Clochettes et Carabosses au cinéma.

Charmeuses médiévales
Tantôt guérisseuse, tantôt sorcière dans les récits du Moyen Âge, la Fée Morgane est une figure ambivalente dont le cinéma n’a retenu que la part d’ombre en faisant d’elle la « bad girl » attitrée des films inspirés du mythe du roi Arthur. Rivale de Merlin, elle complote notamment dans Excalibur (1981), film-référence signé John Boorman. Dans le rôle, Helen Mirren use de ses charmes fous pour duper Arthur et livre une composition tout en séduction perfide. Auparavant, Morgane fut interprétée par Anne Crawford dans le prestigieux Les Chevaliers de la table ronde (1953) de Richard Thorpe, et elle reviendra ensuite sous les traits de Joanna Lumley à la faveur d’un distrayant Prince Vaillant (Anthony Hickox) en 1997. Nulle trace de l’envoûteuse, en revanche, dans des productions familiales comme Merlin l’enchanteur de Disney (Wolfgang Reitherman, 1963), ainsi que dans les œuvres à visée historique, tel le récent Le Roi Arthur (2004) d’Antoine Fuqua.
Autre personnage-clef du mythe, Viviane pâtit de la notoriété de sa consœur et apparaît rarement au cinéma. Dans le film de Boorman, la présence de la Dame du Lac se résume à quelques plans où son bras, portant Excalibur, perce la surface de l’eau pour confier l’épée, symbole de l’unité du royaume, à Uther Pendragon… La fée a tout de même figuré en bonne place dans le scénario des Chevaliers de la table ronde de Denis Llorca, une épopée de près de quatre heures où elle est jouée par María Casarès et dans laquelle apparaissent aussi Morgane et tous les protagonistes du cycle arthurien. Cette production méconnue de 1990 est hélas totalement invisible aujourd’hui.
Mélusine est, quant à elle, la fée la plus célèbre du folklore français. Nymphe au séduisant corps de femme et à la queue de poisson, elle a traversé de nombreux romans de chevalerie mais est restée invisible au cinéma, à l’exception d’un court passage dans la comédie parodique Elle voit des nains partout (1982) de Jean-Claude Sussfeld. La Vouivre, fille aux serpents des légendes comtoises, a, elle, connu les honneurs d’un film éponyme dirigé par Georges Wilson en 1989, avec l’ensorcelante Laurence Treil dans le rôle-titre.
 
Merci Oncle Walt !
En piochant dans les contes et légendes européens, les productions de l’âge d’or de Disney ont le mérite d’avoir, entre autres, contribué à perpétuer le personnage de la Fée dans l’imaginaire collectif. En 1940, la Fée bleue vient ainsi par la grâce du Technicolor insuffler la vie au pantin Pinocchio (H. Luske & B. Sharpsteen), d’après Carlo Collodi. Figure traditionnelle des fables, la Fée marraine se penche, elle, sur le berceau de Cendrillon (C. Geronimi & W. Jackson) en 1950, alors que son pendant maléfique, la sinistre Carabosse, fait le malheur de la Princesse Aurore, La Belle au bois dormant de Clyde Geronimi (1959).
 
Clochette en vedette
Si les fées n’ont qu’un rôle secondaire dans les titres précités, il en va autrement dans Peter Pan (Geronimi, Jackson & Luske, 1953), où voltige la Fée Clochette. Le look sexy et le caractère bien trempé de la mini-peste, fidèles à l’œuvre de James M. Barrie, ont toutefois amené Disney à s’écarter de la pièce et des romans en faisant d’elle un personnage de premier plan. À partir de ce Peter Pan animé, la célébrité de « Tinkerbell » sera équivalente à celle de l’éternel gamin… Clochette papillonnera ensuite en chair et en os sous les traits de Julia Roberts dans le très pompier Hook (1991) de Steven Spielberg, puis dans Peter Pan (P.J. Hogan, 2003), adaptation convenue où le rôle est tenu par Ludivine Sagnier. Pas de fée, sinon, mais une muse en la personne de Sylvia Davies/Kate Winslet dans Neverland (Marc Forster, 2004), très joli récit des origines théâtrales de Peter Pan. Johnny Depp y joue le rôle de James M. Barrie.
À quand un nouveau retour de Clochette sur les écrans ? Dès cette année, puisque la fée sera la vedette de Tinkerbell and the Ring of Belief, long métrage d’animation Disney destiné au marché du dvd. Sur grand écran, on pourra sans doute la retrouver dans une incarnation inédite dans Blood of Pan, une version trash du conte fomentée par Larry Clark, avec Mickey Rourke en Capitaine Crochet. En attendant, un jour peut-être, de redécouvrir les planches dessinées du magnifique Peter Pan de Régis Loisel à la faveur d’une adaptation 3D…
 
Des petites fées au creux de la main
Tournés l’un et l’autre en 1997, Photographing Fairies (Nick Willing) et Fairy Tale: A True Story (Charles Sturridge) s’inspirent d’un fait divers anglais contemporain de James Barrie. En 1917-1920, Frances Griffiths et Elsie Wright, cousines farceuses de Cottingley, prirent cinq photos d’elles-mêmes entourées de fées virevoltantes, similaires à Clochette. Les images n’étaient qu’une supercherie, mais les passionnés d’occultisme les prirent comme la preuve de l’existence du surnaturel ! Parmi ceux-ci, Arthur Conan Doyle en personne, qui écrivit pour l’occasion Les Fées sont parmi nous, bouquin où il affirmait sa foi dans l’existence des petites créatures ailées… Dans le film de Willing, l’auteur de Sherlock Holmes n’est qu’un second rôle interprété par Edward Hardwicke. Dans celui de Sturridge, qui verse dans le merveilleux, Doyle apparaît sous les traits de Peter O’Toole et partage la vedette avec le magicien Harry Houdini, campé par Harvey Keitel.
 
Les fées sont toujours parmi nous !
Les gouvernantes anglaises Mary Poppins (Robert Stevenson, 1964) et Nanny McPhee (Kirk Jones, 2005) incarnent une version moderne du personnage de la fée. Dotées de pouvoirs extraordinaires, elles président à la destinée heureuse des marmots et s’inscrivent en héritières des fées marraines de jadis. Cela dit, les bonnes fées ne sont pas toutes magiciennes: c’est en comptant sur son astuce et sa malice qu’Amélie veille au bonheur des habitants de Montmartre dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, succès mérité de Jean-Pierre Jeunet en 2001.
En contrepoint, le cinéma d’épouvante fait défiler un cortège de carabosses qui n’ont de cesse de détruire le cocon familial. Voyez la belle Tante Félice, adepte de la sorcellerie jouée par Joanna Pacula dans une bonne série B de Pen Densham, The Kiss, en 1988. Même cas de figure avec Jenny Seagrove, alias Camilla dans La Nurse (1990) de William Friedkin, ainsi que dans le thriller La Main sur le berceau (1992), où Curtis Hanson offre un rôle de blonde vengeresse à Rebecca De Mornay. Jonathan Liebesman, de son côté, a perverti l’image de la « Tooth Fairy » – la « fée des dents », équivalent anglo-saxon de notre « petite souris » – pour l’imposer en créature de cauchemar dans Darkness Falls, production bis tournée en 2003.
 
Soupirs, ténèbres et larmes
En remontant aux lointaines origines culturelles des fées – les sinistres Parques romaines, maîtresses du destin des mortels –, Dario Argento a imaginé une trinité de marâtres personnifiant la mort et faisant chacune l’objet d’un long métrage. Mater Suspiriorum – la Mère des Soupirs, « la plus âgée » – sévit au cœur d’une étrange école de danse de Fribourg, Allemagne, dans le chef-d’œuvre Suspiria (1977). Le film fut d’ailleurs pensé comme une version horrifique des contes de fées de Disney. Inferno (1980) nous apprend que Mater Tenebrarum – la Mère des Ténèbres, « la plus cruelle » – hante les coursives secrètes d’un vieil immeuble de New York. Ce deuxième volet, assemblage surréaliste de visions d’horreur, reste gravé dans les mémoires comme un macabre poème symboliste qu’on ne se lasse pas de redécouvrir.
Jusqu’ici inachevée, la trilogie se verra enfin complétée cette année avec la sortie de Mother of Tears, tourné fin 2006 avec la désormais célèbre Asia. La fille du cinéaste y tient le rôle d’une étudiante aux prises, à Rome, avec la troisième Grâce, Mater Lacrymarum. Encore un peu de patience, mais que l’on se souvienne: le prologue d’Inferno a annoncé, il y a vingt-cinq ans, que cette Mère des Larmes serait « la plus belle des trois »…