Dans l’Italie — non encore unifiée — du dix-neuvième siècle, si l’appât du gain, le désir de vengeance, le dépit amoureux… vous faisaient commettre l’irréparable et verser dans crimes et délits, vous aviez toutes les chances (façon de parler) de finir entre les pognes expertes de Mastro Titta. De son vrai nom Giovanni Battista Bugatti (1779-1869), Titta était, oserait-on dire, la Rolls des bourreaux : fonctionnaire consciencieux aux ordres de la papauté, le bonhomme laissa pour l’Histoire des carnets remplis des noms de plus de cinq cents sujets dont il abrégea la vie sur l’échafaud. Des noms mais pas seulement : Titta accompagna chaque « justice » dûment consignée du motif de la condamnation à mort et des tourments qu’il infligea, en habile professionnel, aux intéressés (outre la pendaison ou la décapitation, le bris des os, le démembrement et le dépeçage devant public complétaient la liste des traitements alors prévus par les dispositions légales).
150 ans après la mort du « mastro », de telles évocations macabres ne manquent pas de faire galoper l’imagination. C’est ainsi que Serena Gentilhomme, Toscane d’origine et férue de turpitudes criminelles, s’est emparée de la silhouette de son compatriote bourreau (dont on ne trouve aucun portrait) et de toutes les sources disponibles pour en rédiger les mémoires apocryphes. Le Bourreau du pape, ouvrage fort documenté, donne à lire un long dialogue fictif entre Titta, nonagénaire aux portes de la mort, et son confesseur, un jeune prêtre qui, durant une nuit entière, écoute le récit souvent truculent des derniers instants des « patients » du bourreau, ainsi que des actes coupables qui les menèrent droit à la mise à mort légale. Le style est enlevé, les échanges entre les deux hommes souvent drôles (Titta est un vieillard pète-sec au verbe acerbe, qui a vite fait d’envoyer paître son monde) et les anecdotes numérotées (dans ses calepins, chaque condamné a son matricule, et il les connaît tous par cœur) sont aussi l’occasion de retracer en filigrane quelques pans d’Histoire de la proto-nation italienne.
La foi catholique chevillée au corps, le bourreau, tel qu’on l’apprend, vécut soumis à l’autorité du clergé, et il respectait les principes moraux religieux de la même force qu’il honnissait les idéaux révolutionnaires importés de l’autre côté des Alpes (d’où des invectives pas piquées des vers lancées à ces fichus Français !). Le portrait psychologique qui apparaît en creux est terrible, c’est celui d’un type qui exécuta des centaines de gens sans connaître le moindre cas de conscience. Un monstre, un vrai de vrai, dont l’abominable nature vaut bien qu’on lui consacre, l’espace d’une chronique, une de nos pages, quand bien même les faits judiciaires relatés autant que le personnage n’ont rien d’imaginaire et sont — presque — tous rigoureusement authentiques. Ajoutons également que l’auteure, au lourd passif horrifique (nombre de ses écrits, notamment ses nouvelles, ont versé volontiers dans le surnaturel sanglant), ne se départit jamais de son goût pour le mystère, un attrait dont on trouve de notables traces tout au long de cette captivante lecture au chevet du vieux bourreau. Même sous la torture, on n’en dira pas plus.
En librairie depuis le 7 avril 2022.