Non pas que la question soit sur toutes les lèvres, mais quand même : l’amour est-il possible entre une vivante et un zombie ? L’interrogation fut posée en 2011 par Isaac Marion et son roman Vivants, mais aussi, la même année, par l’Américaine Lia Habel, auteure de ce New Victoria dont voici une réédition en format poche, dans la belle collection Steampunk de Bragelonne. D’une ambition romanesque bien plus grande que le bouquin de Marion, New Victoria plante son décor à la fin du 22ème siècle, après qu’un enchaînement de catastrophes a chassé les humains survivants dans les régions tropicales. Ainsi, c’est sur le territoire de l’actuel Nicaragua qu’ont élu domicile les Néo-Victoriens, une communauté ayant eu l’idée de créer un nouveau monde, apaisé et ordonné, fondé sur l’esthétique et les valeurs de la société anglaise du 19ème siècle, la haute technologie en plus. L’héroïne de l’histoire, Nora, est une adolescente de 17 ans d’un tempérament fougueux mais bien sous tous rapports : elle ne sort jamais sans ses gants et son chapeau, et les cours suivis dans son pensionnat huppé lui apprennent tout ce qu’une demoiselle de la bonne société doit savoir. Cela inclut notamment le fait établi que, non loin de New Victoria, vivent ceux que l’on nomme avec mépris les « Punks », une peuplade de dangereux dégénérés libertaires, indifférents aux Victoriens et aux nombreux interdits dictés par leurs mœurs strictes et compliquées.
Une fois ces axes tracés, on entrevoit déjà la possibilité d’une love story entre la jeune fille comme il faut et un Punk ténébreux qui aurait l’audace de la saisir entre ses bras sales et musclés. Oui mais, comme je l’ai annoncé en tête d’article, New Victoria est avant tout une intrigue à base de zombies : un virus appelé le « Lazare » (vous comprendrez pourquoi) fait des ravages au-delà — et bientôt à l’intérieur — des frontières de New Victoria, et pour des raisons qu’on ne va pas développer ici, Nora se retrouve très vite exilée loin de ses délicates pénates, au cœur du camp de base d’une faction rebelle composée, pour l’essentiel, d’une joyeuse ribambelle de cadavres ambulants. Parmi eux, le jeune capitaine Abraham « Bram » Griswold, un cœur noble dans un corps de Punk mort-vivant…
De son propre aveu férue de culture zombie, Lia Habel s’est manifestement donnée corps et âme à la peinture haute en couleurs de son assemblée de macchabées, un cortège de silhouettes sympathiques et toutes très typées, que la mort n’a pas privées de leur sens de l’humour. Basculant d’un point de vue subjectif à l’autre (quatre personnages se partagent la narration), le récit habile jongle à la fois avec les codes du steampunk et ceux du récit de morts-vivants, et ménage une série de péripéties enlevées (périple en bateau, sauvetage en dirigeable, combats au sol, etc.), toutes reliées par le fil rouge de l’amour naissant entre les deux tourtereaux que tout oppose, Nora et Bram. Leur histoire, aux contours féministes et jamais nunuches (Habel s’autorise même une allusion assassine très claire à Twilight de Stephenie Meyer), est un bonheur de lecteur sans cesse renouvelé, et les dialogues, ultime compliment, sont formidables. L’aventure se poursuit dans un tome 2 que l’éditeur, bien entendu, a choisi également de ressortir en même temps que ce volume-ci. Je vous en reparle très bientôt.