« Je ne pense pas pouvoir un jour écrire un autre roman aussi triste et terrible que Paternoster », affirme Julia Richard dans une courte postface. La romancière aurait donc vécu une épreuve en faisant le récit du parcours de son héroïne, Dana, qui vit le grand amour dans les bras de Basil Paternoster, un bel avocat à l’avenir prometteur. Leur union est encore fraîche, quelques mois à peine, pourtant le jeune homme tient beaucoup à ce que l’élue de son cœur fasse la connaissance de ses parents (et, accessoirement, de son frère cadet, Théophile) en l’emmenant passer une quinzaine de jours en juillet dans la demeure familiale, une grande propriété au cœur des marais de la Dombes. Un changement radical de décor et d’ambiance pour la beurette parisienne, qui va vivre presque en apnée cette plongée dans un milieu social blanc et bourgeois qui n’a rien en commun avec le sien.
Julia Richard aime le cinéma d’horreur, elle a des références et, parmi les plus récentes, il y a Get Out de Jordan Peele, sur le thème duquel elle a fort joliment brodé cette nouvelle histoire. L’écrivaine est honnête, elle ne se cache pas de cette filiation en faisant dans les premiers chapitres une allusion claire au film (ainsi que l’a fait avant elle Patrick Sénécal quand il a écrit l’excellent Hell.com, inspiré d’Hostel d’Eli Roth). Julia glisse d’autres références, plus méconnues du grand public, par exemple le mémorable Teeth de Mitchell Lichtenstein, et l’on assiste aussi, plus loin, à un examen gynécologique pour le moins brutal digne de David Cronenberg, à l’issue duquel le médecin laisse entendre à la patiente qu’elle n’est pas normale. Des citations qui confirment à l’amateur d’épouvante qu’il est, en ce qui le concerne, en bonne compagnie, quand bien même la finalité du projet d’écriture n’était pas de donner résolument dans l’horreur : le propos de Paternoster tient en une étude sociologique et psychologique, et l’étrange naît de la confrontation du personnage principal, Dana, avec un tour d’esprit et des us et coutumes qu’elle a le plus grand mal à appréhender et décoder.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : le roman se fait plus d’une fois très inquiétant, parce qu’on vit l’histoire à travers les yeux de son héroïne-narratrice, mais aussi parce que les Paternoster constituent une assemblée tout de même insolite, à la culture familiale franchement bizarre. La rédaction a peut-être été, comme elle l’affirme, éprouvante pour Julia Richard, néanmoins on ne peut douter qu’elle se doit amusée à brosser ces portraits riches en tics et manies diverses, et nantis, entre autres, d’un sens de l’humour particulier dont Dana fait plusieurs fois les frais. Seul bémol, il est dommage que le style, au demeurant élégant, soit ponctuellement alourdi d’anglicismes devenus trop courants (l’absurde « inconfortable » à la place de « mal à l’aise ») et autres expressions-clichés à la mode — « zone de confort », « cocher toutes les cases », etc. —, agaçantes quand elles nous tombent dans l’oreille au quotidien et plus irritantes encore lorsqu’on doit les supporter dans un roman. Bon, il ne s’agirait pas non plus que le chroniqueur donne l’impression de pinailler, alors on peut pour finir complimenter Julia pour la construction savamment élaborée du roman qui, cerise sur le gâteau, réserve une chute, par définition surprenante, efficace, et qui, pour en revenir aux références cinématographiques, fait songer à la conclusion de Last Night in Soho d’Edgar Wright. À la différence notable que, contrairement au film, la manœuvre, ici, fonctionne car on est dans une œuvre littéraire et non les yeux devant un écran. Comprenne qui a vu et aura lu.
En librairie depuis le 12 mai 2023.