Alors que j’écris ces mots, la France est au cœur d’une phase de confinement pendant l’épidémie de Covid-19. Mais qu’est-ce qu’une épidémie ? C’est notamment une idée abstraite et déstabilisante qui fait remonter à la surface les instincts primaux et la peur. Chaque jour, je pense à ce vieil adage politique qui dit qu’ « Un peuple qui a peur, on peut lui faire faire ce qu’on veut ». S’il s’applique dans cette période trouble, c’est aussi le propos de cette dystopie cruelle qu’est L’épidémie d’Asa Ericsdotter.
Cette auteure suédoise a été encensée par la critique très tôt dans sa carrière, aussi se doit-elle d’être à la hauteur de l’attente de son lectorat. Ici, elle nous raconte comment une démocratie ordinaire peut se transformer en régime autoritaire et fou comme aux heures les plus sombres du XXe siècle. Et l’argument derrière la bascule ? Le coût social de l’obésité et la nécessité de mener cette politique pour le bien de la société suédoise.
Tout commence par l’opportunisme d’un homme, Johan Svard, qui deviendra Premier ministre de la Suède suite à une campagne articulée autour du bien-être et de la santé des citoyens. De tellement belles intentions qu’il renommera son parti, le parti de la santé, c’est dire l’importance du sujet pour lui. Et ce sera vers les personnes en surpoids que va se porter essentiellement son attention. Pour faire passer la pilule, le coût pour le système de santé de cette comorbidité et la culpabilisation des populations concernées vont être mis en œuvre.
Le lecteur assistera ensuite vers la lente glissade de la politique vers la dictature au travers des décisions de plus en plus ignobles jusqu’à la solution finale redoutée. Comment tout un peuple peut se soumettre à l’horreur sans rechigner, c’est si facile quand on n’est pas concerné, qu’on sait détourner le regard et devenir bien pensant. Mais quelques personnes voient ce qu’il se passe. Ce sont ces héros ordinaires qui vont tenter d’alerter.
Ainsi ce roman se lit comme un thriller de haut vol, un page-turner où nous attendons l’indicible au détour de chaque page. C’est un petit bijou de méticulosité qui nous montre le glissement des démocraties qu’on pense si bien établies vers l’immonde. L’histoire a cette fâcheuse tendance à bégayer, c’est pourquoi les lanceurs d’alerte sont si importants dans nos sociétés modernes, même s’ils prennent le risque qu’on les fasse taire. Ce sont les héros de notre monde où les médias sont omniprésents pour le meilleur et pour le pire.