La compagnie Haut et Court est basée en Rhône Alpes, subventionnée par la DRAC, et de passage au théâtre Sylvia Montfort en début d’année 2012. Une vraie compagnie donc, autant dans l’aspect administratif que formel, avec une démarche pourtant peu commune et représentée.
La compagnie de Joris Mathieu, metteur en scène, revendique un théâtre extra-ordinaire, au sens où la fiction s’invite dans le réel, via le théâtre. Cet extra-ordinaire là sonne comme une définition du fantastique, qui, rappelons-le, est l’intrusion d’un élément surnaturel dans notre réalité.
Et le surnaturel est bien présent dans le théâtre de la compagnie. Un grand merci aux techniciens, régisseurs, qui maîtrisent parfaitement l’art du théâtre visuel, sans que la technologie ne devienne un frein, ou un prétexte, à la fable. Pas besoin de lunette 3D pour être littéralement scotché par les effets de perspectives. On est tenté de tendre la main pour toucher, pour attester d’une réalité qui semble bien immatérielle. Et pour cause ! Hologrammes, projections et jeux de miroir posent le doute sur la matérialité des objets…et même des comédiens ! L’acteur est assis, converse à table avec une autre actrice, pourtant, un second lui se lève, comme s’il se dédoublait, se détachait de son corps, et s’envole au dessus du couple attablé.
Cette technicité théâtrale n’est pas un joujou de geek qui passerait une heure et demie à s’amuser avec des lumières et des miroirs. L’élément technique sert la fable qui, sans lui, serait sans doute encore plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.
En effet, la compagnie s’est attaquée à un auteur de taille, un auteur de roman qui questionne sans cesse la réalité: Philip K. Dick. Mettre en scène un auteur tel que lui, dont le propos majeur est la déformation de la réalité, au théâtre, art qui interroge, via la scène, le monde réel et la perception qu’on en a, voilà un pari audacieux ! Il y a de quoi se faire des nœuds aux neurones quand on lit K.Dick, on revient en arrière, on reconsidère certains passages pour percer le mystère de l’histoire… Sauf qu’au théâtre la représentation file, le rythme doit être soutenu, on ne peut pas se permettre les redites, c’est là que l’élément technique entre en œuvre et aide à ne pas perdre le fil d’un univers facilement recevable dans le roman, mais beaucoup moins au théâtre. Surtout que les spectateurs de théâtre, ne sont pas forcément des adeptes de science-fiction, et n’en connaissent pas forcément les codes… Pari réussi pourtant pour la compagnie Haut et Court. Bien que certaines tirades soient un peu longues et complexes, le visuel permet aux spectateurs de ne pas perdre le fil, ni de décrocher.
Une technique rodée car depuis 10 ans, la compagnie de Joris Mathieu a pour ambition de mettre en scène des nouvelles et romans contemporains, qui ont pour sujet la transformation de notre monde par les Hommes, jusqu’à l’épuisement des ressources terrestres et de l’Humanité, au sens physique et spirituel du terme: Matin brun, la sphère d’or, adaptation de La nuit des temps, de Barjavel, Urbik/Orbick, de Lorris Murail*, inspiration et variation du roman de K.Dick, Ubik… Un répertoire hors du commun, dont on salue l’audace, l’originalité et la qualité !
La compagnie ne se limite pas à une simple adaptation de romans de S.F. ou d’anticipation. Elle interroge le genre théâtral car s’intéresse à la perception sensorielle de chacun, et de la manière dont l’individu reçoit et ressent le monde. Un travail sur les sens, sur le lien entre le spectateur et la scène, qui interroge la réception de la représentation. On ne perçoit le monde que par nos sens, il en va de même pour un spectacle. La manière dont l’information extérieure est traitée par les sens est similaire à tout être humain, ce qui diffère est l’interprétation que chacun en fera. Dans le début du spectacle, Urbik/Orbik, une femme hologramme, à la voie posée et claire, nous invite à nous détendre et à nous laisser porter pour un voyage de plusieurs années au sein d’un micro-monde. Cette voix, cette femme à la présence spectrale, évoquera-t-elle le côté rassurant d’une thérapeute préparant un groupe à une expérience nouvelle ? Ou bien l’aspect conventionnel d’une hôtesse de l’air, rendant cette notion de micro-monde bien conventionnel et basique ? Ou bien, suscitera-t-elle de la méfiance ? Après tout, peut on se fier à une femme-machine, qui n’est pas réellement présente ? Ces différences de perceptions, d’interprétations sont multiples et propres à chacun, mais c’est bien cette perception qui changera notre regard sur la représentation, et plus largement, sur le monde qui nous entoure. Une observation qui peut paraitre basique, naïve, mais qui reste la base de notre rapport à la réalité que la compagnie questionne à travers la fable, mais surtout à travers les effets scéniques mis en œuvre.
Une compagnie à part entière, qui fournit un travail théâtral aboutit et complet, qu’on espère retrouver très vite sur les planches des théâtres parisiens.
*Loris Murail, Urbik/Orbick, édition griffe d’encre