« Effrayant », « épouvantable », « monstrueux », « pire que Poutine » ! Les accroches en couverture du dernier numéro de Métal hurlant nous promettent monts et merveilles, et les serres crochues de la créature verte lovecraftienne en illustration n’ont pas l’air moins engageantes… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a là dedans pas le moindre atome de publicité mensongère : ce numéro 7 consacré aux monstres convoque une authentique orgie de cauchemars cruels et grinçants, comme d’habitude de styles extrêmement divers et, à la fois, d’une qualité étonnamment élevée et homogène.
Depuis Matrix en 1999, la réalité virtuelle et l’avènement des intelligences artificielles alimentent les craintes de nombreux amateurs de S.F. Ça ne s’arrange pas avec Innocence artificielle d’Otto Maddox et Antoine Dodé, variation sur le thème de Terminator où les machines traquent sans relâche pour les abattre les derniers représentants de la vermine humaine. Dans Kreas Inc. d’Harry Bozino et Sagar, ce sont aux humains d’être des ordures esclavagistes 4.0, en élevant un cheptel bovin qui a l’illusion de vivre paisiblement dans de verts pâturages alors que les pauvres vaches qui donnent leur meilleur lait sont en vérité connectées en batteries à des casques de réalité virtuelle. Dans un même ordre d’idées, Respect de Matthew Allison imagine un processus de transformation qui, à partir de l’an 2123, permet de convertir des millions et des millions d’« hommes-poulets » tout roses, littéralement tombés du ciel, en matière première alimentaire. C’est horrible et tout à la fois d’une drôlerie surréaliste assez irrésistible (quels dialogues !).
On ne va pas faire ici l’inventaire complet des horreurs flippantes ou amusantes que recèle ce numéro estival mémorable. Précisons tout de même qu’il n’y a pas que des BD mais aussi plusieurs articles passionnants et très documentés sur des sujets qui collent au thème général (notamment quatre pages de journalisme gonzo le long de l’autoroute qui passe par la célèbre Zone 51, ou encore un fort beau dossier sur les « freakshows » américains, c’est-à-dire les foires aux monstres où, jusque dans les années 1940, on exhibait des personnes difformes). Et il y a même des suggestions de lectures monstrueuses hautement recommandables caviardées tout au long de la pagination, non des parutions récentes mais des titres que tout amateur de déviances sulfureuses se devrait d’avoir dans les rayonnages de sa bibliothèques (et c’est là aussi fort cruel car on est appâté par des ouvrages difficilement accessibles aujourd’hui, par exemple Le Nécronomicon d’Hans Ruedi Giger, édité en 1977 par les Humanos et qu’on ne peut se procurer que d’occasion sur Internet moyennant plusieurs centaines d’euros !). Bref, en tout, pas loin de 300 pages de plaisir éditorial qui s’avalent pour ainsi dire d’une traite pourvu qu’on aime être étonné, chamboulé, voire malmené, par ses lectures.
Actuellement en kiosque et en librairie.