en juillet 2019. L’équipe de Khimaira remercie chaleureusement Clémentine Delauney pour sa disponibilité, ainsi que Magali Besson de Sounds Like Hell Productions pour avoir rendu possible cet entretien. Wanderers, septième album de Visions Of Atlantis, sera disponible le 30 août prochain.