Même si vous n’êtes pas fou des étiquettes, il vous est peut-être déjà arrivé d’énumérer in petto les différents sous-genres de la musique metal. Une collection de catégories — death, thrash, symphonique, power, black, etc. — parmi lesquelles on oublie parfois de citer le metal parodique. L’Italie nous a donné l’un des plus beaux fleurons du genre, Nanowar of Steel, en activité depuis 2003 et dont le cinquième album Dislike to False Metal sort cette semaine chez Napalm Records. Nous avons rigolé de tout ça avec le bassiste Edoardo Carlesi, alias Gatto Panceri 666.
Khimaira : Buongiorno, Gatto Panceri 666 ! Si je sais bien compter, Nanowar of Steel fête cette année son vingtième anniversaire. Avez-vous quelque chose en tête pour marquer le coup ?
Gatto Panceri 666 : Le fait de sortir un nouvel album cette année, déjà, c’est important. Mais en effet, on a aussi prévu un concert très spécial avec plein d’invités venant d’autres groupes : on va faire venir sur scène les musiciens avec qui nous avons déjà enregistré des chansons en collaboration. Ce sera le samedi 21 octobre au Club Alcatraz, une des scènes les plus prisées de Milan. C’est à la fois un rêve et un honneur de pouvoir s’y produire.
J’aime beaucoup l’idée qu’en vingt ans de carrière, la composition du groupe n’ait pas changé. La formation est restée la même pendant tout ce temps. Ce n’est pas fréquent parmi les groupes de rock/metal…
En ce qui concerne Baffo [un des deux chanteurs — NdR], ce n’est pas tout à fait vrai : il nous a rejoints en 2005. Mais je chipote, il n’a raté que les deux premières années du groupe ! Pour les autres, l’explication est simple : nous sommes des amis proches depuis bien longtemps. Potowotominimak, notre chanteur, habitait à côté de chez moi quand nous étions gamins, on a grandi ensemble ! Et les autres membres sont des amis de lycée. En plus d’être des fans de metal, on rit tous des mêmes conneries, et c’est aussi ce qui nous a rapprochés (rires) !
Nanowar of Steel s’amuse des clichés du metal, et en ouverture du nouvel album, il y a la chanson Sober, dans laquelle vous vous attaquez au « pirate metal »…
On s’en moque un peu, oui. C’est un style de musique où les pirates sont toujours présentés comme des fêtards et des soiffards, des amateurs de rhum et de bière, alors que les pirates, aujourd’hui, ils écument l’océan au large de la Somalie et ils n’ont rien à voir avec ça ! Ils ne picolent pas, ils ne s’empiffrent pas, ils font attention à être physiquement au top. Ce qui fait que notre chanson, Sober, c’est comme une actualisation de l’image du pirate dans le pirate metal. Tu trouveras la même démarche de modernisation avec le titre de l’album, où on a changé l’expression « death to false metal » en « dislike to false metal » : dans l’idée, c’est la même chose, sauf qu’à présent, les imprécations de ce genre, on les trouve sur Internet. Elles sont lancées par des gens qui ont une idée très arrêtée de ce que doit être le metal, et qui ne se gênent pas pour cliquer sur « dislike » partout où ils entendent de la musique qui n’est pas conforme à 100% à ce qu’ils aiment écouter.
En écoutant l’album, et en particulier la chanson Disco Metal, je me suis dit que pour rire à toutes vos blagues, il faut quand même être éduqué, notamment en matière de culture italienne. Pour relever toutes les références à Dante, par exemple…
Disons qu’il y a plusieurs niveaux de compréhension dans un morceau comme Disco Metal. Même si on ne comprend pas tout, on peut quand même trouver du plaisir à l’écouter, et d’ailleurs le clip qu’on a tourné a été très bien reçu dans le monde entier. Hors d’Italie, c’est sûr, il y a des références qui peuvent échapper à ceux qui ne sont pas familiers avec notre culture, mais ce n’est pas un inconvénient. En revanche, c’est un petit plus pour tous ceux qui reconnaissent les références et les comprennent.
Les vers tirés du chant VII de l’Enfer, est-ce qu’ils ont une importance particulière à vos yeux ?
« Pape Satan Aleppe », c’est un vers qui nous plaît beaucoup parce qu’il est très musical, très rythmé, et on a trouvé qu’il collait bien au thème de la chanson, qui parle de la mort, de l’au-delà, des zombies, etc. C’était vraiment cool de trouver à le glisser dans les paroles, mais on ne pouvait pas l’inclure isolément, alors on l’a fait précéder des vers qui l’accompagnent dans le texte de Dante.
Dante apparaît d’ailleurs dans le clip de Disco Metal, en chair et en os, et il a l’air beaucoup plus sympathique que son profil sur les pièces de deux euros !
(Rires) Oui, il est beaucoup plus relax, et il danse mieux ! Il a appris à se déplacer en moonwalk comme Michael Jackson !
L’abondance de références dans ce clip — de toutes sortes, car il n’est pas question que de la culture italienne —, est-ce un défi que vous vous êtes lancé en cherchant à placer le plus de clins d’œil possible, ou bien est-ce que c’est venu naturellement au fil de l’inspiration ?
Non, c’est naturel chez nous, c’est quelque chose qu’on a toujours fait, dans nos chansons comme dans les clips. Tout simplement parce que ça nous fait rire. Et ça crée un effet de surprise : les vers de l’Enfer, qui plus est en italien, tu ne t’attends pas à les entendre, et ça fait comme un petit choc.
Dante Alighieri n’est pas le seul pilier de la culture italienne, il y a aussi le foot ! Il en est question dans une chanson, Pasadena 1994, qui parodie le style de Sabaton. C’est drôle parce que les paroles font le récit d’une défaite, celle de l’équipe italienne contre celle du Brésil lors de la finale de la Coupe du Monde 94. Vous auriez pu choisir de chanter la victoire de 2006 contre la France, par exemple…
Comme tu dis, la chanson est une parodie de la musique de Sabaton, or les chansons de Sabaton parlent beaucoup de défaites. The Last Stand, par exemple, dans l’album du même nom — mon préféré de Sabaton ! — ou bien Bismarck… C’était l’idée : parler de ce match comme d’une défaite militaire, ce qui n’a rien d’absurde vu que pour nous, Italiens, le foot c’est comme la guerre (rires) ! Et je peux te dire que le temps ne change rien à l’affaire : près de trente ans après cette finale perdue contre le Brésil, on est toujours amers quand on y repense, c’est un souvenir lourd à supporter. Donc de ce point de vue, il n’y a pas de blague dans la chanson : OK, c’est marrant d’entendre Sabaton raconter un match de foot, mais c’est une histoire très triste pour nous !
En tout cas, l’imitation est parfaite, on jurerait entendre une chanson de Sabaton, d’autant que Joakim Broden a participé à l’enregistrement. Est-ce qu’il a collaboré à l’écriture ?
Non, il est venu enregistrer une fois la chanson écrite. On les connait, lui et Sabaton, depuis 2019 : ils nous ont invités à jouer dans le festival qu’ils organisent, le Sabaton Open Air, à Falun en Suède. Nous sommes depuis restés en contact et on a appelé Joakim pour lui proposer de chanter sur l’album.
Il y a une autre collaboration dans l’album, Winterstorm in the Night, avec la chanteuse suédoise Eleine. Cette fois, il s’agit d’une parodie de power metal épique, et on découvre dans le clip une Eleine beaucoup plus rigolote que dans ses albums. C’est quelqu’un qui, en général, chante sur des thèmes graves ou philosophiques…
Elle a fait le déplacement jusqu’à Rome pour enregistrer en studio et pour tourner le clip avec nous ! On ne se connaissait pas personnellement avant ça, on n’avait eu des contacts que par Internet, et elle a été très cool d’accepter cette collaboration. Comme tu dis, elle traite surtout de sujets graves dans ses chansons, et ça a été l’occasion de montrer que, comme tout le monde, elle aime bien rigoler aussi, quitte à se montrer sous un jour différent de ce qu’elle montre d’habitude. Tout le monde n’est pas partant pour ce genre d’expérience : il y a un certain nombre de personnes de la scène metal à qui on a proposé de venir déconner avec nous le temps d’une chanson et qui ont refusé !
Pourrais-tu me dire quelques mots sur Chupacabra Cadabra ? Un titre de neuf minutes, et c’est un peu le bordel à l’intérieur : on passe d’un style musical à l’autre, d’une langue à une autre, tout au long du morceau…
C’est aussi une chanson à plusieurs niveaux : il y est question du « Chupacabra » [créature fantastique du folklore sud-américain — NdR], mais en réalité il faut comprendre qu’on y parle du covid, de tout ce qu’on a vécu en 2020-21, des restrictions, etc. Le morceau est sans doute un peu long, je le reconnais, mais on avait l’ambition de parler des deux sujets à la fois, le Chupacabra et le virus, d’où cette durée inhabituelle pour nous et, comme tu dis, l’aspect un peu bordélique de l’ensemble. C’est un mélange de styles musicaux, le rythme monte, il redescend — un peu comme les courbes du covid !
Quant à la dernière chanson de l’album, elle traite du problème douloureux de la diarrhée, et on entend un tout petit peu de français dans les paroles…
Il a été enregistré par Fetus, le chanteur d’Ultra Vomit !
Ultra Vomit, qui est notre représentant français de metal parodique ! C’est un genre musical particulier, tout de même, vous n’êtes pas tellement de groupes à donner dans ce registre…
C’est vrai. À part Ultra Vomit et nous, il y a Steel Panther aux États-Unis, Spinal Tap aussi… Mais le genre existe quand même ailleurs, même si on n’en entend pas beaucoup parler. Les groupes qui font du metal parodique chantent souvent dans leur propre langue parce qu’il est difficile de faire de l’humour autrement que dans sa langue maternelle. En ce qui nous concerne, on parodie des genres de metal qui sont le plus souvent interprétés en anglais, il est assez logique qu’on enregistre beaucoup dans cette langue.
En 2019, vous vous êtes rendus en Espagne pour participer au télé-crochet Got Talent España. En général, ceux qui se lancent dans ce type d’émissions cherchent à se faire remarquer, et vous étiez déjà largement connus, avec quatre albums à votre actif…
On n’était quand même pas si connus que ça, je dirais même limite underground. Depuis, on a tourné dans pas mal de festivals, et à présent on a signé chez une major, Napalm Records. Mais à l’époque, notre public n’était pas aussi large que tu le penses. Alors on s’est dit qu’on pourrait grandir en faisant quelque chose de plus sérieux — pas sérieux en termes de contenu, mais en termes de notoriété. La production de Got Talent España nous a un jour contactés, ils avaient entendu le single qu’on avait sorti à ce moment-là, Norwegian Reggaeton, et ils nous ont proposé de venir chanter dans l’émission. C’était une chance à saisir car notre objectif véritable, c’était de nous faire connaître là-bas et décrocher notre ticket pour participer au concours de l’Eurovision : en Espagne, c’est le public qui vote — par sms, par internet — pour élire ceux qui vont chanter à l’Eurovision. Chez nous, ça ne marche pas comme ça. Pour représenter l’Italie, il faut avoir remporté le Festival de la chanson de Sanremo, et pour Nanowar, ça n’arrivera jamais ! Ce n’était pas non plus du tout cuit en Espagne, mais on ne perdait rien à essayer, qui ne tente rien n’a rien… Voilà comment on s’est retrouvés là-bas.
La production de l’émission vous a appelés, mais vous n’avez pas été bien reçus une fois sur le plateau. Les « juges » vous ont regardés comme si vous étiez des martiens…
Tout à fait ! On a cru qu’ils auraient la même sympathie pour notre musique que les producteurs de l’émission, mais pas du tout ! Risto, un des juges, a même appuyé sur son buzzer ‘non’ avant même qu’on commence à chanter ! On ne s’attendait vraiment pas à ça, ça nous a un peu choqués… Mais on ne regrette rien, l’expérience était quand même drôle à vivre. Depuis, on a de nouveau essayé d’être sélectionnés à l’Eurovision, cette fois pour représenter le San Marin, mais sans succès non plus. Dommage, parce que ce serait amusant, et pour un groupe comme nous, qui chantons dans plusieurs langues, ça pourrait bien marcher. N’oublions pas qu’une année, Lordi a participé au concours et ils ont gagné ! Et tout récemment, en Croatie, ils ont choisi eux aussi un groupe de rock parodique, Let 3, pour les représenter au prochain concours. Je les ai entendus, ils sont très bons !
Parmi les albums sortis ces derniers mois, tous styles confondus, aurais-tu un coup de cœur dont tu aimerais parler ?
Ça date d’un peu plus loin : il y a un ou deux ans, j’ai découvert Salmo, un rappeur italien. J’aime beaucoup ce qu’il fait. Sinon, si on peut remonter à plus loin encore, je dirais Dismember, le groupe suédois de death metal. Ils s’étaient séparés [en 2011 — NdR] et en 2019 ils ont fini par se reformer. Je suis fan de death metal en général, et j’adore tout particulièrement leur premier album, Like an Everflowing Stream.
Et récemment, qu’est-ce qui t’a fait le plus rire ?
La série de Netflix Planète Cunk ! C’est mis en scène comme un faux documentaire scientifique, avec une journaliste qui se veut professionnelle et sérieuse mais qui ne pose que des questions bêtes. J’ai trouvé ça très, très drôle !
Propos recueillis en février 2023. Grazie mille alle ragazze di Sounds Like Hell Productions, Anaïs Montigny & Magali Besson, ainsi qu’à Sarah-Jane Albrecht (Napalm Records).
Sortie de l’album Dislike To False Metal le 10 mars 2023.