Les Nuits rouges du bourreau de Jade,  ou la rencontre du raffinement de la perversité française et du plaisir sadique de la torture asiatique (les Chinois n’ont pas découvert l’acupuncture par hasard). Entre le Marquis de Sade et le bourreau de Jade, le film fait de la torture un art plein de délicatesse. Il nous vient de deux scénaristes français exilés depuis plus d’une décennie à Hong-Kong. Julien Carbon et Laurent Courtiaud ont travaillé de près ou de loin avec la crème des réalisateurs chinois : Wong Kar-Wai, Tsui Hark ou Johnnie To. Film de genre, Les Nuits rouges du bourreau de Jade est leur premier long métrage.

Entre thriller et film gore, Les nuit rouges… ouvre sur une scène suffocante. Le mélange des genres permet d’ailleurs au film de respirer et de ne pas être un enchaînement d’ignominies proche du snuff movie perpétuel. La tension de l’histoire tourne autour d‘un objet d’art inestimable que tous veulent acquérir : un sceau impérial contenant le crâne de jade. Certains le désirent pour l’argent, d’autres pour le secret de son poison. Ayant appartenu au bourreau de jade, tortionnaire pour l’empereur, le poison a la faculté de paralyser sa victime, de multiplier ses sensations, douleur comme plaisir, par mille, et de la rendre ainsi consciente et impuissante de tout ce qu’on lui fait subir. Le vice de la torture à son paroxysme, où le spectateur devient le torturé.

La France est représentée par Frédérique Bel, actrice au trench coat tout droit sorti d’un film d’espionnage, et la Chine par Carrie Ng, aux griffes d’acier. Le scénario est très bien découpé avec des scènes bien ficelées et les co-metteurs en scène font preuve d’un souci de trouvailles de réalisation : les décors stylisés des scènes de meurtre, l’écran divisé en deux lors d’une scène astucieuse d’échange entre mafieux, la mort inattendue de l’héroïne ou encore la scène finale qui donne au film sa dimension de mythe. Ce travail réussi permet de pallier la faiblesse des dialogues et certaines techniques de montage maladroites (comme l’enchaînement de fondus à l’introduction), élevant le sous-genre de la série B à un exercice maîtrisé. Ce qui est le but recherché de toute évidence. La balance entre les scènes justement trop amateurs et cette réussite d’ensemble parvient à un équilibre fébrile. A tout moment, le film peut sombrer, mais le travail structuré des scénaristes et leur goût pour des scènes construites parvient à maintenir le tout à flot.

Le crossover culturel est très intéressant en soi. De la chine on en revient avec un film visuellement très esthétique : importance de la couleur et des effets d’optique dans les plans que le cinéma français n’offre guère et qui est une qualité indéniable du cinéma chinois. Leur savoir-faire et leur sens de la conception de l’image se retrouvent dans Les nuits rouges…, et c’est un régal pour les yeux. Je pense que du côté français on y retrouve un goût, comme dit plus haut, pour la dramaturgie et les idées ingénieuses au cœur d’un scénario classique – ce goût de la structure neuve mais stable permet au Bourreau de Jade de sortir d’une trame classique. Non pas qu’on retrouve cette qualité dans les productions hexagonales actuelles, mais c’est une qualité à laquelle notre culture semble apporter beaucoup d’importance, puisqu’il n’est pas rare qu’un film étranger connaisse son sacre en France en raison de son scénario. Le sens des dialogues est par contre absent et, mis à part le monologue sur le gin tonic, ça sonne creux souvent. En parlant du gin tonic, causons torture.

Le sadisme est bien au cœur du film. Les Nuits rouges… a un petit goût de nouveau film d’horreur. Ce n’est pas qu’un pur film de cruauté envers le corps humain, et tout comme Scream, ces meurtres sont des moments d’extase et des points d’orgue, comme des jets d’adrénaline insufflés au sein d’une histoire plus classique – ici le thriller. Nous ne baignons pas comme dans Saw dans un climat d’horreur constant ,si bien qu’à la fin ça devient un jeu. C’est un atout, car tester les nerfs pour les tester peut être vomitif et ennuyeux à la fois. N’empêche que les âmes sensibles – dont je fais partie – seront heurtées par la claustrophobie qui s’en dégage. Entre les scènes de bondage nippons et le plaisir sadique d’aimer la douleur comme un plaisir supérieur, plus d’une fois le spectateur est pris en otage. Assis sur son siège, on ne goûte par les souffrances, mais on se doit de les contempler dans leur calice. L’impact n’est pas que visuel, il est surtout psychologique. Entre ceux qui veulent se faire mal (et en meurent) et cette idée d’un poison qui décuple les sensations tout en vous rendant inerte : on ne le voit pas à l’écran, mais les idées même s’insinuent habillement dans l’esprit et rendent certains passages difficiles. Savamment dosés néanmoins, car les scénaristes n’en abusent pas.  Ils visent en fait le film d’atmosphère. Ce qui est plus noble…et plus raffiné.