24 janvier 1985, an I du nouveau régime. La guerre entre Estasia Eurasia et Océania s’intensifie. Toute tentative de résistance ou de déviance, de critique est de plus en plus sévèrement pourchassée. Chaque jour désormais est respectée la minute de haine. Winston et ses proches ont tous été arrêtés, torturés, éliminés, il n’était d’ailleurs plus qu’une coquille vide avant sa mort. Tous finissent par parler, la kollocaïne sérum de vérité surpuissant délierait n’importe quelle langue.  Même les cadres hauts placés et zélés du partis finissent par tomber : O’Brien finit lui aussi par parler et la guillotine travaille à plein rendement. Et puis il y a Lloyd Holmes, transparent semble-t-il, lui qui appartient à un réseau de résistance cloisonné. Des poches existent ça et là face à cette société dont la pensée s’est rétrécie comme peau de chagrin et aux slogans de Big Brother : « la guerre c’est la paix » ; « la liberté c’est l’esclavage » ; « l’ignorance c’est la force ». Et puis un jour il tombe sur son jumeau et tout remonte à la surface, son histoire, celle qu’il a bien voulu se raconter ou raconter aux autres et là bascule vers une fin hallucinante et étonnante. 

On aime l’idée et la puissance du récit, coupant et efficace qui nous plonge dans la suite probable de 1984, dans le quotidien de ces citoyens toujours plus encadrés, toujours plus suivis et menacés. Une machine d’Etat devenue folle, répressive encore et encore qui nous fait frémir et nous inquiète. 

Le récit est servi par le format et par le travail absolument étonnant et puissant d’illustrations. Une première partie où même les visages semblent peiner à se montrer dans cette société qui lisse tout et tout le monde avec des traits des points, des lignes de fuite partout qui donnent profondeur et mobilité au récit et à son décor. Des pages nombreuses sans texte dans un Londres dont certains quartiers sont désertés ou en ruine qui donnent de la puissance au récit et assombrissent encore l’ensemble. Une traversée presque irréel de la ville dans l’hiver londonien sous la neige sous le regard de Big Brother.
Une bande-dessinée de haut vol qui prend le lecteur par son récit, la puissance et la beauté de ses illustrations et la réflexion sur la démocratie et la perte de sens dans certaines sociétés auquel il amène à réfléchir. Absolument magnifique.