C’est dans un café de Troyes que j’ai retrouvé Johan Heliot (que je remercie vivement, ainsi que son épouse, pour leur gentillesse), un écrivain français déjà reconnu et qui ne cesse de déployer l’étendue de ses possibilités. Ce trentenaire, enseignant d’histoire géo de formation, et qui s’était frotté à la SF en dirigeant un fanzine (il a été dans les premiers à interviewer Pierre Bordage) s’est fait remarquer dès son premier roman, La lune seule le sait, salué par le prix Rosny Aîné.
Khimaira : Johan, tes débuts ont-ils été longs et difficiles ou bien ton 1er roman a-t-il été pris tout de suite ?
Johan Heliot : J’ai commencé à écrire quand j’ai commencé mes études supérieures ce qui fait que je n’avais pas un temps fou pour écrire. Ensuite, j’ai été objecteur de conscience pendant deux ans, j’étais projectionniste itinérant, tournant dans des patelins pour diffuser des films, là j’ai complètement laissé tombé l’écriture. Puis j’ai repris peu à peu mais j’ai passé deux ans dans les concours, ce qui ne m’a, à nouveau pas laissé beaucoup de temps. Mais j’avais pour objectif d’enseigner dans le secondaire, travail qui, sans tomber dans la caricature, épuise nerveusement mais laisse du temps pour écrire. Ce n’est pas un hasard si environ la moitié des auteurs d’imaginaire, au sens large, en France, sont enseignants. J’ai donc pu trouver plus de temps et, petit à petit, m’acheminer vers un mi-temps. Enfin, aujourd’hui, je suis en disponibilité de l’éducation nationale ce qui me permet de me consacrer à l’écriture à plein de temps même si c’est moins avantageux financièrement.
K: Je sais que tu as été fanéditeur, penses-tu qu’il y ait encore la place pour ce genre de parution dans la société ultra capitaliste qui nous entoure ?
J. H. :Pendant quelques années, après l’arrivée de Bifrost et Galaxies, vers 1995-1996, il n’y avait plus de fanzines. Puis, ils sont reparus timidement depuis deux ou trois ans. Je pense que quelle que soit la situation politique et économique, il y aura toujours des passionnés prêts à s’investir et c’est tant mieux ! La Geste, le meilleur fanzine de l’époque, m’a permis de faire mes premières armes de nouvelliste, ainsi qu’à un certain Thomas Day d’ailleurs. Tout dépend du degré d’investissement de l’équipe qui s’y colle. A ma connaissance, des gars du côté d’Aix mettent en place un « prozine » (fanzine qui ressemble à un mag pro) appelé « Pulp Aventures » qui brasse tous les genres de la fiction d’aventure. Donc, les candidats ne manquent pas !
K : Tu écris dans plusieurs genres et varies les époques auxquelles se déroulent tes romans, est-ce par souci de diversifier ton public ou par peur de sombrer dans la monotonie ?
J.H. :Il y a plusieurs raisons à cela. Toucher différents publics est intéressant, ça te permet de faire des rencontres enrichissantes et quand quelqu’un découvre un de tes bouquins et que ça lui plaît, il va se dire « Tiens, qu’est-ce qu’il a écrit d’autre ce type là ? ». Mais c’est aussi un besoin personnel, quand je viens de finir un space op’, après 6-8 mois passés dedans, j’ai envie de remettre les pieds sur Terre ! J’ai par exemple écrit Faërie Hacker entre autres parce que ça m’emmerdait que l’on me colle une étiquette spécialiste du steampunk ! C’est un besoin de ne pas faire tout le temps la même chose. Les nouvelles sont des souffles, des pauses dans l’écriture d’un roman qui te permettent de prendre une bouffée d’air en changeant de style. Je vais d’ailleurs bientôt faire quelque chose dans le domaine jeunesse. (Des maisons d’éditions comme Bragelonne étaient d’ailleurs présentes au salon du livre jeunesse. NDR). J’ai aussi envie de venir au thriller, au polar pur et dur. Initialement je suis plus gros lecteur de « romans noirs » au sens large. Mes premières rencontres d’auteurs étaient plus dans le domaine du roman noir. Je suis plus collectionneur de « Rivages Noirs » et de « Série Noire ». Ado, je ne lisais quasiment que de la SF et c’est quand je suis rentré en fac que mon meilleur ami m’a mis du polar entre les mains.
K : Y aura-t-il une suite à Reconquérants et quand ?
J. H. : Il y a une suite qui est prévue. Enfin, peut être pas vraiment une suite, mais une histoire dans le même univers en tout cas. J’ai eu beaucoup de critiques sur ce livre, notamment sur l’articulation des deux parties. J’aimerai faire quelque chose qui clarifie tout ça. Je suis le premier à reconnaître les faiblesses de Reconquérants, que j’ai écrit trop vite après La Lune seule le sait. J’avais, en outre, le désir de revenir dans cet univers, retrouver ces atmosphères ; peut être par le biais de la genèse de ce monde. Mais ce ne sera ni à court, ni à moyen terme. Cela participe de la même logique que ce que je t’ai dit avant, je ne pouvais pas me replonger dans cette histoire tout de suite après l’avoir écrite. Il faut, de plus, un temps de maturation, comme pour chaque roman.
K : Est-ce que l’on peut imaginer que tu dépeignes une fresque en plusieurs tomes ou bien n’est-ce pas ton truc ?
J. H. : Pourquoi pas ; je n’ai rien contre sur le fond, mais il ne faut pas qu’un éditeur m’impose un nouveau volume tous les six mois ou tous les ans, j’aurais besoin de souffler entre deux. Ce que j’apprécierais plus c’est un cycle, comme Le cycle de la Culture de Banks, où tu peux lire chaque tome vraiment indépendamment, avec une unicité propre à chaque bouquin ; même si tous se déroulent dans un univers commun, que chacun ait son identité propre.
K : Tes romans ont toujours, ou presque, une visée politique, le dernier chapitre s’intitule « la lutte finale », tu étais présent à la Fête de l’Huma… écrire est-il pour toi nécessairement un acte politique ? quelle est le rôle de la littérature dans la société et la littérature fantastique a-t-elle la même place ou non ?
J . H. : Je vois difficilement comment on peut écrire sans être politique, dans le domaine de l’Imaginaire en tout cas, dans la mesure où l’on propose un univers différent de celui dans lequel on vit. Evidemment, c’est un peu différent pour le médiéval fantastique où il s’agit souvent de remettre l’héritier sur son trône ! C’est un peu réactionnaire, alors que je ne pense pas que tous les écrivains du genre soient monarchistes ! Mais l’aspect politique est le fond commun de tout roman de science fiction. Dans les années 70-80, la SF était prétexte à un texte politique, au risque que ce soit parfois un peu rébarbatif ; mais tu peux aussi le faire très subtilement et de façon vachement ludique comme Wagner dans sa série Les futurs mystères de Paris où la politique n’est pas mise en avant, elle est sous-jacente, mais elle est toujours là. Je m’avance peut-être un peu, mais je ne pense pas qu’il y ait de texte de science-fiction qui soit 100% affranchi d’une certaine visée politique.
K : La place de la femme dans tes romans est intéressante. Elle semble te fasciner et t’impressionner tout à la fois. Son apparence est souvent éthérée, si ce n’est diaphane (mise à part Og Reï la berserker), elle semble toujours en position éminente par rapport à l’homme qui, sans elle, serait un Thésée perdu dans le labyrinthe sans le fil d’Ariane ; de plus, elle n’est jamais détachée d’un certain érotisme (même Louise-Michèle dans La lune seule le sait reste le fantasme d’Hugo et Verne). Cela correspond-t-il à ta vision idéalisée de la femme ?
J. H. : Donner le rôle principal à un personnage féminin dans Faërie Hackers c’était répondre aux critiques qu’on avait pu me faire, ma compagne en premier lieu, sur le fait que mes femmes n’étaient guère féminines (Louise Michèle, ou bien Ekin dans Reconquérants). C’était aussi une réaction par rapport à la Fantasy au sens large où l’homme a la part belle. C’était un défi que de réussir ce personnage dans toute sa complexité.
Maintenant, ce n’est pas consciemment que je fais cela, ce n’est qu’après coup que tu t’en rends compte. C’est le cas typique de personnages qui s’imposent d’eux mêmes.
Mais cela reste considérablement différent de ce que je vis dans mon couple, et ce n’est pas le moins du monde mon fantasme !
K : Dans Faërie Hackers, tu critiques/taquines les gothiques, quel est ton genre de musique ?
J. H. : Et bien il se trouve que j’écoute de la musique gothique, du métal des débuts tel que Led Zeppelin, mais aussi du néo-métal, du punk du style les Wampas ou les Sex Pistols, ou de la chanson française des années 40-50 ou Brassens, William Sheller, Eddy Mitchell ; … Aussi beaucoup de blues. Je suis aussi très fan du pop-rock anglais des sixties, et je me suis récemment mis au country-folk. J’ai des goûts très éclectiques en fait. J’écoute de tout… à part la musique électronique, j’ai pas réussi à entrer là-dedans. Quand j’écris, j’aime bien écouter du classique. Mais c’est presque à chaque moment de la journée une musique différente.
K : L’humour est le trait dominant de tes nouvelles ce qui n’est pas le cas de tes romans, même si l’humour n’en est pas absent, pourquoi ce choix ?
J. H. : J’aime bien me lâcher quand j’écris une nouvelle ! Et puis le format s’y prête bien. Les nouvelles rythment l’écriture d’un roman, c’est l’occasion pour moi de m’évader de l’univers d’un bouquin.
K : Tes textes sont parfois très visuels, la bd est-il un monde qui t’attire ?
J. H. : Que ce soit moi ou tous les copains qui écrivent en ce moment, on écrit tous très visuellement, cinématographiquement même. Autant dans les années 70, la SF était imprégnée de sciences humaines, autant depuis une dizaine d’années c’est la culture de l’image qui prime. Ce qui caractérise la SF française à l’heure actuelle, c’est le recours à l’image et le retour de l’histoire (au sens l’aventure), par opposition à une SF plus littéraire, plus érudite, plus élitiste dans les années 80 et qui avait causé la petite mort du genre, au profit du polar.
J’ai été longtemps lecteur des Comics USA, Frank Miller, Corben… cette école là. Après, c’est quelque chose que je ne suis pas du tout, si ce n’est Fluide glacial ou Psikopat. A peu près à la même époque où je me suis tourné vers le roman noir, j’ai complètement laissé tomber la BD… et j’ai jamais repris. Je préfère les histoires en strip, voire en une vignette comme Gary Larson, ou « Calvin et Hobbs », l’humour décalé un peu dans l’ambiance Monty Pythons.
K : Quel auteur serait incontournable pour toi ?
J. H. : A l’heure actuelle, ce serait Neil Gaiman. Dan Simmons fait aussi partie de mon panthéon personnel. Mais je me suis vraiment pris une claque quand j’ai lu American Gods ! Ce qui est génial c’est que tu ne peux même pas vraiment le classer. Je me suis dit, « voilà dans quel esprit il faut écrire maintenant !». Stardust que j’ai lu bien après, c’est la fantasy qui me plaît, qui sort des sentiers battus du genre. J’ai fait Faërie Hackers dans ce même esprit et mon prochain roman chez Mnémos devrait, lui aussi, être dans cet esprit de fantasy urbaine. L’interpénétration de réalisme et de fantastique est très intéressante. C’est ce genre de fantasy moderne dans lequel je me sens le plus à l’aise et que j’ai le plus envie d’explorer.