Ce film au drôle de titre est le développement au format long d’un court métrage de la même auteure, Monster, tourné en 2005. Vous avez bien dix minutes ?
La « version longue » apporte davantage d’informations sur les personnages, elle leur donne aussi des noms : la maman se prénomme Amelia, son fils Samuel. Le garçonnet de six ans grandit sans son père, mort dans un accident. Amelia n’a pas refait sa vie. En dehors de son emploi d’infirmière, elle s’occupe exclusivement de son petit gars. Samuel lui donne du fil à retordre ainsi qu’au personnel de son école : l’enfant est agité, perturbé, il paraît terrorisé par la présence d’un croquemitaine qui serait caché dans la maison. Dans un premier temps, le « babadook » signale sa présence par le biais d’un livre pour enfants très flippant, venu d’on ne sait où et dont il est impossible de se débarrasser. Sa vilaine silhouette aux doigts pointus se cache-t-elle dans l’ombre des placards ? Sous le lit ?
Les terreurs enfantines s’accordent parfaitement avec les craintes des adultes. Amelia est nouée par l’angoisse de ne pouvoir faire face à l’éducation compliquée de Samuel. Le personnel de l’école primaire n’est pas de son côté, la direction lui colle aux basques deux émissaires des services sociaux qui viennent mettre leur nez dans sa vie. Par ailleurs, le comportement irrationnel du gamin amène Amelia à couper les ponts avec sa sœur, et mère et fils se retranchent peu à peu dans leur petite bicoque de banlieue hantée par le croquemitaine.
Grand gagnant de l’édition 2014 du Festival de Gérardmer (le film n’a pas remporté le Grand Prix mais s’en est adjugé quatre autres, sur les six possibles !), Mister Babadook (en v.o. The Babadook) est une très belle oeuvre, autant spectaculaire qu’intimiste, qui dépeint avec une justesse confondante ce double portrait d’une mère et de son petit, luttant âprement pour conserver leur droit à une vie heureuse, malgré les coups du sort, malgré les ombres griffues qui viennent gâcher le sommeil, ruiner les nuits. Jennifer Kent nous dit que faire le deuil d’un compagnon ou grandir sans son papa sont des faits aussi héroïques que celui de terrasser un horrible monstre. Mister Babadook est donc grave, certes, pourtant le film n’est jamais triste, jalonné de bulles d’humour dont la fantaisie ne manque pas d’émerveiller. Dans le rôle d’Amelia, Essie Davis, parfaite, donne la réplique au jeune Noah Wiseman, bambin dont les yeux immenses semblent refléter toute l’intelligence et la curiosité du monde. Face à eux, le Babadook est lui aussi un sacré personnage, fignolé par une équipe de graphistes passés maîtres dans l’art de donner corps aux ombres.
Sortie dans les salles françaises le 30 juillet 2014.