« Un courant glacial va souffler sur les ondes ! », nous a alertés dès juillet l’agence de presse en France de Skálmöld. Donc inutile de chercher plus loin les causes de la vague de fraîcheur qui nous a touchés au cœur de l’été : les ténors du metal islandais ont laissé grande ouverte la porte de leur studio pour nous révéler les dix pistes de leur nouvel album Ýdalir, disponible dans quelques jours. À Reykjavik, on a juste retiré les moufles pour serrer la main du guitariste lead Þráinn Árni Baldvinsson, qui a répondu à nos questions.
Khimaira : Bonjour, Þráinn. Je vais être honnête : même si je connaissais l’existence de Skálmöld, c’est avec ce sixième album que je découvre la musique du groupe. Et j’avouerai aussi que je ne m’étais jamais rendu compte que l’Islande partageait avec la Scandinavie le même patrimoine en termes de mythologie….
Þráinn Árni Baldvinsson : La mythologie nordique constitue une part énorme de notre culture. Encore aujourd’hui, il nous arrive de donner à nos maisons des noms tirés des anciennes sagas, et les enfants étudient à l’école nos histoires et nos légendes. C’est quelque chose qui est profondément ancré dans nos cœurs et dans nos âmes.
N’y a-t-il pas parfois dans ce qu’on appelle le « metal viking » une sorte de nostalgie d’un monde qui a depuis longtemps disparu ?
Non. Plein d’éléments de la culture nordique ancienne sont toujours en phase avec notre vie actuelle, en ce qui concerne les questions de morale, etc. Pour autant, est-ce qu’on souhaiterait vivre à l’époque des Vikings ? Certainement pas. Je tiens préciser au passage que contrairement à ce qu’on peut imaginer, la plupart des Vikings n’étaient pas de féroces guerriers mais simplement des fermiers qui n’aspiraient à rien d’autre qu’à vivre en paix.
L’étiquette de « metal viking » en ce qui concerne Skálmöld, est-ce d’ailleurs une appellation qui te convient ?
Eh bien non, je déteste qu’on nous enferme ainsi dans une catégorie ! « Viking metal », « folk metal »… tout ça, ce sont des étiquettes, comme tu dis, que les maisons de disques utilisent dans leurs plans marketing. J’ai déjà entendu plein de gens affirmer sans détour qu’ils avaient horreur du metal folk ou viking. Et après avoir découvert notre musique, il s’avérait qu’ils l’adoraient ! Tout simplement, ils se gardaient d’écouter quoi que ce soit venant de nous parce qu’on a cette étiquette que nous ont collée des commerciaux, des personnes qui elles-mêmes n’écrivent pas de musique. Dirait-on aujourd’hui d’un groupe comme Black Sabbath qu’ils font du « doom metal » ? On s’en fout ! Appelons ça du heavy metal et c’est tout. De ce point de vue, Skálmöld est un peu comme Iron Maiden, on envoie volontiers balader toutes ces appellations à la con !
Parmi vos choix artistiques, il y a celui de chanter dans votre langue, à la différence de nombreux autres groupes qui font le choix de l’anglais…
Cela tient au contenu même de nos paroles : nous écrivons en puisant dans notre patrimoine culturel, dans nos légendes, uniquement des choses avec lesquelles nous avons grandi. Et nous composons la musique qui nous plaît, pas pour nous plier aux exigences d’un marché. Nous sommes islandais, nous chantons en islandais. C’est aussi simple que ça.
Une langue dont j’aime beaucoup les sonorités, mais je pense que je suis comme la plupart des Européens du continent : je ne comprends pas un seul mot ! Pourrais-tu nous résumer les thèmes abordés dans l’album ?
Les chansons parlent d’Ullur, qui vit à Ýdalir. Les textes font intervenir un dragon un peu cinglé du nom de Níðhöggur, et nous avons aussi les trois Nornes, Urður, Verðandi et Skuld. Tout à coup, on les attaque. Les Nornes prononcent des paroles pleines de sagesse, Ullur les écoute et c’est lui le héros. Une saga épique très traditionnelle, je dirais.
D’où l’image du guerrier et du village en flammes sur la pochette de l’album… Donc tout cela est inspiré d’une légende bien connue des Islandais ?
Oui et non. Le personnage d’Ullur apparaît bien dans nos sagas traditionnelles, mais finalement pas tant que ça. Alors on a inventé des choses, trouvé d’autres histoires à lui faire vivre. C’est ce qu’on devrait faire avec tous les personnages cool des vieux récits, pour continuer à les suivre dans de nouvelles aventures.
Tu parlais à l’instant des Nornes, des personnages qui ont leur pendant dans d’autres cultures : c’est un trio de femmes qu’on peut très bien comparer aux Parques de la mythologie grecque…
Tout à fait. Les différentes cultures et religions se recoupent à de nombreux égards. Les Nornes sont des personnages à qui nous avons donné une grande importance dans notre histoire, et c’est pour cette raison qu’elles ont droit dans l’album à une chanson chacune !
Trois chansons dont Verðandi, qui à mes oreilles sonne autant comme une prière que comme un hymne…
Un hymne ? Super, j’adore l’idée ! J’en ai composé le riff principal ainsi que le solo de guitare. Je tenais à faire de ce morceau une pièce maîtresse de l’album, une chanson à la fois mélodique et accrocheuse. Et elle marche très bien jouée en concert.
Il y a aussi Ratatoskur, un titre assez heavy, je trouve, et si j’ai bien compris il est question d’un écureuil ? Pas la créature la plus bestiale qu’on puisse rencontrer…
Ratatoskur est en effet un écureuil bien connu de nos légendes. Il fait des allers-retours le long du tronc de l’arbre Yggdrasil pour porter des messages, depuis les racines jusqu’au sommet et inversement. Un job agréable et très important. Le petit animal est charmant mais attention, tant qu’il ne te mord pas !
J’ai remarqué que depuis la création de Skálmöld en 2009, la formation du groupe n’a pas changé alors que tant d’autres sont agités par des changements réguliers de personnel. J’ai comme l’impression, à voir vos photos et vidéos, que le line-up de Skálmöld est de ceux qui ne changeront jamais…
Quand le groupe a débuté, on s’est dit qu’il serait pour chacun d’entre nous la priorité numéro 1. Et c’est devenu notre crédo : impossible de changer ça, de même que le fait que nous resterions tous les six des amis. Nous avons quelques principes comme ça à l’intérieur du groupe, et ça marche plutôt pas mal. Tant que chacun suit les règles.
Il y a quelques mois, Skálmöld était en tournée avec Brymir et Finntroll, et vous avez donné plusieurs concerts en France. Je n’ai pas eu la chance d’y être mais à ce que j’ai pu entendre, ça a été de super soirées. En gardes-tu aussi un bon souvenir ?
Oui, parce que j’adore quand on vient jouer en France, tout particulièrement dans le Sud — même si j’aime aussi les autres régions. Le vin rouge est sensationnel, les fromages aussi… toute la gastronomie en général est formidable. Et pendant cette tournée dont tu parles, et après avoir joué à Paris peut-être dix ou douze fois dans le passé, j’ai finalement pu prendre le temps d’aller visiter la Tour Eiffel ! J’étais avec Björgvin, le chanteur du groupe, et nous avons trouvé un chauffeur Uber dès notre arrivée à Paris pour qu’il nous conduise directement à la Tour. C’était en tout début de matinée et il n’y avait personne à part nous ! C’était énorme, vraiment énorme.
Et vous allez pouvoir bientôt recommencer puisque vous serez de retour pour une tournée sur le continent à l’automne prochain, avec deux dates en France…
Oui, et je le répète : la France est un des meilleurs endroits au monde pour les concerts comme pour les visites. Il me tarde d’y être.
Je te remercie pour tes réponses, Þráinn. Tous nos vœux pour la sortie de l’album !
Merci à toi ! Et comme j’aime à le dire autour de moi, garde-toi du danger, reste toujours humble et fidèle à tes principes, et ne manque jamais d’être souriant envers ton prochain : « le bétail meurt, la parenté meurt, chacun est mortel, mais la réputation d’un homme qui a bien vécu ne disparaît jamais. » [citation tirée d’une des 165 strophes du Hávamál, ancien poème didactique exprimant les sages préceptes du dieu Odin — NdR]
Propos recueillis en août 2023. Remerciements à Anaïs Montigny (SLH Agency) et à Sarah-Jane Albrecht (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Ýdalir le 18 août 2023.