Tous nos mythes et légendes ne datent pas de l’Antiquité ou des brumes du Moyen Âge. Certains sont beaucoup plus proches de nous, tels celui de Marilyn Monroe, une icône dont l’image, figée depuis soixante ans, continue d’exercer son pouvoir de fascination malgré les kyrielles d’actrices sexy qui lui ont succédé à l’écran.
Nous n’allons pas raconter ici toute l’histoire de Marilyn Monroe — tant d’autres l’ont fait avant nous. En revanche on n’aura d’yeux aujourd’hui que pour The Late Marilyn, court métrage et synthèse expérimentale imaginée par Natacha Thomas qui, en dix minutes, parvient à nous rendre évidents les travers pervers qui ont conduit Norma Jean à son destin tragique. Expérimentale car, comme à son habitude, la réalisatrice de Red Tale, Blossom et Alchemia élabore une narration privée des repères coutumiers des films de fiction, de même qu’elle ne se gêne pas pour imposer aux regards une Marilyn qui ne ressemble pas à son modèle. Nephaël, une première fois devant la caméra de Natacha Thomas dans Blossom, devient donc Marilyn, seule dans sa robe à paillettes, face aux projecteurs, face à son miroir, seule dans sa chambre, seule partout et privée de son identité réelle.
Comme les précédentes œuvres de la cinéaste, le film est sans dialogue mais pour la première fois, on entend des voix : celle des réalisateurs qui aboient leurs consignes de jeu à l’actrice, des présentateurs qui appellent « Marilyn » à les rejoindre sur une scène, et celle de Norma Jean elle-même, dont les paroles authentiques prononcées en off par Sarah Bonrepaux reproduisent jusqu’aux « hum » d’hésitation ponctuant les phrases de Monroe en interview. « Je n’ai jamais cherché à devenir Marilyn, c’est juste arrivé comme ça », avoue l’actrice, d’outre-tombe, alors que Nephaël gobe par poignées les somnifères fatals. Comme une destinée glaçante de martyr pour une femme dépossédée de son existence, jouant un rôle devant les caméras autant qu’à côté. Puisque les mythes font enseignement, interrogeons Natacha Thomas sur la sagesse qu’il y a à retirer de celui-là…
INTERVIEW AVEC NATACHA THOMAS
Natacha, la première image qui frappe dans The Late Marilyn, c’est le visage de Nephael dans le rôle de Monroe, qui ne lui ressemblait pas du tout. Nephael et toi aviez déjà travaillé ensemble auparavant, mais n’a-t-elle pas été surprise que tu lui proposes d’incarner ce rôle ?
L’idée n’était pas de présenter un sosie. Marilyn est un personnage de fiction dans ce film, elle n’est pas le personnage d’un documentaire. L’actrice incarnant Marilyn n’avait pas besoin d’être une blonde pulpeuse pour incarner Monroe. L’important pour rentrer dans la peau de Monroe était le regard, la profondeur, la fragilité dans la force. J’ai d’ailleurs «divisé» entre deux actrices le rôle de Marilyn Monroe, chaque actrice du film portant une Marilyn différente.
Nephael, d’un côté, interprète la Marilyn Monroe que l’on ne veut pas écouter, qu’on réduit au silence. Une Marilyn tentant de ne pas laisser montrer la tempête intérieure qui est en train de la manger. Sarah Bonrepaux, de l’autre côté, interprète la Marilyn Monroe dépossédée de son image, une Marilyn que l’on écoute enfin et qui fait le bilan de cette vie, la juge, se perd elle-même quand elle tente de faire elle aussi entendre que tout va bien quand elle est en train de perdre le combat.
À tes yeux, que représente Marilyn Monroe ? Elle est à la fois héroïne et victime dans ton film…
Comme tout le monde dans la vie, j’ai envie de dire. Nous sommes tous parfois héros de notre vie parfois victime, parfois même simple spectateur. On combat tous des démons plus ou moins présents selon les périodes, on profite tous des moments d’accalmie.
Pour moi, Marilyn Monroe incarne plus que son propre mythe. Ses citations mises en avant dans le film montrent une constante envie d’avancer, de réaliser ses rêves, une envie qui sera là jusqu’à la fin, une héroïne. Une envie qui se télescope régulièrement avec la peur de ne pas être aimée, une envie de faire taire la peur par tous les moyens, une envie d’arrêter le combat, une victime.
Le film contient des extraits audio authentiques, on entend les voix de George Cukor, de l’acteur Peter Lawford… On a la sensation que Marilyn est un jouet entre leurs mains, ainsi qu’elle apparaît entre les mains du comédien Romain Minart, qui interprète à la fois Kennedy et le photographe Milton Greene. Penses-tu qu’une vie et une carrière — et une fin — comme les siennes seraient encore possibles aujourd’hui ?
Nous commençons enfin à ne plus accepter à dénoncer certains rapports de force malsains dans le travail. Fort heureusement. et encore pas tout le temps….Cukor en l’occurrence est beaucoup moins violent que certains réalisateurs français qui ont eu une palme d’or…donc il ne faut pas croire que cela n’arrive plus. Peter Lawford et ses « blagues morbides » n’est lui aussi pas si éloigné de certains présentateurs se moquant ouvertement d’actrices, de starlettes, de personnages de la télé-réalité. Donc là aussi, je ne pense pas que malheureusement ceci est désormais impossible. C’est différent mais cela reste violent pour de nombreuses personnes, dans de nombreuses situations.
La carrière de Monroe serait différente plutôt à cause de l’évolution de la diffusion de l’info, pas de l’évolution des mentalités. D’ailleurs The Late Marilyn n’est pas un film d’époque… Pour ce qui est de sa vie et sa fin : elle n’est pas ici rattachée à la mentalité de l’époque, réellement. Marilyn meurt parce que Marilyn avait une maladie non traitée, Marilyn meurt parce qu’elle était écorchée vive.
La mort de Marilyn est demeurée un mystère, ce qui a contribué à sa « légende ». As-tu une intime conviction concernant son décès ?
Beaucoup de rumeurs évidemment autour de sa disparition : tuée par la CIA, par le clan Kennedy, par son psychiatre. Un point commun dans ces rumeurs : le fait qu’on refuse de croire qu’une femme si belle, avec l’adora4on de la planète entière, une carrière si riche se soit suicidée. Il n’y a rien de plus trivial. Marilyn Monroe faisait tout pour mourir (consciemment parfois, parfois inconsciemment) depuis longtemps. Le public a préféré imaginer des rumeurs parfois totalement improbables que d’accepter qu’une femme comme Marilyn pouvait ne pas être heureuse, pouvait être malade, accepter que Norma Jean avait enfin réussi à se réapproprier Marilyn en la tuant.
La scène du photographe qui prend le cadavre de Marilyn en photo dans son lit, est-ce une séquence totalement imaginée ou y a-t-il un fond de vérité dans ce que tu as mis en scène ?
C’est un mélange de réalités dans cette scène oui. Deux réalités sur sa mort : Marilyn Monroe a effectivement été découverte dans son lit au petit matin, le téléphone encore en main. Dès que l’info s’est propagée, des photographes se sont précipités pour prendre en photo la sortie du corps de la maison, un photographe, allant jusqu’à se cacher dans un casier à la morgue pour prendre en photo son corps après autopsie. Cette photo de charognard existe. Il y a vraiment eu une course à avoir « la dernière photo de Monroe ». Cette scène résume ces deux vérités et ouvre sur une autre réalité de la vie de Marilyn Monroe qui a été largement déshumanisée, considérée comme un objet à posséder.
Tu reprends quelques-uns des motifs qui te sont caractéristiques (les paillettes, les couleurs vives, les irisations de lumière, les gants noirs), ce qui confère au film une esthétique onirique plutôt que réaliste. La vie de Marilyn fut-elle un cauchemar à tes yeux ?
La vie de Marilyn est la vie, ni cauchemar absolu, ni rêve idyllique. Marilyn ici le dit elle-même elle n’est pas malheureuse tout le temps, mais effectivement vient un moment où le mauvais est plus lourd dans la balance. Le film oscille entre réalisme et onirisme… En fait l’onirisme sert à représenter les idées, les choses que le réalisme ne pourrait pas raconter aussi facilement.
Parmi les citations de Marilyn reprises dans le film, y en a-t-il une qui te tienne particulièrement à cœur et qui pourrait, éventuellement, constituer la morale à retirer de la vie de l’actrice ?
“They will only care when you’re gone” (Ils ne se soucient de vous que lorsque vous n’êtes plus là) et « I’m a failure as a woman. They expect so much of me, because of the image they’ve made of me — and that I’ve made of myself » (En tant que femme, je suis un échec. Ils attendent tellement de moi, à cause de l’image qu’ils ont créée de moi et de l’image que j’ai créée de moi-même).
Dans le(s)quel(s) de ses films préfères-tu Marilyn ? Y en a-t-il que tu adores, d’autres que tu détestes ? Te souviens-tu de celui dans lequel tu l’as découverte ?
Je suis bluffée par son jeu, son intelligence dans l’interprétation de la comédie mais je ne suis pas une fan inconditionnelle de Marilyn Monroe en tant qu’actrice. Elle est évidemment merveilleuse dans Certains l’aiment chaud, qui est le premier film que j’ai vu d’elle, mais c’est Norma Jean qui m’intéresse chez Marilyn.
Quelle diffusion envisages-tu pour The Late Marilyn ?
Nous allons déjà faire une avant-première un peu particulière le 11 mars, la période étant ce qu’elle est, et ensuite on verra ce que sera la vie !