« Vive le métavers libre ! » On n’en est pas encore à déserter les rues et tous les lieux publics pour se réfugier dans la bulle de la Matrice, mais certains se soucient déjà de ce que seront nos existences lorsqu’il sera possible — et un jour, à n’en pas douter, ce le sera — de s’absenter de la réalité physique pour immerger nos esprits et nos sens dans une dimension numérique. Le métavers, donc (« metaverse » dans la Silicon Valley), et toutes les attentes ou inquiétudes qu’il suscite sont au cœur de ce cinquième numéro de Métal Hurlant. En littérature, bande dessinée et au cinéma, la perspective d’un tel monde alternatif a donné naissance à de nombreuses œuvres prophétisant un avenir dystopique. Sommes-nous alors condamnés ? Pas forcément, dans la mesure où poètes et artistes auront leur mot à dire, et où les rênes de ce nouvel univers ne seront pas tenus par des marchands tous cupides et sans considération aucune pour les rapports humains…
Les esprits critiques et les imaginations bouillonnent tout au long des presque 300 pages de ce nouveau numéro. Plusieurs longues interviews viennent nous éclairer sur le futur, notamment avec l’Américain John Underkoffler, à la fois informaticien de haut vol et grand amateur de science-fiction, que Steven Spielberg embaucha en tant que consultant scientifique lors de l’écriture de Minority Report (d’après Philip K. Dick, en 2001). L’intéressé relève un travers insoupçonné du film, celui d’avoir fait le catalogue d’une multitude d’avancées techniques dépeintes comme néfastes et qui, néanmoins, sont apparues à « des centaines de start-up » comme une véritable « liste de courses pour des technologies à développer » !
Des considérations qui ne rassurent guère sur ce qui nous guette, et on ne peut pas dire non plus que les planches proposées dans ce numéro 5 donnent dans l’optimisme angélique. Tout de suite, que l’illustration d’Enki Bilal en couverture, au demeurant fort belle, ne vous trompe pas : on ne trouve au sommaire aucune histoire dessinée par l’auteur de La Trilogie Nikopol (entre autres, évidemment). Ce qui n’empêche pas de croiser du très beau monde. Lewis Trondheim signe l’une des quelques BD ouvertement rigolotes, intitulée La Douche éternelle, cela dit la seule aussi à être un peu hors sujet (deux héros aux prises avec des « blobs » hostiles sur une planète où il pleut toujours dru — à (méta)verse ? Ouarf !). Dans un esprit quelque peu « Fluide glacial », Univers expansé de Richard Guérineau se lit aussi avec un grand sourire (et des yeux écarquillés sur des décors splendides) tandis qu’ailleurs, le ton est globalement plus sérieux, inquiétant ou dramatique (mais aussi érotique), avec en tout vingt-trois créations originales. Un véritable florilège, histoire de qualifier avec un terme démodé ce large éventail de styles et d’ambiances futuristes, d’un bout à l’autre extrêmement variés.
En kiosque et en librairie le mercredi 23 novembre 2022.