Simon Radius n’est pas un psychanalyste comme les autres, il est doué de la faculté d’explorer physiquement les souvenirs de ses patients, même enfouis dans les plis et replis de leur inconscient. Cette capacité unique lui permet de résoudre les traumas les plus délicats, mais aussi d’apporter son assistance au capitaine Sandra Brody, officier de police judiciaire qui, au risque de faire sourciller sa hiérarchie, n’hésite pas à faire appel à lui pour mettre au jour, dans l’esprit des victimes comme des suspects, des indices que les enquêtes officielles sont impuissantes à relever.
Cette imposante intégrale rassemble les quatre aventures du « Psycho-investigateur », parues initialement entre 2005 et 2017. Pour l’occasion, l’éditeur a mis les petits plats dans les grands avec un volume de confection somptueuse qu’on éprouve le plus grand plaisir à tenir et manipuler : épaisse couverture cartonnée et ajourée (percée d’un trou de serrure), papier de fort grammage, format imposant 22×32 qui rend justice à l’incroyable travail de Benoît Dahan, qui cumule les casquettes de dessinateur et de coloriste. Déjà très au point dans le premier tome, intitulé Les Fantômes de la culpabilité, le style de Dahan se perfectionne et s’affine dans les épisodes suivants, pour culminer avec l’ultime chapitre, l’époustouflant L’Héritage de l’homme-siècle, longue aventure qui nous emporte, au gré des flash-backs mnésiques, dans les décors et ambiances du Liban et de l’Inde en période coloniale. Flamboyance des couleurs, finesse du trait, sens du détail, le tout au service d’une mise en page/en scène immersive qui se renouvelle constamment.
Un véritable spectacle, riche et envoûtant, et, en ce qui concerne le fond, l’argument surnaturel n’empêche pas les scénarios d’être très documentés pour tout ce qui touche à l’hypnose et la psychanalyse, avec notamment la présence de termes spécifiques dont la quantité est cependant pesée pour qu’ils ne deviennent pas envahissants. Quant à Simon Radius lui-même, les auteurs ont eu le bon sens de ne pas en faire un héros monolitique et infaillible. Bien au contraire : très à l’aise avec sa discipline, l’analyste n’en est pas moins un personnage tourmenté, hanté par la disparition mystérieuse de Dora, son épouse adorée. L’énigme fait office de fil rouge dans les trois premiers chapitres, au long desquels Radius croise par ailleurs toute une galerie de trognes fort expressives, antipathiques ou pathétiques, et quelques silhouettes séduisantes, voire érotiques (les femmes sont jolies et, au passage, on se demande pourquoi la blonde Maud, assistante dévouée, n’a de cesse de se balader pieds nus). Le tout au cœur d’intérieurs minutieusement dépeints, les bâtiments et logements mais aussi et surtout les territoires oniriques vertigineux de la mémoire et de l’inconscient, au gré de visions couvrant tout le spectre de l’étrange, du simplement inquiétant au carrément cauchemardesque ! Passionnant de la première à la dernière page, du grand art.
En librairie à partir du 11 octobre 2023.