Du livre événement de Philippe Sands est né cette bande dessinée fleuve qui nous entraine dans l’Histoire et celle de la famille de l’avocat international.
Une invitation en 2010 pour donner une conférence sur les travaux concernant le génocide et les crimes contre l’humanité à Lviv et un retour aux sources sur les origines familiales de l’avocat qui vont entrer en lumière et ne plus le quitter pour une enquête pharaonique, dans les archives, la rencontre des derniers témoins, les mémoires assoupies et l’Histoire de cette catastrophe que furent la Shoah par balle et dans les camps de la mort.
L’album est divisé en grandes parties qui n’en finissent pas de se faire échos. La conférence à Lviv d’abord, puis une plongée dans le passé familial et de l’histoire mondiale : Léon son grand-père qui n’a jamais rien dit, n’as jamais voulu parler de quoi que ce soit et c’est l’occasion (en évoquant ses origines) de repartir du début du XXème siècle et de rappeler que la région de Lemberg devenue Lviv a été occupée, prise et reprise par de multiples acteurs (les adultes et les plus âgés des lecteurs pourront trouver profit de la lecture de l’excellent titre de l’historien Omer Bartov Anatomie d’un génocide). Ainsi avec l’auteur on remonte le temps et on découvre peu à peu des facettes de la vie de ses grands-parents et de sa famille disparue dans l’horreur.
On retrouve aussi les vies et les destins d’hommes et de femmes de la région comme Hersch Lauterpacht ou Raphaël Lemkin, formés au droits dans la même universités et qui sont à l’origine de la construction du droit international d’après-guerre au moment de Nuremberg notamment et pour Lemkin de la notion de génocide. Des hommes et des femmes qui renaissent au fur et à mesure des recherches de Philippe Sands, des gens biens, emportés par la tourmente de l’Histoire, les destins, les amours brisés, des familles évanouies dans les cendres de camps ou la boue des fosses à l’est de l’Europe. Patiemment l’auteur rencontre des descendants, des témoins des procès, le fils d’un des condamnés de Nuremberg qui a renié son père. Une large part est également faite au procès de Nuremberg, à ses enjeux et à Hans Franck ancien gouverneur général de Pologne. Pour chacun d’eux on remonte aux origines (quand l’auteur le peut) et on découvre la complexité des situations à l’est, l’étau qui s’est refermé sur les communautés juives et très vite l’impossibilité de fuir. Cette reconstruction minutieuse et passionnée fait rencontrer la vie de la famille de l’auteur avec la Seconde Guerre mondiale dont ils ont été les acteurs, souvent victimes. C’est un véritable puzzle passionnant, ardu que nous proposent les auteurs de la BD et nous permet aussi de comprendre un peu mieux les enjeux de la construction du droit international.
Passionnant, bluffant par les illustrations en noir et blanc et leur minutie des décors, des costumes et des évènements de l’époque, ce très long récit est totalement réussi et nous donne à réfléchir et à comprendre notre monde contemporain, on oserait l’espérer d’éviter de commettre à nouveaux les mêmes erreurs. On retrouve avec une grande émotion la magnifique photographie de Léon et Rita le jour de leur mariage, essentiel pour bien comprendre qu’ils ont été des gens comme les autres, jusqu’au moment où d’autres en ont décidé autrement. Les photographies de la fin du dossier sont un vrai plus, une trace de plus dans cette mémoire qui ne doit jamais s’éteindre. Une bande dessinée essentielle et brillante à mettre entre toutes les mains en âge de comprendre.