Figurez-vous deux planètes jumelles juxtaposées, l’une « en haut », l’autre « en bas », possédant chacune son propre système de gravité. Les héros, Adam et Eden, se sont rencontrés à l’adolescence. Ils s’aiment mais sont issus de mondes différents. Or il est physiquement impossible à tout élément issu d’un des deux globes de migrer vers l’autre, chaque être étant soumis aux lois gravitationnelles de sa planète d’origine. L’amour qui unit Adam et Eden parviendra-t-il à vaincre la gravité ?
Science et poésie font parfois bon ménage, et Einstein lui-même pensait que le savoir n’est rien sans le pouvoir de l’imagination. Mais le grand Albert avait aussi coutume de dire autre chose, qui s’applique cruellement au scénario de l’Argentin Juan Solanas : « Si vous ne parvenez pas à expliquer une chose simplement, c’est que vous la comprenez mal. » Upside Down commence ainsi par une introduction assommante sous forme de mode d’emploi, cinq minutes de voix off qui tentent de poser les principes physiques régissant l’univers du film, mais aussi de donner des infos sur la bio des héros et d’expliquer l’antagonisme qui oppose les peuples des deux mondes-jumeaux. On a beau y mettre du sien, on est paumé, et la somme d’informations assénées en si peu de temps est déraisonnable. Mais ce n’est qu’un hors-d’œuvre, et la suite ne sera pas plus adroite : en imaginant un univers qui fonctionne selon ses propres lois, Solanas s’est tendu à lui-même des pièges dans lesquels il tombe plus d’une fois. Certaines idées sont amusantes mais, d’un point de vue logique, ne tiennent pas la route (comme le « cocktail à l’envers » au Café Dos Mundos, que l’auteur nous ressert deux fois !), et la représentation du double monde s’avère d’une naïveté moyenâgeuse, les planètes opposées n’apparaissant jamais comme des globes mais comme deux mondes plats disposés l’un au dessus de l’autre !
À la limite, on pourrait s’accommoder de ces approximations, d’autant que les images sont magnifiques (coup de chapeau à Vision Globale, la compagnie canadienne qui a fignolé les innombrables plans à effets). Mais le pire réside dans le scénario lui-même, bâclé au-delà de toute tolérance. Les trous narratifs sont légion : comment l’ignoble compagnie Transworld, pour laquelle bosse Eden, est-elle parvenue à asservir le monde « d’en bas » sans se voir opposer de résistance ? Mystère. Pourquoi ce même monde, qui, semble-t-il, dispose de plus de ressources naturelles, vit-il dans la misère, alors que ceux « d’en haut » vivent dans l’opulence ? Ces mondes ont-ils un gouvernement ? Inutile de chercher, le film ne répondra à aucune de ces questions. Solanas nous laisse dans un flou total, et Upside Down prend très vite des allures de Metropolis ou de Brazil du pauvre. Et malheureusement, ce n’est pas l’histoire d’amour parfaitement neuneu entre Jim Sturgess (qui joue son rôle sur le mode d’une fausse naïveté des plus énervantes) et Kirsten Dunst qui viendra sauver les meubles. Le comble du ridicule est même atteint dans la dernière minute de métrage, lorsqu’Eden/Kirsten Dunst, enceinte de deux ou trois semaines tout au plus, est en mesure d’avancer qu’elle attend des jumeaux ! Bref, le script de Juan Solanas pourra faire s’esclaffer n’importe quel auteur de S.F. digne de ce nom et soucieux de proposer une histoire qui ne prend pas le public ou les lecteurs pour des imbéciles. Et rendez-vous compte : coproduction franco-canadienne, Upside Down a tapé entre autres dans les caisses de Canal+, de France Télévisions, et le film a coûté au total pas moins de 60 millions de dollars ! Un vrai gâchis.
Sorti le 1er mai 2013.