Nous retrouvons Fabio D’Amore, le bassiste de Serenity, que nous avions rencontré une première fois en 2020 à la sortie de l’album The Last Knight (vous pouvez (re)lire ici l’interview). Fabio revient pour nous parler de Nemesis AD, le nouvel LP du groupe autrichien, disponible le 3 novembre chez Napalm Records.
Khimaira : Le groupe et toi avez choisi le peintre et graveur allemand Albrecht Dürer comme figure centrale de ce nouvel album. Que représente cet artiste pour vous ? Tu es italien, et on sait que Dürer avait des liens importants avec l’Italie, il a passé du temps à Venise…
Fabio D’Amore : Pour nous, le personnage de Dürer était déjà « dans l’air » depuis un certain temps car ce n’est pas la première fois que nous l’évoquons : en 2011, dans l’album Death & Legacy, nous lui avons déjà dédié une chanson et un clip, When Canvas Starts to Burn. Son travail nous a fortement impressionnés lors de nos recherches quand nous avons composé ce morceau. C’est ainsi que l’idée a germé et, au bout d’un moment, on a décidé de lui consacrer un album entier.
Ce n’est pas la première fois non plus que vous mettez en avant une figure illustre de la Renaissance : en 2016, Serenity a enregistré Codex Atlanticus, un album dédié à Léonard de Vinci. Le « Rinascimento », est-ce une période qui vous passionne tous les cinq ?
Oui, mais pas seulement la Renaissance. Disons que c’est une fenêtre historique un peu plus élargie, qui va de l’avant à l’après. Pour faire le lien avec ta question précédente, Dürer a en effet eu des liens avec l’Italie et il a également eu des liens avec des personnages de nos albums précédents, comme De Vinci que tu viens de citer, et l’empereur Maximilien Ier.
Lesquelles des œuvres de Dürer vous ont directement inspirés pour écrire les chansons de l’album ?
Tout d’abord l’Autoportrait à la fourrure, une œuvre très énigmatique et que nous avons déjà montrée auparavant dans le clip When Canvas Starts to Burn, comme je l’ai dit, ainsi que dans le clip de la chanson Reflections (of AD) de ce nouvel album. Saint Michel terrassant le dragon, également, que nous trouvons très impressionnant, ainsi que Le Cavalier, la mort et le diable, qui a donné son titre à notre premier single, Ritter Tod und Teufel.
Comme tu viens de l’évoquer, les œuvres de Dürer sont souvent énigmatiques, elles sont riches en motifs symboliques et de nombreuses gravures et peintures font l’objet d’analyses très différentes. Avez-vous apporté votre propre interprétation de ces œuvres, ou vous êtes-vous appuyés sur le travail des nombreux exégètes qui ont travaillé sur le sujet ?
Nous laissons généralement notre imagination, et celle de nos auditeurs, jouer le jeu. C’est plus intéressant, ça laisse beaucoup plus de place à la créativité. Sans compter que quand on s’inspire d’un artiste de la trempe de Dürer, les idées de composition viennent de façon très spontanée. Nous avons donc eu beaucoup de plaisir à donner notre propre interprétation.
Que représente le personnage sur la pochette de l’album ? Pour moi il évoque à la fois un ange vengeur et une allégorie de la justice.
Comme tu vois, même pour l’artwork, il y a une interprétation de ta part, qui ne sera peut-être pas la même pour d’autres. Donc même ici, il y a beaucoup de choses que l’on peut imaginer. Nous avons essayé de rester dans un style qui, selon nous, pourrait rappeler Dürer. Mais tu as raison, quand même, l’image fait tout à fait penser à une figure d’ange vengeur.
Et c’est une chanson de messe qui ouvre l’album. Pourrais-tu nous expliquer le sens de cette introduction ?
J’ai eu le plaisir d’enregistrer personnellement ce chœur entièrement féminin, dans une église ici, à Maria-Thal, au Tyrol, en Autriche. Nous voulions nous inspirer de la chanson de Heinrich Isaac Innsbruck, ich muss dich lassen, car celui-ci était compositeur à la cour de Maximilien Ier et on pense que Dürer et lui ont été en contact, exactement à cette période.
Tu parlais à l’instant de Reflections (of AD), une chanson qui est sortie en single dans une version de quatre minutes. Mais sur l’album, elle dure le double : c’est un morceau complexe, avec des changements de rythme et de mélodie. Et c’est Dürer lui-même qui s’exprime à travers la voix de Georg. Quelles étaient vos ambitions lorsque vous l’avez écrit ?
Comme tu le dis, l’intention était précisément de donner une voix à Dürer, à travers Georg, et de consacrer un morceau à ses réflexions personnelles. L’alternance de mélodies et de changements de rythme symbolisent les différents états d’âme de l’artiste. Dans la version complète, c’est évidemment plus perceptible, même si s’il y a encore beaucoup d’intensité dans le montage de quatre minutes pour le clip.
Pour cet album, on remarque un changement de line-up avec l’arrivée de ton compatriote Marco Pastorino, qui est par ailleurs membre fondateur de Temperance. Comment en est-il venu à faire partie de Serenity ?
Marco et les autres membres de Temperance sont des amis de longue date. Nous avons beaucoup tourné ensemble, ensuite nous avons formé une sorte de « projet spin-off » avec Fallen Sanctuary. Nous n’en sommes pas à notre première collaboration. Marco a aussi participé à l’écriture et aux chœurs de l’album The Last Knight, et ça a donc été une décision presque naturelle de l’inviter à intégrer le groupe de façon officielle.
À ton avis, qu’est-ce qu’a apporté son style en tant que guitariste au son du groupe ?
Nous allons sûrement acquérir beaucoup de solidité en live, non seulement parce que Marco est un très bon guitariste mais aussi parce qu’il chante, dans les chœurs comme dans les voix principales. Nous avons donc un nouveau membre capable de faire les deux choses de manière impeccable. C’est gagnant-gagnant, en termes de solidité du son et des voix.
Je t’ai posé la question il y a trois ans, et je te la repose aujourd’hui : le groupe a souvent invité des voix féminines, à la fois sur scène et dans les albums, mais pas dans cet album ni dans le précédent. Est-ce décidément quelque chose dont vous ne voulez plus ?
Honnêtement, nous ne nous sommes même pas posé la question. Nous avions suffisamment d’éléments à nous cinq pour pouvoir apporter la dynamique nécessaire aux chansons de ce nouvel album.
Enfin, y a-t-il un original de Dürer que tu rêverais d’accrocher chez toi si une telle chose était possible ?
L’énigmatique Autoportrait à la fourrure ! Ce serait sûrement celui-là, du moins en ce qui me concerne !
Propos recueillis en octobre 2023. Remerciements à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) ainsi qu’à Sarah-Jane Albrecht et Juliane Baier (Napalm Records Berlin).