Le nom de James Herbert n’est pas aussi universellement connu que ceux de Stephen King, Graham Masterton ou Clive Barker, il n’empêche que l’auteur britannique (né en 1943, décédé en 2013), spécialisé dans l’horreur, a signé des œuvres remarquables dont certaines ont donné lieu à des adaptations au cinéma, telles que Les Rats, son premier roman, porté à l’écran par Robert Clouse sous le titre Deadly Eyes (1982, en français Les Rats attaquent) ou encore Haunted, tourné par Lewis Gilbert en 1995, avec Aidan Quinn et Kate Beckinsale.
Sanctuaire (en v.o. Shrine, « l’autel ») date de 1983. L’intrigue paranormale se déroule à Banfield, une petite localité du Sussex. Un gros bourg endormi et perdu dans l’Angleterre provinciale mais qui va devenir le théâtre d’événements sensationnels : la jeune Alice Pagett, onze ans, née d’une mère fervente catholique et d’un père athée, reçoit à plusieurs reprises la visitation de la Vierge Marie. Les saintes apparitions ont pour effet de guérir d’un coup la fillette de sa surdité, elles semblent lui avoir également donné le pouvoir miraculeux de soigner les malades et les infirmes. D’une semaine à l’autre, Banfield est en pleine effervescence et pourrait bien devenir un nouveau lieu de pèlerinage, à l’égal de Lourdes. Le clergé soupire d’aise à la perspective d’un regain de foi dans la population, tandis que les marchands du temple, commerçants, hôteliers, restaurateurs, se frottent les mains en songeant à l’afflux inévitable des touristes. Cependant, les facultés stupéfiantes de la jeune Alice sont-elles réellement d’origine divine ?
L’intrigue met un peu de temps à se mettre en place, cela dit le portrait collégial que le caustique James Herbert brosse de la petite communauté ne manque pas de mordant. Pour l’essentiel, nous vivons l’histoire en suivant les investigations de l’ambitieux Gerry Fenn, un jeune reporter salarié dans une feuille de chou et qui se rêve en digne successeur de Woodward et Bernstein (les deux journalistes du Washington Post qui révélèrent le scandale du Watergate). Surfant avec à-propos sur les succès en salles du moment (le roman fut écrit au début des années 1980, je le rappelle), Herbert a tôt fait de nous rendre le bonhomme sympathique en le décrivant comme un sosie du comédien Richard Dreyfus (qui connut à cette époque la renommée en jouant dans les inoubliables Les Dents de la mer et Rencontres du troisième type, de Spielberg). Fenn a des histoires de cœur un peu mouvementées, il a du mal à concilier sa carrière journalistique et sa vie sentimentale, d’autant que l’affaire des apparitions et guérisons miraculeuses convoque sur le sol britannique des reporters de tous horizons, dont une reporter US « aux petits seins impatients » du Washington Post !
L’Anglais et l’Américaine, à la fois complices et concurrents, fouillent dans l’Histoire de la petite ville de Banfield, mettant peu à peu au jour des faits scandaleux qui remontent à plusieurs siècles et qui pourraient expliquer les pouvoirs d’Alice, la gamine faiseuse de miracles. Au fil des chapitres, l’horreur grignote et prend ses droits, le suspense monte… À un moment, on craint que l’auteur sorte platement un épouvantail spectral de son chapeau, risquant de faire basculer son roman dans un banal récit de série B, mais heureusement il n’en est rien : les origines de l’esprit malin de l’histoire (car il y a bien une présence démoniaque à l’œuvre) nous seront contées dans un long flashback chargé d’un érotisme fort appréciable, délicieusement sacrilège, auquel répondra dans les ultimes pages un dénouement d’une intensité féroce. Au final, la plume d’Herbert n’épargne pas grand monde, et l’auteur traite sans état d’âme sur un pied d’égalité les opportunistes de tout poil et les esprits faibles, potentiellement fanatiques, prêts à succomber à l’hystérie de masse et à l’espoir illusoire de miracles venant à point nommé résoudre les calamités. Un excellent roman, donc, à (re)découvrir à la faveur de cette réédition en format poche, dans les librairies depuis le 19 septembre 2018.