Chanteuse, cascadeuse, comédienne, nageuse accomplie, kite-surfeuse… et surtout battante farouche toujours prête à lutter pour tracer dans la vie son sillon atypique. Vous savez déjà tout du profil unique de Jessica Wolff si vous êtes un fidèle de nos pages Musique. En revanche, la Finlandaise n’avait encore jamais poussé la porte de Khimaira. C’est aujourd’hui chose faite avec cet entretien réalisé à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Para Dice.
Khimaira : Au moment où nous parlons, ton album Para Dice figure dans le top 10 du classement hebdomadaire des meilleurs ventes rock & metal en Allemagne. Comment as-tu accueilli cette nouvelle ?
Jessica Wolf : C’est super, vraiment. À cause de l’épidémie de coronavirus et du confinement, on a passé des semaines dans l’immobilité et le silence, et il m’est arrivé pendant cette période de gamberger au sujet de l’album. Je me demandais ce que les gens en penseraient, j’étais plutôt nerveuse. Quand j’ai su que Para Dice était dans le top 10 allemand dès la semaine de sa sortie, j’étais aux anges. Je suis vraiment ravie que l’album plaise autant parce qu’il y a encore peu de temps, je me suis sentie hors du coup : le manager de Los Angeles avec qui j’ai travaillé pendant deux ans a fermé son business, il ne voulait plus bosser dans la musique… et du coup, je me suis aussi remise en question. Et puis j’ai rencontré mon mari, il m’a incitée à continuer. Il s’est exclamé : « Non mais tu plaisantes ? Tu as une voix d’enfer, tu ne peux pas t’arrêter ! » Et aussitôt il m’a emmenée passer la soirée dans un bar karaoké ! Aujourd’hui, me revoilà !
Tu es de retour avec un son nettement plus lourd et rock que dans tes deux premiers albums, Renegade (2013) et Grounded (2015)…
Très juste. En fait, tout est venu là aussi de mon mari : il est batteur, il a roulé sa bosse dans pas mal de groupes de metal. En ce moment, il joue dans un groupe de metalcore au son vraiment très lourd… Bref, un jour, après m’avoir vue en concert avec mes musiciens, il m’a fait remarquer que le son qu’on avait sur scène était beaucoup plus rock et « heavy » que dans les albums. Il m’a suggéré : « Pourquoi tu n’essaierais pas de retrouver ce son-là en studio ? ». L’idée m’a beaucoup plu.
Le titre de l’album est un peu curieux : que signifie-t-il ?
« Para », c’est le préfixe latin qui signifie « contre », comme dans « parachute », par exemple. On trouve l’idée de la lutte dans ces deux syllabes, il s’agit d’aller à l’encontre de quelque chose… Et « Dice » ce sont les dés, ils symbolisent à la fois le hasard et les pronostics qu’on doit parfois déjouer pour atteindre nos objectifs. Et le but essentiel de tout un chacun dans la vie, c’est d’être heureux, d’où l’allusion au paradis, « paradise ».
Le premier single tiré de l’album est Ella’s Song. La chanson parle de harcèlement scolaire et tu es apparue en 2018 dans un court métrage, Bullied, qui déjà abordait cette question. Tu sembles très concernée par ce problème…
Oui, ça a toujours été le cas, je veux dire depuis l’époque où j’allais moi-même à l’école. Même toute gamine, quand un autre enfant s’en prenait à moi pour je ne sais quelle raison, je le collais contre le mur et lui demandais ce qu’il me voulait. Idem lorsque je voyais un élève en rudoyer un autre, je ne pouvais pas faire autrement qu’intervenir en lui criant que ce qu’il faisait n’était pas normal. Je n’ai donc jamais été moi-même harcelée, mais j’ai toujours été consciente du problème. Quant à la chanson Ella’s Song, elle s’inspire d’une personne réelle, une victime de harcèlement scolaire dont la mère s’est adressée à une association caritative. La jeune fille n’allait vraiment pas bien, elle essayait d’éviter l’école et sa mère a cherché de l’aide où elle pouvait. C’est par ce biais que je les ai rencontrées. Je leur ai proposé d’aller marcher un peu ensemble, de parler, et peu à peu on en a fait une chanson.
Le ton d’Ella’s Song n’est pas triste ni misérabiliste, tu prêtes ta voix à une personne qui s’adresse ouvertement à ses agresseurs et qui se rebiffe…
Je me suis posé la question : fallait-il s’attarder dans les paroles sur les sentiments négatifs éprouvés par une victime de harcèlement ? Non, j’ai préféré raconter l’histoire d’une personne qui réagit et trouve en elle l’énergie de riposter.
Y a-t-il d’autres causes que tu serais prête à défendre ?
La lutte contre le racisme, sans aucun doute. En ce qui me concerne, je n’ai jamais prêté attention à la couleur de la peau, seulement à la personnalité des gens que je rencontre, et les préjugés racistes me dérangent énormément. Je suis aussi très sensible à la condition des femmes dans certains pays, notamment ceux marqués par le fondamentalisme musulman. Je me suis beaucoup documentée sur le sujet, et c’est une cause pour laquelle je serais prête à prendre la parole publiquement.
On a découvert récemment Superhero, un second clip. De prime abord, la chanson critique les attitudes machistes, mais le propos est plus large et plus subtil que ça : les paroles disent surtout qu’il faut savoir accepter les mains tendues quand on a besoin d’aide, et tant pis si on cherche à paraître fort et invincible…
C’est un bon résumé. Quant au clip, il m’a permis de mettre en scène des scènes de combat à mains nues. J’en avais déjà tourné pas mal auparavant — je suis également cascadeuse, depuis 2008 —, mais jamais pour un de mes clips.
Toi-même, as-tu eu besoin, dans la vie, de l’aide d’un « super-héros » tel que tu le définis dans la chanson ?
Oui, de l’aide de mon père : à chaque fois que j’ai des problèmes, je vais lui en parler. À lui plutôt qu’à ma mère car elle est plus encline au stress ! Mon père est comme une montagne, solide et calme, et échanger avec lui me permet toujours d’aller de l’avant. Lui et mon mari, ce sont mes deux super-héros.
L’histoire racontée par le clip me fait penser à un remake d’Eliza, le court métrage que tu as tourné en 2015, mais la situation est différente : dans Eliza, tu es une veuve qui venge la mort de son mari ; dans Superhero ton compagnon est en danger mais il est encore vivant, et tu peux le sauver…
À la fin d’Eliza, je viens à bout de la dernière personne responsable de la mort de mon mari. Mais que se passe-t-il ensuite ? Que peut-il y avoir après ? Le désir de vengeance est compréhensible, mais une fois celle-ci assouvie, on ne débouche pas sur grand-chose. De ce point de vue, Superhero est plus positif.
Dans tes clips, dans les courts métrages où tu es apparue, on peut reconnaître plusieurs visages d’un film à l’autre. Devant la caméra, tu règles leur compte à plein de types costauds, mais j’ai l’impression que, dans la vie, ce sont tous de bons amis à toi ?
(Rires) Oui, c’est juste. Comme je disais tout de suite, je suis cascadeuse et j’ai beaucoup d’amis dans ce milieu. Pour Superhero, j’ai fait appel à eux et, tout naturellement, ils m’ont offert leur assistance tout au long du tournage. Je les en remercie encore, car le clip a du coup coûté beaucoup moins cher que ce qu’il paraît. Je serais prête à en faire autant pour eux s’ils me demandaient, cela va de soi.
Le tournage a-t-il été facile malgré la crise sanitaire et les directives de sécurité à respecter ?
Non, l’arrivée du virus a compliqué les choses. Nous avions prévu de tourner en mars, juste au moment où l’épidémie a touché la Finlande. On a été obligés de tout reporter, et la sortie de l’album ayant été fixée au début de l’été, j’ai craint de ne pas réussir à tourner la vidéo à temps. Et puis les mesures de confinement ont pris fin début mai, alors j’ai relancé la machine et, en deux semaines, le film était dans la boîte ! Ce n’était pas gagné d’avance, ça a représenté beaucoup de stress… mais on a réussi !
Pour en terminer avec le sujet des super-héros, je sais que tu as tenu un rôle dans Rendel 2, qui doit sortir cette année. Peux-tu nous parler du personnage que tu joues dans ce film de super-héros finlandais ?
J’ai adoré ce rôle ! Il s’agit de celui de Marla, une femme dotée d’une double personnalité. À chaque fois que quelque chose la met en rogne, son alter-ego prend le dessus et elle change du tout au tout ! C’est sinon un personnage de nature assez froide, comme un serpent. Elle n’attaque pas d’emblée, elle est plutôt du genre à laisser l’ennemi s’approcher pour surgir d’un coup. Ça a été un personnage très amusant à jouer.
Une dernière question : quand la caméra tourne, tu es une adversaire redoutable, mais as-tu déjà dû jouer des poings dans la vraie vie ?
Eh bien oui, à plusieurs occasions. La plupart du temps, c’était pour venir en aide à une personne prise à partie et en difficulté. Dans ces cas-là, même si je déboule en plein milieu d’une altercation, les mecs hésitent beaucoup, ils réfléchissent à deux fois avant de porter la main sur une femme. Même si la nana cogne dur, ils n’ont pas les couilles de rendre les coups !
Propos recueillis par Skype le 1er juillet 2020. L’excellent album Para Dice est disponible depuis le 19 juin. Aucune tournée de Jessica Wolff et de ses quatre musiciens n’est prévue pour le moment, il faudra attendre que la situation sanitaire se décrispe encore un peu avant que le « Wolffpack » ne décide de revenir sur scène…