Derrière ce titre français digne d’une production Hammer Films des années 1960 se cache Rhyming Rings, œuvre posthume de David Gemmel, décédé en 2006. Le roman a dormi pendant onze ans avant que la veuve de l’écrivain, Stella, ne découvre par hasard le manuscrit. Le récit était-il bien achevé, au goût de son auteur, lorsque celui-ci le rangea, quelque temps avant de mourir, au fond d’un tiroir ? Difficile de le savoir. Le roman, dans tous les cas, déconcerte par sa forme narrative, qui navigue entre plusieurs types d’énonciation. L’histoire nous plonge dans l’Angleterre des années 1980, alors que le pays, fortement agité par des tensions raciales, redoute des émeutes dans les quartiers les plus sensibles. Le contexte social est restitué à travers le regard de Jeremy Miller, journaliste de la rédaction d’un hebdo londonien, un personnage que Gemmel a construit en s’inspirant de ses propres souvenirs de carrière dans la presse britannique. Le profil du personnage est original : Jeremy est un jeune type arrogant, presque asocial et mal considéré par ses collègues, notamment du fait de ses opinions politiques réactionnaires. Un tueur en série, dissimulé sous une cagoule noire barrée du mot « mort », s’en prend soudain à des femmes divorcées qu’il exécute la nuit à leur domicile. Jeremy fait la connaissance d’une voyante sexagénaire, Ethel, dont les talents extralucides pourraient être décisifs dans la capture de l’assassin…
Comme précisé plus haut, Gemmel a varié les points de vue, optant pour un récit à la première personne lorsque les chapitres s’attachent aux pas (et aux pensées) de Jeremy, mais bifurquant maintes fois sur une focalisation externe pour rendre compte des faits et gestes des autres personnages (le dernier tiers du roman est même presque entièrement relaté à la troisième personne). Ce qui donne un résultat un peu curieux, nullement gênant pour suivre le fil de l’histoire, mais on éprouve parfois la sensation d’une construction mal équilibrée, d’autant que l’argument criminel, pourtant digne d’un bon vieux giallo un peu crapoteux, ne donne pas lieu à une enquête toujours passionnante (en outre, l’argument surnaturel de la voyance s’avère sous-exploité). L’itinéraire moral du héros vers davantage d’ouverture d’esprit ainsi que d’autres éléments, a priori annexes, retiennent plus l’attention : comme toujours chez Gemmel, les portraits sont excellents, y compris parmi les seconds rôles (Ethel la voyante, mais aussi et surtout son voisin africain Magiwe, un géant venu de Rhodésie, philosophe et courtois, aux talents de guérisseur et, en même temps, traînant derrière lui un passé de tueur), et la galerie donne l’occasion à l’auteur de plonger à loisir dans les arcanes des vies de couple, avec ce que cela implique de mariages bancals, d’adultères en divorces. Gemmel aborde aussi au passage le thème de l’homosexualité, encore mal tolérée, voire réprimée, à l’époque du récit, se déroulant en 1987. Le retour en arrière de plus de trente ans s’avère du reste plutôt savoureux, témoignage a posteriori (et souvent plein d’humour — Gemmel était aussi un fin dialoguiste !) d’une époque où le journalisme « à l’ancienne » était encore de mise et commençait à peine à toucher à l’informatique et aux technologies de la communication. Des qualités, donc, qui suffisent à justifier l’édition tardive de ce roman imparfait et longtemps oublié.
En librairie depuis le 15 mai 2019.