J’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Jeff VanderMeer, auteur de la saga Le Rempart Sud dont le premier tome est sorti le 10 mars aux éditions du Diable Vauvert.
Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Khimaira?
Et bien je suis Jeff VanderMeer et j’écris…toutes sortes d’histoires! Mais le livre qui sort en France est Annihilation qui est une sorte de thriller mystérieux mélangé à de la SF et mêmes quelques éléments qui peuvent sembler surnaturels. On ne sait rien dans le premier tome, mais dans celui-ci, on suit une expédition au cœur de la nature sauvage où on trouve des animaux transformés et une tour/tunnel hanté; l’expédition ne sait pas ce qu’elle va trouver à l’intérieur…
J’ai lu que vous enseignez la « creative writing ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste?
Ma femme et moi nous enseignons la « creative writing » ce qui correspond tout simplement à enseigner l’écriture de fiction; dans des masterclass de deux semaines dans des universités comme Yale, l’Université de Californie, l’Université British Colombia. Parfois nous organisons des résidences, à Hobart & Smith au nord de New York, pour un semestre. Notre principal support est le livre Wonderbook (nb: il s’agit d’un ouvrage écrit par VanderMeer) qui est le premier livre entièrement illustré sur la « creative writing ». Il met en lumière des concepts d’écriture très complexes via des illustrations pour les rendre plus faciles, j’espère, à comprendre. Il y a des choses évidemment qu’on ne peut pas enseigner comme l’imagination ou la volonté de réussir et l’endurance, mais il y a certaines choses qu’on peut enseigner, quand vous regardez le manuscrit de quelqu’un d’autre et que vous comprenez ce qu’il essaye de faire; que vous ressentez vraiment ce que l’étudiant veut faire sans rien lui imposer alors vous pouvez l’aider avec de la technique et des astuces.
Donc vous êtes d’abord un professeur puis un auteur? Où vous êtes devenu professeur après?
Je suis un auteur à temps plein, mais j’ai toujours été un éditeur et un professeur à un certain point. Un professeur moins efficace quand j’avais 19 ans (rire), mais ça ne m’a pas empêché d’essayer! (rire)
Pouvez-vous décrire votre époque « New Weird »?
L’époque « New Weird », ce qui est une bonne façon de le présenter, débute au début des années 2000. Quelques personnes ont essayé de comprendre quelles étaient les généralités qu’on pouvait trouver dans ce qu’ils écrivaient. Le but était d’appliquer à la fantasy quelques leçons de l’époque New Wave des années 60 et 70 qui s’appliquaient principalement à la SF et ajouter des éléments plus sombres comme Le Livre de Sang de Clive Barker (qui va d’ailleurs sortir chez Bragelonne le 20 avril) qui a certainement eu la plus grosse influence sur le New Weird. Mais aussi utiliser des techniques littéraires plus mainstream et à peine en avions-nous parlé (les auteurs de ce « mouvement littéraire ») que cela nous a ramené au mouvement décadent (mouvement littéraire de la fin du XIXème) en France et en Angleterre et les auteurs de ce genre qui essayent de se libérer de certains codes pour faire quelque chose de différent. Depuis, ça s’est un peu dissipé chez les auteurs anglais, mais cela revient dans d’autres pays où les éditeurs, par exemple en République Tchèque, trouvent un moyen utile de mettre en avant ce « mouvement » d’un point de vue commercial. Cela permet à plus d’auteurs d’être visibles sur la scène littéraire dans plus de pays.
Travaillez-vous avec d’autres auteurs pour mettre en avant ce mouvement littéraire?
J’appartiens plutôt à l’école de « ne jamais rejoindre un club » donc même durant l’époque New Weird j’étais sceptique, me demandant à quels moments cela pouvait être utile. C’est comme la Nouvelle Vague: il y a des auteurs pour qui c’est un moment qu’ils traversent pour aller vers autre chose et d’autres qui permettent de définir le mouvement. Pour moi, c’était plutôt le traverser même si « l’étrange » m’est très utile. En utilisant des éléments de la littérature de l’étrange, combinés à la SF, tout cela m’est très utile dans le but de créer quelque chose qui rejoint les problèmes écologiques.
Concernant le premier tome, peut-on dire qu’il s’agit d’un savant mélange entre Lovecraft et Lost? Pour moi, on se rapproche plus de Lovecraft, mais est-ce quelque chose qui vous a traversé l’esprit ou pas du tout?
Personnellement, en tant qu’auteur et lecteur, je n’ai jamais été passionné par Lovecraft. J’ai vu quelques épisodes de Lost et c’était en effet marketé ainsi aux US. Beaucoup d’éléments dans l’histoire me sont personnels. Les décors du premier livre représentent plus ou moins les 8 km de randonnée que je fais régulièrement et il y a des moments où vous êtes dehors avec ces paysages étranges et troublants, particulièrement quand vous marchez tout seul et vous rencontrez des dauphins dans un canal d’eau douce ou un sanglier vous charge, comme ça m’est arrivé une fois! Beaucoup de personnes me demandent d’où viennent mes références littéraires. Pour moi, ça vient presque à 100% d’expériences personnelles, en dehors des éléments étranges qui viennent eux de différents auteurs du genre comme Algernon Blackwood; j’ai également mentionné dans d’autres interviews Michel Bernanos, qui est un auteur peu connu en France alors qu’il est français! Il a écrit La Montagne morte de la vie qui est une oeuvre brillante. Mais nous avons ajouté tellement de mythologies de l’étrange qu’il est difficile de savoir d’où viennent réellement les idées.
Pourquoi uniquement des personnages féminins?
Parce que, bordel, quelqu’un devait le faire! Quelqu’un devait le faire à un moment! (rire) Elles sont venues à moi par rapport à leur fonction. Parfois, vous pouvez faire des choix inconscients sans changer l’histoire et j’en ai tellement marre de ces histoires avec une seule femme. On voit ça tout le temps dans les films: c’est toujours elle qui meurt en premier. C’est marrant, car c’est la question qui revient le plus souvent, habituellement pas posée de la façon sympathique dont vous venez de le faire; du genre « Pourquoi y a que des femmes?! »Ce qui est très énervant! Quand j’ai écrit leur back-story, elles sont arrivées comme ça donc je ne les ai pas changées. Non pas que je le voulais, mais ça marchait très bien comme ça.
Pouvez-vous nous dire comment l’histoire va évoluer?
Et bien je peux vous dire qu’un millier de lapins vont apparaître à la Frontière dans le second tome. Je peux vous dire que cela aura des conséquences désastreuses; (rire) comme vous pouvez l’imaginer! Le premier tome est une expédition dans la Zone X et le second est une expédition des autorités dans la région sud. Au lieu d’explorer la nature, on explore la bureaucratie et la zone de recherches scientifiques qui pendant 30 ans a essayé (de découvrir les secrets de la zone) et échoué et est devenue paranoïaque. Un nouveau directeur prend la tête de l’agence et certains personnages du premier tome assez inattendus reviennent dans le second. Vous en apprendrez plus sur ce qui se passe réellement. Vous comprenez mieux l’urgence de la situation. Et le dernier tome est construit du point de vue de différents personnages. La biologiste revient plus tard…
Pour moi, dans ce premier livre, vous mettez beaucoup en avant la bureaucratie et la manipulation de l’agence, ses mensonges… plus que des éléments SF. Est-ce ce que vous avez essayé de faire? Dénoncer ce système.
Comme vous avez pu voir, l’écologie prend une grande place en arrière-plan et il y a en effet des thèmes comme les grandes institutions humaines; comment elles opèrent et cela se voit vraiment dans les second et dernier tomes. Oui je voulais explorer le fait que les êtres humains ne sont pas nécessairement les plus rationnels; du moins pas autant qu’ils le croient. Ils pensent que leur rationalité va les aider à régler les problèmes, mais pas particulièrement.
Le premier livre va être adapté au cinéma. Qu’en pensez-vous? Avez-vous travaillé sur le scénario? Est-ce que 3 films sont prévus? Natalie Portman vient d’être castée pour le rôle principal. Avez-vous été impliqué dans le process?
Je n’ai aucun contrôle sur le casting. Je pense que le choix des acteurs est très bon. Je suis curieux de les voir interagir. Alex Garland, le réalisateur m’a fait lire le script et il m’appelle de temps en temps pour parler de ce qu’il fait et pourquoi il le fait comme ça; principalement parce qu’il écrivait avant et il sait ce que ça fait la première fois que ça vous arrive. Il veut que je sois à l’aise avec tout ça. J’ai vu les premières photos de la pré-production ce qui est la partie la plus excitante pour moi. Le scénario est différent du livre ce qui au final sera mieux pour moi parce que j’aurai toujours le livre séparément. Mais l’ambiance générale du film va être absolument incroyable! Je suis en peu snob en ce qui concerne le cinéma, mais là je regarde les photos et je me dis que ça pourrait être le meilleur film de SF jamais vu.
J’ai une question sur vos ouvrages précédents. Vous avez écrit La Bilbe Steampunk et Le Manuel Steampunk. Comment passe-t-on de la SF au Steampunk? Pourquoi ce genre? Est-ce quelque chose que vous appréciez?
Ma femme et moi-même avons édité une anthologie de nouvelles appelée Steampunk. Et à ce moment-là c’est quelque chose que nous avons fait juste après la « New Weird » où nous cherchions un autre projet à développer. Nous savions que cela n’avait pas été fait avant. Mais après ça, j’ai eu l’opportunité de faire ce livre illustré et là c’est plus l’intérêt journalistique qui a parlé; capturer l’essence de cette sous-culture et tous ses aspects. J’aime le rétro-futurisme en général. Le second livre a d’ailleurs plus de références de ce genre que du steampunk (nb. le manuel). Mais j’ai pris cette opportunité, car j’ai toujours voulu faire un livre illustré. Je me suis dit que ça pouvait être très intéressant. Ça s’est avéré être une bonne idée, parce qu’aux US ça peut être un milieu très compétitif et si je ne l’avais pas fait en tant qu’auteur indépendant, je suis persuadé que beaucoup de gens ne lui auraient pas réservé un bon accueil. J’ai vraiment aimé mettre en relation les illustrations avec le texte. Je travaille sur un projet similaire; probablement le premier livre illustré sur le storytelling écologique.
C’est justement ma prochaine question! Quels sont vos prochains projets?
J’ai un roman qui sort l’année prochaine aux US, Borne, avec de nouveau des thèmes écologiques dans une ville post-apocalyptique avec un ours géant volant qu’une femme élève comme son propre enfant et les conséquences liées à ça. Et je travaille sur un roman qui s’appelle Hummingbird Salamander qui se passe de nos jours, sur une femme qui est consultante d’affaires qui se voit offrir un objet par une femme morte éco-terroriste et elle devra décider si elle veut découvrir à quoi sert l’objet ou si elle ne l’utilise pas changeant ainsi toute sa vie. La femme lui laisse des indices et c’est finalement le monde entier qui change à un certain niveau. Ce sont les projets sur lesquels je travaille en ce moment.
Donc beaucoup d’histoires autour de l’écologie?
Oui et ce thème a toujours été présent dans mes histoires, mais il était plus en arrière-plan et maintenant je le mets plus en avant.
Et une dernière question. Quel est votre ouvrage préféré de SF?
(rires) Oh mon dieu c’est une question vraiment difficile! Il y a des livres dont je me souviens encore qui m’ont marqué comme le roman d’Angela Carter The Infernal Desire Machines of Doctor Hoffman ou Tous à Zanzibar de John Brunner, Dune la première fois que je l’ai lu; je ne sais pas si je le lisais maintenant je l’aimerais ou pas, mais à l’époque je l’ai beaucoup aimé. Stephen Chapman avec The Troika qui je crois n’ a jamais été publié en France, mais ce livre m’a appris à casser toutes les règles et m’en détacher. En voici quelques’un. Il y en a tellement!
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Merci à Jeff VanderMeer pour son temps et aux éditions du Diable Vauvert pour la possibilité de cette interview.