Les Nuages de Magellan nous projette des centaines d’années dans le futur, à une époque où l’humanité a essaimé loin, très loin de son berceau terrestre. Sur un planétoïde perdu au fond de la galaxie, Dan, une jeune serveuse, se morfond dans un bar fréquenté par les mineurs. Elle rêve d’ailleurs. Le destin la met sur la route d’une marginale portant dreadlocks et peau de serpent, et qui depuis quelque temps végète dans le coin, s’abritant dans la carlingue rouillée de son petit vaisseau, comme échoué. L’étrangère, à l’âge indéfinissable, se fait appeler Mary Reed…
Mary Reed, c’est à coup sûr un nom d’emprunt : on sait que la véritable Mary vécut au 17ème siècle, entre l’Angleterre et la Jamaïque. Une fameuse et féroce femme pirate, compagnon d’armes des non moins célèbres Anne Bonny et Calico Jack (ceux-là-mêmes qui eurent l’idée du pavillon noir arborant sabres entrecroisés et tête de mort). Il sera alors question de piraterie dans le roman d’Estelle Faye : l’auteure a imaginé un avenir où la seule autorité en place est celle de grandes compagnies qui régissent l’économie et la vie dans les galaxies. Dans l’espace colonisé, il n’y a pas d’élus, pas de démocratie, seuls prévalent les intérêts et les profits. Et quelques équipages pirates qui, à une grande époque, sillonnèrent les étoiles, entrèrent dans la légende en s’affirmant comme l’unique contre-pouvoir.
L’univers des forbans mêlé à celui de la conquête de l’espace est un merveilleux cocktail, même si l’idée n’est pas à cent pour cent novatrice (le Captain Harlock/Albator et son vaisseau Arcadia ne sont pas loin). Menacées par les funestes « Compagnies » qui règnent sur les galaxies (Alien et ses suites n’imaginaient pas non plus autre chose), les héroïnes de l’histoire — Dan la serveuse et son acolyte pirate — fuient d’un monde à l’autre, échappent plus d’une fois à la mort et rencontrent des personnages singuliers. Souvent très prenante, la cavalcade spatiale se double d’une quête mémorielle, les étapes successives du voyage faisant ressurgir, chez l’une des deux femmes, des souvenirs lointains d’une vie passée dans l’équipage — et dans les bras — d’une capitaine pirate de grande renommée.
Tout ne sonne pas juste dans le space opera au féminin d’Estelle Faye : plusieurs analogies encombrantes avec notre époque nous ramènent les pieds sur terre, tandis que le format court du roman (moins de 300 pages) fait aussi regretter que l’auteure n’ait pas développé son récit en une épopée de plusieurs tomes. Heureusement on se sent toujours concerné par le sort des héroïnes, très attachantes, passionnées, courageuses, et animées d’un esprit farouche de liberté. La prospective concernant les humains augmentés par la cybernétique, également, est captivante, et elle fournit aussi la matière troublante d’une sensualité inédite où les implants hi-tech et prosthétiques attisent la séduction de la chair autant qu’ils décuplent les performances physiques.
Disponible en librairie depuis le 4 octobre 2018.