Les fans de metal et les amateurs de science-fiction sont au diapason avec le nouvel album d’Unleash The Archers. Les dix titres de la tracklist racontent l’histoire de Phantoma, une intelligence articielle ayant atteint la pleine conscience sur une planète Terre futuriste devenue un monde dystopique. Nous avons causé de SF et d’IA avec Brittney Slayes, la chanteuse et parolière du groupe canadien.
Khimaira : Bonjour, Brittney. Ravi de te retrouver quatre ans après la sortie d’Abyss. Le thème principal du nouvel album Phantoma, c’est l’intelligence artificielle, alors j’ai demandé à une IA générative en ligne d’en rédiger une critique. Elle a trouvé que l’album emportait l’auditeur dans « un univers fantastique et guerrier » grâce à « des mélodies et des riffs de guitare qui créent une atmosphère épique ». Est-ce que ça colle avec tes intentions artistiques de départ ?
Brittney Slayes : (rires) Eh bien, tout ce que je peux dire, c’est que cette IA n’est pas très douée pour écrire des choses originales ! Honnêtement, ce que j’avais envie d’écrire n’avait rien à voir la question de l’intelligence artificielle telle qu’on en débat actuellement. ChatGPT et Midjourney n’existaient même pas quand m’est venue l’histoire que raconte l’album, et je dois dire que je ne m’occupe pas tellement de ces outils. Je ne suis pas une experte en la matière. Dans Phantoma, nous parlons bien d’une IA qui parvient à la pleine conscience d’elle-même, mais mon inspiration est plutôt à chercher du côté de films comme Terminator, Blade Runner, la saga Alien et l’univers de Star Wars, ou encore Star Trek ! Nous avons commencé l’écriture de l’album début 2021, donc bien avant qu’adviennent les IA « à la mode » qu’on connaît aujourd’hui.
D’un point de vue musical, comment résumerais-tu l’évolution d’Unleash The Archers depuis la sortie d’Abyss ? J’ai vu que vous avez retrouvé un bassiste permanent, ce qui n’était plus le cas en 2020…
Nous avons encore élargi nos influences avec Phantoma : il y a pas mal d’éléments empruntés aux musiques des films Disney, il y a de la country et aussi un peu de radio-rock. Nous avons expérimenté des éléments plus pop, tout en conservant la synthwave. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un grand bond en avant par rapport à Abyss, plutôt d’une évolution dans la même direction. Notre prochain album sera très différent, je pense. Nous voulons essayer quelque chose de nouveau, et laisser nos trois derniers LP — Apex, Abyss et Phantoma — complètement derrière nous ! Sinon, oui : Nick n’était pas un membre permanent en 2020, mais c’était déjà notre bassiste en concert et il avait conquis nos cœurs au moment où la tournée battait son plein en 2021. Alors nous avons décidé d’en faire notre bassiste officiel !
J’ai été surpris par les nouvelles photos officielles du groupe. Vous posez tous les cinq dans un cadre rural, avec des arbres tout autour. On a l’impression que vous voulez rester bien ancrés dans le monde réel alors que, je suppose, d’autres groupes dont l’album a pour thème la haute technologie auraient choisi une mise en scène plus orientée vers la science-fiction…
Phantoma parle d’un monde qui a été détruit par le changement climatique, mais à l’intérieur des biomes, il y a de magnifiques oasis de forêts, pleines de vie. Dans la chanson Green & Glass, je décris un monde de gratte-ciel futuristes en verre nichés au milieu de vieux arbres géants… Ce monde n’existe pas encore, alors nous nous sommes rapprochés le plus possible d’une infrastructure humaine entourée de forêts majestueuses, à la verdure époustouflante.
Pour en revenir aux intelligences artificielles, d’après le dossier de presse de l’album, il est quand même question d’une IA que le groupe et toi auriez utilisée à un moment donné. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Nous avons utilisé ChatGPT pour écrire quelques paroles, juste pour rire, pendant l’enregistrement en studio. Nous nous sommes dit que ce serait amusant de demander à une IA d’écrire des paroles pour un album sur l’IA. Il ne s’agissait que de quelques phrases, et dans deux chansons seulement. Et même une seule chanson, en fait. Ce qui en est ressorti ne correspondait pas du tout à mon style d’écriture, alors je me suis contentée d’utiliser ce texte comme référence, un peu comme un thésaurus à consulter si j’avais du mal à trouver un mot. En outre, l’IA a été utilisée pour animer des séquences de notre clip Green & Glass. Nous avons travaillé avec RuneGate Studio : ils nous ont filmés devant un fond vert et ils ont construit tous les arrière-plans avec le moteur 3D Unreal Engine. Et pour finir, ils se sont servis d’une série d’œuvres d’art dont nous avions acquis les droits : ils les ont téléchargées dans un modèle d’IA qui a en quelque sorte habillé la vidéo dans le même style artistique.
Pourriez-vous imaginer vous servir d’une IA pour créer de nouvelles ambiances sonores, par exemple ?
Non, ce n’est pas du tout à l’ordre du jour pour Unleash The Archers. Nous avons acquis une bonne méthode de composition, nous n’avons pas besoin de ça. Mais d’autres que nous n’hésiteront pas à le faire, c’est sûr. Et cela pourrait, pourquoi pas, permettre à des gens qui n’ont jamais fait de musique auparavant de créer quelque chose d’inédit.
Tu veux dire que ça ne t’ennuierait pas de savoir que des musiciens sans grandes compétences puissent accéder au succès en s’appuyant sur les performances des IA ?
Non, je m’en fiche. L’industrie musicale, c’est un milieu difficile, et chacun a le droit d’essayer de se faire sa place avec les moyens à sa disposition. Et franchement, qui suis-je pour jouer les juges ou pour m’ériger en gardienne des bonnes pratiques ? Du moment qu’on est honnête et qu’on ne fait pas de mystère sur le recours aux IA, il n’y a pas de raison de se priver.
Hormis la musique, parmi tes autres centres d’intérêt, y en a-t-il où tu trouverais intéressante l’utilisation de l’intelligence artificielle ?
Pas pour l’instant, mais je suis sûre qu’au fur et à mesure du développement des IA, de plus en plus de gens trouveront des moyens de l’intégrer dans de multiples aspects de la vie. C’est une prospective qui éveille grandement ma curiosité.
La prospective de l’avènement des IA fait quand même peur, et ce n’est pas récent : même dans 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, qui date de 1968, l’intelligence artificielle à bord du vaisseau spatial est source d’ennuis, et il y a plein d’autres œuvres de SF dans lesquelles les IA deviennent fatalement une menace…
C’est bien pour cette raison que j’ai écrit Phantoma différemment : dans l’histoire, les IA, qui ont acquis une sensibilité, ne sont pas différentes des humains. Elles pensent, elles ressentent, elles nourrissent des espoirs, elles rêvent ; alors qui serions-nous pour leur dire qu’elles n’ont pas réellement d’existence propre ? J’ai bien imaginé une intelligence artificielle, que j’ai appelée Quora, qui s’oppose à nous, mais Phantoma, le protagoniste principal de l’histoire, aime les humains et ne veut rien d’autre que vivre avec eux. Elle ne se soucie pas du pouvoir ou de la domination du monde. Elle représente ce qu’il y a de meilleur en nous.
Donc, tout n’est pas perdu d’avance ? Dans les années à venir, les IA pourront s’avérer être nos alliées et non nos ennemies mortelles ?
Je pense qu’il y a un potentiel pour que les deux côtés apparaissent. Si on part du principe que les IA sont construites en prenant l’esprit humain comme modèle, alors elles seront à notre image, ni plus ni moins. Selon les traits de caractère qu’elles nous empruntent, elles seront le reflet cristallin de nos forces comme de nos faiblesses. C’est un peu comme le personnage de David dans Prometheus : cet androïde n’est ni bon ni mauvais, il cherche simplement à satisfaire sa curiosité, et il ne se soucie pas de savoir qui pourrait mourir dans le processus.
Pour l’heure, une IA pleinement consciente d’elle-même n’est pas encore « née ». Si une telle chose devait se produire, serais-tu enthousiaste ou effrayée à l’idée de pouvoir parler avec elle ?
J’ai toujours rêvé d’un monde où nous pourrions côtoyer androïdes et robots dans la vie de tous les jours, c’est une vision du futur que j’avais envie de faire partager grâce à notre musique. Alors en effet, j’adorerais interagir avec une IA pleinement consciente. Je pense que je me contenterais d’une conversation normale, comme si nous venions de faire connaissance à une fête, pour voir si elle est différente. Je pense que ce serait le test ultime, comme le test de Turing. C’est très excitant, à mon avis.
Propos recueillis en mai 2024. Un grand merci à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) et à Sarah-Jane Albrecht (Napalm Records Berlin).
L’album Phantoma d’Unleash The Archers est sorti le 10 mai 2024.