Fondé en 2002 par le multi-instrumentiste norvégien Morten Veland, Sirenia revient ce mois-ci sur le devant de la scène du metal symphonique avec Riddles, Ruins & Revelations. Un dixième album qui voit le personnel du groupe renouvelé pour moitié avec l’arrivée du Britannique Michael Brush à la batterie et du Français Nils Courbaron à la guitare. Et c’est vers la mezzo-soprano aixoise Emmanuelle Zoldan, frontlady du groupe depuis Dim Days Of Dolor en 2016, que nous nous sommes tournés pour tout apprendre de ce nouvel opus. Interview.
Khimaira : Bonjour, Emmanuelle. Nous sommes à quelques jours de la sortie du nouvel album de Sirenia. Quel est ton état d’esprit à l’approche de cette date ?
Emmanuelle Zoldan : Même si on n’est pas encore sortis de cette période compliquée où aucun concert n’est possible, cette échéance me rend optimiste, plus positive. Le reste du groupe est aussi très enthousiaste et impatient de pouvoir enfin partager cet album, qui sort avec un peu de retard étant donné les événements actuels. Il signifie beaucoup à nos yeux, il a été compliqué à créer compte tenu des circonstances, et on y a mis beaucoup de nous-mêmes.
Est-ce que tu t’es impliquée dans l’écriture ? Dans les paroles, notamment…
Non, paroles comme musique, tout est l’œuvre de Morten : les autres musiciens et moi-même ne participons pas au processus créatif, en tout cas pas pendant la phase de composition et d’écriture. Lorsque nous entrons en studio, les chansons sont déjà prêtes. Il peut m’arriver, cela dit, d’écrire quelques textes — c’est arrivé sur l’album précédent avec le titre Nos Heures sombres — et j’adapte aussi en français quelques lignes des paroles en anglais de Morten.
L’artwork est superbe : j’y vois un memento mori — un thème récurrent dans les paroles puisqu’il est beaucoup question de la mort inéluctable, de l’oubli. Ce qui n’est pas très joyeux…
L’aspect « dark » de l’album est indéniable, mais on peut l’interpréter d’une double manière, aussi bien l’artwork que les paroles des chansons. Le visuel de la pochette, je le trouve même lumineux : on peut le prendre comme l’allégorie de la mort, c’est juste, mais je préfère y voir l’arcane sans nom du tarot de Marseille — je m’intéresse beaucoup au tarot —, qui symbolise la transformation, le changement, dans un sens positif. Il signifie la fin d’un cycle et le début d’un nouveau, et cela représente bien la démarche actuelle de Sirenia. Les paroles de l’album sont très matures, elles font l’analyse de chemins de vie, elles parlent des expériences que nous traversons et qui ont un impact sur nos existences.
Sirenia fait partie des pionniers du metal symphonique, le groupe existe depuis 2002. Aujourd’hui le genre est presque sur-représenté. Le fait de se distinguer du travail des autres est-il une des préoccupations de Sirenia lorsqu’il est question de composer un nouvel album ?
Morten serait peut-être plus à même de répondre, cela dit je ne pense pas trop m’avancer en affirmant qu’il ne travaille pas dans cet esprit-là, pas plus qu’il ne compose en essayant de correspondre à une éventuelle attente. C’est quelqu’un qui a énormément de choses à exprimer à travers sa musique, et il le fait en complète indépendance. Pour ma part, moi qui connais Sirenia depuis les débuts, je trouve que c’est un groupe qui s’est toujours inscrit dans une démarche de recherche, d’innovation, et qui ne s’est jamais contenté de reproduire la recette d’un succès. Chaque album est allé explorer des pistes nouvelles.
Une des caractéristiques de ce nouvel album est d’être orné de sonorités électroniques. Est-ce une orientation prise en commun par les membres de Sirenia ou est-ce une idée de Morten ?
C’était un choix de Morten, mais on a tous été d’accord pour le suivre dans cette voie. En fait, on avait déjà expérimenté cet habillage électro dans l’album précédent, dans une moindre mesure. Là, on a décidé d’y aller plus franchement, dans une volonté d’apporter un son plus moderne et frais à l’album.
Downwards Spiral est un de mes titres préférés, c’est la compo la plus longue et je trouve qu’elle a un petit je-ne-sais-quoi très eighties, les lignes de chant masculin, surtout, assurées par Joakim Næss…
Ce n’est pas la première fois qu’on enregistre un duo avec lui, j’aime beaucoup la voix de ce gars ! Et oui, je ressens aussi ce petit feeling des années 1980 quand je réécoute ce morceau, et je pense en effet que le timbre de Joakim y est pour beaucoup.
Enchaînons avec la présence étonnante en fin d’album d’une reprise de Voyage Voyage de Desireless, un titre emblématique de la variété française des années 1980. Qu’est-ce qui a motivé cette reprise — très réussie, d’ailleurs — pour le nouvel album ?
Figure-toi que l’idée n’est pas venue de moi mais de Morten ! Voyage Voyage n’a pas eu de succès qu’en France, elle a aussi bien marché à l’étranger, par exemple dans les pays scandinaves et notamment en Norvège. Morten apprécie énormément ce titre, au point que lorsque nous sommes en tournée et qu’on remonte dans notre car après un concert, Voyage Voyage est le premier morceau de la playlist qu’on passe à bord, pour faire plaisir à Morten ! Si bien qu’un jour il a eu l’idée d’enregistrer une reprise de la chanson, tant il l’adore… On a été perplexes, je ne le cache pas, car ce n’était pas évident d’imaginer ce morceau pop joué dans le style de Sirenia ! Il nous a fait écouter une démo qu’il avait déjà enregistrée, et on a été emballés. La chanson dans la boîte, on a trouvé le résultat tellement réussi qu’on a décidé de le garder pour le prochain album.
Le premier single extrait du nouvel album, c’est Addiction No 1 et, comme le titre l’indique, il y est question des addictions, un terme ambivalent aujourd’hui : certains donnent dans l’hyperbole et vont complimenter une œuvre, roman ou série, en la qualifiant d’addictive, de même qu’on se déclare parfois avec enthousiasme « addict » à ceci ou cela. La chanson et le clip ont-ils pour vocation de redonner au terme toute sa gravité ?
Le clip, je dois reconnaître, est très orienté dans ce sens-là : il y est question de comportements addictifs au jeu, à l’alcool, à la drogue… Cependant les paroles abordent la question sous un angle plus général. C’est amusant que tu me fasses cette remarque car pas plus tard qu’hier, en interview, quelqu’un s’est étonné de me voir sourire autant dans le clip alors que la chanson traite d’un problème grave. C’est parce que l’addiction peut être aussi très positive — je parle ici d’addiction à une personne, à l’amour, et dans ce cas-là on éprouve un sentiment grisant et stimulant. Voilà pourquoi la chanson n’est pas à prendre dans un sens uniquement négatif.
Le titre suivant sur l’album, Towards An Early Grave, a, je trouve, des accents très baudelairiens, et j’en dirais autant des paroles en français qui sont disséminées dans d’autres chansons de la tracklist. La poésie romantique est-elle une de tes sources d’inspiration et d’évasion ?
Oui, tout à fait, j’adore ces images et cette ambiance dark, bien qu’une fois encore, tout cela véhicule un message positif : Baudelaire comme Edgar Allan Poe sont des auteurs qui m’ont toujours inspirée et stimulé ma créativité.
Tu as intégré Sirenia il y a cinq ans après avoir suivi une formation en chant classique : tu es issue des conservatoires d’Aix et de Marseille, et tu as chanté dans plusieurs opéras…
Je suis en effet lead singer depuis 2016, cela dit je collabore avec le groupe depuis beaucoup plus longtemps, depuis 2003 : c’est cette année-là que j’ai commencé à chanter en tant que choriste dans le « Sirenian Choir ». En y repensant parfois avec les autres membres de Sirenia, on se dit qu’on aurait pu gagner pas mal de temps si j’avais commencé à chanter en soliste beaucoup plus tôt ! Mais voilà, en 2003, je ne voyais pas les choses sous le même angle qu’aujourd’hui, et ça aurait été beaucoup plus compliqué pour moi à l’époque de trancher et de m’orienter entièrement vers le metal aux dépens de mon activité dans le chant classique.
Quelles réactions as-tu recueillies autour de toi lorsque ta collaboration avec Sirenia en tant que chanteuse principale a été officielle ?
Les réactions ont été assez mitigées : les gens de mon entourage qui me connaissaient bien et savaient que j’ai des goûts diversifiés n’ont pas été surpris, ils ont parfaitement compris ma décision. Sinon, je sais que j’ai été critiquée : le milieu de l’opéra est connu, à juste titre, pour ne pas être très ouvert à ce qui existe en dehors du classique, et on y voit d’un mauvais œil que les chanteurs puissent s’aventurer dans d’autres genres musicaux.
Dans le titre du nouvel album, il est question de révélation. As-tu toi-même connu l’expérience d’une révélation ?
Ma découverte du metal — c’est ce qui me vient naturellement à l’esprit ! Avant cela, j’ai écouté beaucoup de rock et de pop, les grands classiques de ma génération, mais pas vraiment de metal. Et puis, au fil de mes collaborations en studio d’enregistrement avec divers groupes — Sirenia mais pas seulement —, je me suis intéressée de plus en plus au genre et, en creusant et en explorant, je me suis rendue compte que c’était un style musical qui rassemblait tout ce que j’aime. Ensuite, je peux te parler d’une seconde révélation, beaucoup plus récente, celle de ma vocation à la transmission en donnant des cours de chant : on m’a déjà sollicitée dans ce sens par le passé, sans que je sois à ce moment-là disponible ou simplement disposée à m’engager dans cette voie. Et finalement, les longues semaines passées l’an dernier à la maison m’ont fait réaliser que c’était une activité tout à fait envisageable, et je me suis lancée ! Je m’adresse à des élèves de tous âges et de tout niveau, aussi bien des enfants de 10-12 ans que des retraités. Il faut m’adapter à ce qu’ils souhaitent, aux styles qu’ils veuillent travailler, aux émotions que le chant fait naître en eux également. Et c’est super intéressant !
Tu es aussi devenue, ainsi que les musiciens du groupe, un personnage de fiction, dans le roman fantastique Les Vortex d’Übelmanium d’Oksana et Gil Prou, sorti l’an dernier. C’est un destin qui n’est pas banal, devenir héros de fiction. Comment as-tu accueilli ce projet de roman et qu’as-tu pensé du résultat ?
Je t’avoue que quand j’ai reçu le premier message de Gil Prou pour me faire part de son idée, j’ai été perplexe… D’abord parce que je ne connaissais pas les auteurs, je n’avais jamais lu leurs romans, et j’avais du mal à m’imaginer moi-même dans l’histoire qu’ils avaient en tête, n’étant pas une grande lectrice de fantasy. Ils m’ont envoyé le synopsis, que les autres membres du groupe ont aussi lu — car il fallait l’accord de tous pour donner le feu vert. Et donc le roman s’est concrétisé et j’ai été agréablement surprise du résultat. Bon, c’est un univers particulier, on adhère ou pas, mais tout était extrêmement bien décrit, avec de très bonnes idées, et je ne me suis pas du tout sentie trahie par l’image qu’ils ont dépeinte de ma personne.
Pour conclure, j’aimerais te demander quel est le dernier album, tous styles confondus, que tu as découvert ?
Le dernier album de Dream Theater, Distance Over Time. Il est sorti il y a quelques mois.
Et quel est le dernier album que tu as adoré de la première à la dernière note ?
Le même ! J’avais beaucoup d’attentes au sujet de cet album car je suis une très grande fan de Dream Theater. Et je n’ai pas été déçue. Je l’ai écouté de nombreuses fois et je suis sûre qu’il me reste encore plein de choses à y découvrir.
Merci beaucoup, Emmanuelle, d’avoir pris le temps de répondre à ces questions !
Je t’en prie, merci à toi pour cette interview !
Propos recueillis en janvier 2021. Special thanks to Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) and to Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Riddles, Ruins & Revelations le 12 février 2021.