Etrangement, les fées sont de toutes les créatures de l’Autre Côté, à la fois les plus évoquées tout en étant les moins saisissables… Tantôt minuscules aux ailes de papillon, tantôt belles dames aux atours médiévaux. Figure aux milles images, toujours en mouvement, en transparence. Khimaira plonge au cœur de Faerie pour vous livrer quelques secrets sur les fées avant que ces dernières ne s’évaporent…
Aux origines…
Le premier constat lorsqu’on s’intéresse aux fées est la multitude de pistes qui s’offrent à nous. Car la fée est plurielle. Qu’on remonte à sa ou ses naissances mythologiques ou qu’on tente de la définir physiquement, on se heurte à nombre de possibilités.
Qu’est-ce qu’une fée ? Pour tenter de le comprendre, il faut nécessairement s’attacher au mot. Pierre Dubois rappelle très justement dans son Encyclopédie des Fées (Hoëbeke) les propos d’Alfred Maury mettant en parallèle les fata (Parques) et les Fées ainsi que le mot fatum d’où découlera l’adjectif fé signifiant «destiné». On le voit, les fées ont quelque chose à voir avec l’idée de destin et leurs ancêtres divines, les Parques. On notera au passage que ces divinités étaient trois, tout comme le seront très souvent les fées dans les contes…
Ce lien avec les divinités antiques est encore renforcé lorsqu’on s’arrête sur l’idée de fée marraine. Les Carmentes Anteverta et Postverta, divinités romaines de la connaissance du passé et du futur, étaient liées à la naissance des enfants qui se présentaient par la tête ou par les pieds. Au fil des siècles, la tradition voudra que les fées, comme les anciennes divinités, se penchent sur le berceau de nos enfants, leur procurant protection et bienveillance.
Dans son Guide du chasseur de Fées (Le pré aux clercs), Edouard Brasey insiste sur la notion de beauté. La fée est un idéal de beauté. Voilà donc un autre trait essentiel, l’idée de beauté, de perfection. Une idée que Jean-Louis Fetjaine reprend dans sa trilogie des elfes (Pocket) où « les femmes elfiques étaient d’une telle beauté que les hommes qui n’avaient pas l’habitude de traverser leurs contrées les prenaient pour des fées ».
Les traditions celtes et les récits arthuriens entraîneront les fées vers la pratique de la magie. De la prophétesse antique à la magicienne celte, il n’y avait en effet qu’une infime frontière, vite franchie. On y verra également le lien des fées à la Nature, provenant des croyances celtiques et de leurs cultes intimement liés à la Terre, chaque divinité étant la gardienne d’un lieu, d’une rivière ou d’une forêt… Ce lien à la Nature, nous le faisons encore aujourd’hui puisqu’il n’est pas rare de voir ci et là une petite figurine de fée orner un coin de jardin, petite divinité protectrice de cet endroit chéri. Beatrice Philpotts nous parle d’ailleurs des Fées du Jardin (Le pré aux clercs) avec poésie et tendresse. Fleurs, plantes et fées s’y côtoient, tout comme dans un autre ouvrage liant jardin et féerie, l’Herbier féerique par Amandine Labarre (AK Editions).
Enfin, les idées de beauté et magie fascineront encore les auteurs du Moyen-Âge et donneront naissance à la fée courtoise, celle qui envoûtera nombre de cœurs de ces preuxs chevaliers…
Nous parlions plus haut du caractère pluriel de la fée. Le mot anglais pour fée est fairy et il désigne tout membre du Petit Peuple. Dans son Dictionnaire féerique (Oxymore), André-François Ruaud reprend bien le terme fée comme un terme générique lorsqu’il affirme «Notons enfin que j’utilise indifféremment pour les êtres féeriques (mâles, femelles ou neutres) les termes esprit, fée ou génie». On s’éloigne donc de la définition typiquement française qui voit en la fée une figure féminine pour l’élargir à l’ensemble des créatures féeriques.
Des fées à lire…
Belle, liée à la nature, magicienne et prophète, la fée revêt mille apparences et reste par là insaisissable. Il en va de même dans les contes et romans où la plupart du temps, elle n’occupe qu’un second rôle, deus ex machina lorsqu’il faut faire avancer l’histoire par quelque artifice ou amorce à l’intrigue lorsqu’elle se fait responsable du destin des héros. Bien sûr, les fées sont présentes, traversent, transcendent les histoires. Marion Zimmer Bradley, Léa Silhol, Kathryn Kristin Rusch, Laurell K.
Hamilton, Lord Dunsany et d’autres ont largement teinté leurs récits de poudre de fées. Et même si elles demeurent en retrait comme héroïnes, on peut affirmer que cet attrait des hommes pour les fées participe au succès du genre fantasy aujourd’hui.
Le grand Shakespeare lui-même n’a pas échappé aux fées en écrivant son Songe d’une nuit d’été et le papa de Peter Pan, James Matthew Barrie, n’hésite pas à donner pour compagne à son héros, une petite fée espiègle et ô combien symbolique, Clochette. Croire aux fées ? Les auteurs ne sont pas en reste quand il s’agit de démontrer l’existence de ces charmantes créatures. Arthur Conan Doyle ira jusqu’à écrire un livre, Les fées sont parmi nous (Lattès) pour défendre les deux petites anglaises qui avaient réussi à photographier des fées dans le Yorkshire.
Ces êtres magiques inspireront même certains ouvrages de science-fiction comme le Féerie de Paul J. McAuley où une jeune fille de douze ans convainc un pirateur de gènes à l’aider à réaliser son rêve : donner une âme à de petites poupées androïdes pour les transformer en véritables fées.
On attirera enfin l’attention sur deux œuvres parues aux éditions Terre de Brume. La Compagnie des Fées de Garry Killworth tout d’abord, qui revisite sur fond de fantasy urbaine le classique de Shakespeare, l’occasion de redécouvrir Titiana et Morgane dans un contexte surprenant. Le Parlement des Fées de John Crowley, ensuite, qui réussit à placer les fées comme elles doivent l’être, en transparence, toujours présentes, influentes sans qu’on ne puisse pourtant les apercevoir. Ce chef d’œuvre de la littérature fantasy nous parle de l’univers des fées comme d’un royaume intérieur, et cette vision rejoint bien cette impression d’invisibilité des fées. Peut-être, qu’au fond, le royaume des fées n’existe que dans le cœur des hommes. C’est aussi ce que semblait penser James Matthew Barrie lorsqu’il affirme qu’à chaque fois qu’un enfant ne croit plus aux fées, une de celles-ci disparaît…
Les fées noires
Insaisissable, invisible, symbole de pureté, d’innocence, la fée dans toute sa blancheur n’apparaît pas comme une figure facile d’utilisation dans un récit. Par contre, s’il existe des fées blanches, il doit bien y avoir leur opposé. Elle se révolte, agit, fait mal, maudit, devient cruelle et méchante. Son ambiguïté intéresse alors les auteurs et son personnage, les lecteurs. Empêchée de prendre part au repas des fées, la dernière marraine maudit l’enfant et la condamne à un repos éternel le jour où elle se piquera au funeste fuseau (La Belle au bois dormant). Et la sorcière, cette femme pratiquant la magie noire, effrayant les enfants et envoûtant de ses charmes les mâles innocents, n’est-elle pas, après tout, qu’une mauvaise fée ?
Les fées condamnent, portent malheur, il faut les fuir, les éviter… Pierre Dubois, en éminent elficologue, prétend que les fées vengeresses, déçues et blessées par le comportement des hommes envers la nature, sont à l’origine des cataclysmes, des tempêtes et des bourrasques. L’heure n’est plus à l’indifférence mais à la révolte !
Dessine-moi une fée !
Comment ne pas terminer cette brève réflexion sur les fées par le phénomène qui marque les librairies depuis quelques années, surtout en période de Noël : les images de fées. Car ce que semblent rechercher avant tout l’amateur est bien une représentation de celle qu’il admire. Ces véritables icônes de l’Imaginaire se déclinent alors en cartes postales, calendriers, ouvrages divers et variés comme le célèbre Livre des Fées séchées de lady Cottington des incontournables Brian Froud et Terry Jones (Glénat) qui saisissent avec humour nos petites amies à la manière des herbiers. Brian Froud encore avec Alan Lee cette fois qui proposent un superbe recueil de créatures intitulé tout simplement Les Fées (Albin Michel). Sans oublier Le Livre des Fées de Beatrice Philpotts qui dresse un portrait de Faerie abondamment illustré par une kyrielle de maîtres de l’illustration féerique. La bande dessinée aussi recèle de véritable petits bijoux comme le Fée et Tendres automates de Téhy et Béatrice Tillier (Vents d’Ouest) ou encore Loisel qui dans son Peter Pan, revisite avec succès la fée Clochette, succès retentissant dans le mondes des planches et des bulles.
Ce besoin inextinguible d’admirer les représentations de fées, doit-on le comprendre comme une tentative d’entrevoir ce qui ne peut être vu ? Est-ce là une façon d’entrouvrir la porte de l’Autre Côté ? Ou de rechercher la bénédiction, la protection de ces Demoiselles et Bonnes Dames ? Quoiqu’il en soit, les fées ont encore de beaux jours devant elles car l’homme, apparemment, n’a pas fini d’y croire. Au détour d’un chemin, au milieu d’une forêt ou assis sur ce banc, dans votre jardin, fermez les yeux, respirez doucement. Vous le sentez vous aussi n’est-ce pas ? Cet irrésistible parfum des fées…