En termes de fiction en général et en particulier dans le récit d’aventures, il n’y a pas de place que pour les héros solitaires. Dans la fantasy notamment, le portrait de groupe est un thème récurrent, qu’on peut savourer dans l’œuvre de Tolkien bien sûr, mais aussi plus récemment dans la saga Les Bannis et les Proscrits de James Clemens, dans le merveilleux diptyque Wyld de Nicholas Eames, et dans mille autres encore ainsi que dans le joyeux et drolatique Donjon de Naheulbeuk du Français John Lang. Pour les plus jeunes (mettons ceux qui n’auraient pas encore passé le cap de la majorité), rappelons que Naheulbeuk fut au départ une saga audio au format mp3, écoutable en ligne, conçue sous la forme d’une série d’épisodes courts mettant en scène des personnages aux voix cartoonesques et croquignolettes. Le tout, donc, dans un univers de fantasy. Le titre fut ensuite décliné en bande dessinée puis en roman, d’où le volume dont nous traitons ici, La Couette de l’oubli.
Cette « saison 3 », tel qu’il est précisé sur la couverture, fait suite aux événements narrés dans les deux séries d’épisodes audio. L’écoute n’est, cela dit, pas indispensable, on peut tout à fait attaquer le roman sans aucun préambule, surtout si l’on est familier des personnages typiques du genre (et, pour aller un peu plus loin, si on a l’habitude des héros et situations caractéristiques des jeux de rôles). Le portrait de groupe dont il est ici question rassemble un ranger, un nain, une magicienne, une elfe, un ogre et un barbare. Le ton étant celui de la satire et de la comédie, le principal point commun qui unit les personnages est leur incompétence notoire. Quand ses membres ne se chamaillent pas pour des broutilles, la compagnie de gugusses échappe aux situations périlleuses par d’heureux concours de circonstances, alors même qu’autour d’eux gravite toute une galerie de silhouettes typiques — sorciers, bandits, etc.
Il n’y avait que peu de narration extradiégétique dans la série audio, l’essentiel passait par les dialogues qui, par ailleurs, donnaient volontiers dans la grossièreté. Ce n’est plus le cas ici, et le format du roman a permis à John Lang de révéler son talent pour une écriture très agréable : le style s’avère soutenu, élégant, riche de trouvailles langagières qui permettent, éventuellement, aux lecteurs les plus étrangers à l’univers du jeu de rôle et à Donjons & Dragons de suivre avec intérêt la suite des péripéties que traversent les héros, au demeurant anonymes (tous des archétypes, ils ne sont désignés que par leur terme générique — le Nain, l’Elfe, etc.). Il fallait bien ça car l’histoire elle-même n’est pas de nature à captiver tout le monde, l’intrigue un peu lâche est surtout prétexte à la farce, au comique de mots et de caractères. Mais le tout, je le répète, est emballé par une plume imaginative, lettrée et colorée. La Couette de l’oubli fut publié pour la première fois en 2008, cette réédition-ci (ce n’est pas la première) est sortie le 19 mai 2021 chez Pygmalion.