Vendu comme un film de guerre rentre-dedans, Rogue One se veut en décalage avec les autres volets de la série Star Wars. S’il témoigne bien de quelques élans d’originalité, ce prélude à l’Épisode IV — A New Hope ne fait pas longtemps illusion, vite rattrapé par sa nature évidente de blockbuster de Noël coproduit par Disney, grand-public et inoffensif.
Avec Obi-Wan/Merlin, Han Solo/Lancelot et Luke/Arthur, A New Hope de George Lucas, avec ses « chevaliers » Jedi, était truffé d’emprunts à la légende arthurienne. Signé de l’Anglais Gareth Edwards (le soporifique Godzilla de 2014), Rogue One s’inscrit plutôt dans la tradition du western. Le film débute par une scène typique du genre, dans une ferme isolée dont les occupants — une petite famille sans histoires — reçoivent soudain la visite d’étrangers mal intentionnés, des soldats de l’Empire (on trouve cette entrée en matière dans Le Bon, la brute et le truand de Leone, et Tarantino s’est amusé à reprendre la même mise en scène en ouverture d’Inglourious Basterds, lorsque les nazis débarquent chez Denis Ménochet). Le fermier a les traits anguleux de Mads Mikkelsen, l’ordure qui vient lui rendre visite est joué par Ben Mendelsohn. Le dialogue nous apprend que Mikkelsen fut autrefois un sbire de l’Empire (autrement dit, un membre d’une bande de hors-la-loi, depuis repenti), que le passé vient rattraper pour le faire renouer avec ses anciens comparses. Après quelques minutes d’échanges tendus, ça va être aux colts de parler…
Situé en grande partie dans des décors désertiques, parsemés de villes-comptoirs aux allures de « pueblos » poussiéreux, Rogue One est donc un western, tout du moins dans sa première moitié, où les multiples péripéties, parfois laborieuses, ont pour dessein d’assembler un groupe d’individus disparates et les jeter plus tard dans la gueule du loup, dans une base militaire de l’Empire. Il y a Forest Whitaker dans le lot et, en vedette, Felicity Jones a du chien. Mais on a quand même du mal à s’attacher à ces personnages, aux backgrounds très elliptiques, guère plus épais que des héros de films d’animation Disney (Diego Luna, dans le rôle de l’aventurier à barbiche, ressemble même comme deux gouttes d’eau à Flynn Rider dans Raiponce). Ajoutons que la star de Hong Kong Donnie Yen, en émule de Zatoichi, vient faire du kung-fu en aveugle et manier le bâton de samouraï (dans une galaxie lointaine, c’est bizarre-bizarre, pour ne pas dire absurde), et que l’Asie est aussi représentée par le droïde rigolo K-2SO, un agent comique efficace mais au design un peu trop inspiré de celui du robot du merveilleux Le Château dans le ciel (1986) d’Hayao Miyazaki.
Les héros, soudés par la cause anti-impériale, vont tenter de dérober pour le compte de l’Alliance rebelle les plans de l’Étoile de la mort, celle-la-même qui réduira en poussière Alderaan, la planète de Leia, dans l’Épisode IV. Dans sa deuxième heure, Rogue One prend une dimension tragique un peu forcée (on sait depuis 1977 qu’aucun des personnages ne doit revenir dans la suite, il faut donc tous les liquider !) et devient un film de commando hélas sans adrénaline, dont le caractère funèbre est largement gommé par les visées grand-public de la production : on n’est pas chez John Millius ni chez Sam Peckinpah, la violence est ici toute théorique, sans effusion de sang, avec d’anonymes stormtroopers qui n’opposent qu’une résistance de principe et s’écroulent tels un jeu de quilles blanches à la première bourrasque !
Présenté comme un « spin-off », ce qu’il n’est pas vraiment (pour voir une telle chose, il faut remonter au téléfilm de Jim et Ken Wheat Les Aventures des Ewoks — La Bataille pour Endor, en 1985), Rogue One contient quelques clins d’œil aux autres films de la saga : la silhouette de Darth Vader, dans deux scènes seulement (mais très réussies !), est à même de provoquer chez les fans le plus grand nombre de picotements spinaux. Autre réapparition notable, celle de Grand Moff Tarkin, l’officier commandant l’Étoile de la mort, toujours joué par… Peter Cushing, 22 ans après la mort de l’acteur ! Un raccord indispensable avec l’Épisode IV, rendu possible par l’outil numérique. Pour qui ne serait pas au fait de la supercherie, cette résurrection hi-tech peut passer quasi inaperçue. Autant dire qu’il ne reste plus beaucoup de temps avant que des clones informatiques puissent remplacer pour de bon les comédiens de chair et d’os. Il me tarde de voir Christopher Lee jouer de nouveau Dracula (et du coup retrouver face à lui Cushing en professeur van Helsing !).
Écrit par des scénaristes qui connaissent forcément sur le bout des doigts l’univers Star Wars, Rogue One, un poil trop long (2h15), se clôt non sans habileté à la minute où démarre l’action de l’Épisode IV. Les plumes chevronnées — Tony Gilroy et Chris Weitz, pour ne pas les nommer — auraient tout de même pu se dispenser de conclure le show sur une note plutôt gênante, une copie indélicate de l’apothéose dramatique du film australien These Final Hours de Zak Hilditch. C’est sûr, ce dernier titre est loin d’être aussi connu que la saga de Lucasfilms, et il y a fort à parier que le plagiat (n’ayons pas peur des mots) passera comme une lettre à la poste aux yeux de millions de spectateurs. Tout de même, These Final Hours est un film très récent (tourné en 2013), c’est une petite production comparée à une machine de guerre comme ce nouveau Star Wars (nanti d’un budget dix fois supérieur !), et il est franchement irritant de voir l’Empire hollywoodien taper en toute impunité dans le patrimoine de nos congénères des antipodes.
Rogue One est sorti le 14 décembre 2016 dans les salles françaises.