Au même titre que Molière, Baudelaire ou Rimbaud, Guy de Maupassant a le privilège de faire partie des auteurs que tous les citoyens français ont lu dans leur vie. On ne parle pas de l’œuvre in extenso, bien entendu, mais au moins de quelques textes, d’autant que la forme littéraire de prédilection de Maupassant, la nouvelle, favorise son étude en classes de collège et de lycée. Heureusement, on peut et on doit envisager l’auteur autrement que comme un nom indissociable des programmes et manuels scolaires. Le volume que nous tenons ici rassemble trente-six récits, trente-six « contes », constituant la somme des histoires fantastiques écrites par Maupassant. Un genre qui a beaucoup compté pour sa postérité, même si lesdits récits d’angoisse ne font pas la majorité de ses fictions : dans sa préface, Noëlle Benhamou, maître de conférence à l’Université (et titulaire d’une thèse sur l’écrivain normand), rappelle que Maupassant a signé trois cents nouvelles et six romans, et que la plupart puisent dans une veine réaliste. Néanmoins, à l’évocation du nom de l’auteur, qui ne pense pas immédiatement au célèbre Le Horla ou à La Peur, des titres qui naturellement trouvent leur place dans cette collection.
On le sait bien, Maupassant, né en 1850 et mort prématurément à 43 ans, fut un homme tourmenté, plusieurs fois interné car sujet à des épisodes psychotiques. La folie constitue un thème récurrent de ses écrits fantastiques : dans Le Horla mais aussi dans Lettre d’un fou, le narrateur se figure qu’il est la proie d’un être invisible ; Madame Hermet a sombré dans la psychose depuis la mort de son fils ; Un Fou, remarquable dans sa progression dramatique, consigne dans les pages d’un journal intime le basculement inexorable d’un magistrat dans la folie homicide et le meurtre en série… Dans la même thématique, on tombe dès les premières pages du volume sur un récit étonnant et plutôt méconnu, le plus long de cette compilation, intitulé Le Docteur Héraclius Gloss, où l’on suit la déchéance drolatique d’un soi-disant « docteur ». L’homme est en fait un érudit, comme le furent avant lui son père et son grand-père, et au hasard d’une de ses innombrables lectures, le personnage se fait une religion d’une thèse fantaisiste sur la transmigration des âmes, la métempsychose, héritée des croyances de l’Antiquité. Le ton loufoque, les péripéties surréalistes effraient un peu moins qu’elles ne font sourire, faisant du titre l’un des plus singuliers de l’ouvrage.
Peut-être pour priver le lecteur de repères notamment chronologiques, ces Récits fantastiques ne sont accompagnés d’aucune date originale de publication. Et en l’absence de tout sommaire, il est de même impossible de se référer à un quelconque index pour retrouver un texte dans les presque 500 feuillets de la pagination. Une édition donc quelque peu malicieuse et par ailleurs réhaussée, à chaque entame de récit, d’illustrations simples et néanmoins fort belles et évocatrices, comme des clins d’œil graphiques, signés du dessinateur Tom Cuzor. Ajoutons enfin que la police de caractères judicieusement choisie pour cette édition rappelle le lettrage des imprimés du 19e siècle, un cachet et un souci d’authenticité qui donnent à ces incursions sur les terres de l’étrange l’allure de stimulants voyages dans le temps.
En librairie le 7 juin 2023.