Les adaptations illustrées des récits de Lovecraft se succèdent sans se ressembler : alors que le Japonais Gou Tanabe totalise à ce jour six adaptations en mangas (disponibles en France chez Ki-oon dans des éditions somptueuses reliées de faux cuir), le Français Armel Gaulme, dans un tout autre style graphique, en est quant à lui à cinq « carnets » (lire ici notre chronique du tout premier, Dagon, publié en 2019). Et François Baranger, pour sa part, sort ce mois-ci chez Bragelonne un volume de grand luxe et de grand format, reprenant une nouvelle parmi les plus fameuses de l’auteur américain, L’Abomination de Dunwich (publiée pour la première fois en 1929 dans les pages du magazine ‘Weird Tales’).
C’est dans une ferme de Dunwich, donc, village perdu du Massachussets, que Wilbur Whateley naît d’un père inconnu et de la peu amène Lavinia, 35 ans, laideron albinos et bossu… Outre son faciès désagréable, qui évoque celui d’une chèvre, le jeune Wilbur présente des caractéristiques étonnantes : intellectuellement très précoce, le garçon se distingue aussi par un développement physique hors normes, atteignant l’apparence d’un adulte en une dizaine d’années. Sa croissance s’accomplit au fil d’étranges rituels et alors que, dans la ferme isolée, le patriarche et chef de famille, « le vieux Whateley », à la réputation de sorcier, se lance, derrière les murs, à d’interminables travaux d’agrandissement…
Les horreurs à venir nous seront révélées par une très bonne traduction française, récente, de Sonia Quémener, et bien sûr par les illustrations, la raison d’être de l’ouvrage, qui ne s’apparentent en rien à une bande dessinée : chaque image fait surgir en pleine (double-)page l’action d’une scène marquante de la nouvelle, le texte intégral de Lovecraft apparaissant en surimpression. Par ailleurs concept-artist pour le cinéma et le jeu vidéo, François Baranger déploie, entre autres effets de lumière, une effarante collection de clairs-obscurs saisissants, qui subliment les silhouettes et leurs mouvements autant que la nature et les architectures. Pour l’explorateur chevronné de l’univers lovecraftien, le plaisir de l’immersion est immédiat et garanti. Quant aux lecteurs encore jeunes et innocents, agneaux qui découvriraient par hasard H.P.L. en tombant en librairie sur cette Abomination, ils sauront à la seule vue de la grande couverture (27 x 35 cm) à quoi s’en tenir, tant le talent de Baranger rend justice aux noires ambiances et aux angoisses rampantes des contes de l’écrivain.
En librairie le 5 octobre 2022. À lire également, les deux précédentes éditions illustrées de François Baranger d’après Lovecraft, L’Appel de Cthulhu et Les Montagnes hallucinées (en deux tomes).