Premier long métrage de Romain Basset, Horsehead est disponible à la vente en DVD et blu-ray depuis le 8 novembre. Une œuvre atypique dans la production française, et séduisante par maints aspects, mais que beaucoup de curieux n’ont pu découvrir sur grand écran à cause d’une diffusion en salles très discrète en 2015. Cette sortie en vidéo fait office de séance de rattrapage, c’est aussi pour nous l’occasion rêvée de revenir avec le jeune réalisateur sur sa première expérience de cinéma.
Comment peut-on réussir aujourd’hui, en France, à tourner un film comme Horsehead ?
C’est une question que je me suis moi-même posé pendant les quatre ans qu’a duré la gestation, et je n’ai toujours pas la réponse aujourd’hui ! Ce qui nous a sauvés, c’était l’envie, la passion. Horsehead était un projet que j’avais dans les veines, dans le ventre, et pour moi, le capitaine du navire, il n’était pas concevable de ne pas aller jusqu’au bout de l’aventure. Après, pour ce qui est de savoir de façon pragmatique comment tourner un film de genre en France, on touche carrément à une question métaphysique ! De moins en moins de producteurs ont envie d’en faire, et au niveau de la distribution, de l’exploitation, on a vu qu’il était très difficile d’exister… Pendant quatre ans, il a fallu forcer les choses pour que toute la mécanique s’enclenche.
L’affiche du film nous a fait penser au tableau Le Cauchemar (1781, ci-dessus) du peintre Johann Heinrich Füssli. T’en es-tu inspiré ?
Oui, ce tableau est la pierre angulaire du film. Pour être honnête, je n’ai jamais pensé que l’affiche le reproduisait plus ou moins. Il y a des éléments en commun, c’est indiscutable — le cheval, la jeune fille. En revanche, la scène pré-générique de cauchemar est en effet la version animée, vivante, du tableau de Füssli, pour moi la source d’inspiration primitive de Horsehead. À une époque, j’ai été sujet à ce qu’on appelle la paralysie du sommeil. Il s’agit de troubles, de terreurs nocturnes qu’on éprouve lorsqu’on est très fatigué. On se retrouve dans l’impossibilité de bouger, à éprouver une sensation d’impuissance totale. Il s’agit de l’expérience la plus perturbante que j’aie jamais ressentie : on ne peut rien faire, les muscles entrent en catatonie, et tu as beau essayer d’appeler à l’aide, tu n’y arrives pas… Ce genre d’épisode peut aussi arriver à des gens qui souffrent du jet-lag, par exemple. Bref, j’ai été sujet à ces crises, ce qui m’a poussé à effectuer des recherches, notamment sur Wikipédia où, sur la page consacrée à la paralysie du sommeil, je suis tombé sur ce tableau. Je le connaissais déjà, c’est une œuvre dark/romantique que j’ai pu voir de mes yeux au Musée d’Orsay dans l’exposition « L’Ange du bizarre ». Je suis resté deux heures devant ce tableau tant j’étais fasciné par son esthétique. Et plus tard, donc, je me suis rendu compte que cette peinture illustrait mon état : on observe une jeune fille alitée, incapable de bouger, avec un petit démon posé sur la poitrine qui symbolise le poids qui nous oppresse à cet instant de paralysie. Et le cheval aveugle qui passe la tête par le rideau figure l’hallucination dont est victime le personnage. Par conséquent, travailler ce tableau pour en faire une matière cinématographique est devenu une obsession. Le Cauchemar a été l’étincelle primordiale qui a donné naissance au scénario de Fièvre, le titre initial du film, qui est devenu Horsehead par la suite.
S’agissant de rêves portés à l’écran, y a-t-il des clichés de mise en scène que tu as tenu à éviter ?
Oui et non… Bien sûr on a toujours envie d’innover, de faire mieux que le copain en évitant tel ou tel écueil, tel lieu commun. Tu as envie d’être plus malin, plus efficace… en tout cas, c’est ce que tu te dis quand tu te lances dans l’écriture de ton premier film ! Maintenant, j’ai conçu Horsehead en étant obsédé par des images, des symboles, que j’ai eu à cœur de porter à l’écran sans ressentir le besoin d’être original à tout prix et sans me poser la question systématique de savoir si je citais, malgré moi, des références. Par contre, la question me fait penser à quelque chose… Il y un procédé de mise en scène qu’on retrouve très souvent dans le cinéma de la peur : le « jump scare ». Dans Horsehead, on a utilisé le même jump scare deux fois, la seconde fois arrivant pour désamorcer le procédé, pour en expliquer la mécanique — avec le montage, avec le son qui va arriver, etc. pour faire sursauter l’audience. C’était intéressant d’aborder cette technique sous cet angle, d’autant que du point de vue narratif, c’était parfaitement justifié.
Romain Basset, interrogé par notre équipe au cinéma La Scala de Thionville (57).
Pour faire comprendre à l’équipe la vision que tu avais du film, as-tu travaillé avec un storyboard ?
Non, pas du tout. Il faut confier la réalisation d’un storyboard à quelqu’un qu’il faut rémunérer, ça prend donc de l’argent et du temps, et je n’en avais pas les moyens. Mais j’avais des références picturales, des séquences de films que j’ai pu montrer à ceux qui ont travaillé avec moi afin de suggérer l’atmosphère, le climat, le cachet que je souhaitais donner à Horsehead. Je suis parti de là, d’une grosse recherche d’images, de films…
Horsehead se déroule en France, néanmoins tu l’as tourné en anglais. Pourquoi ?
La première raison, à la fois la plus évidente et, pour moi, la moins importante, était de faire en sorte que le film puisse facilement s’exporter. Certains nous ont, du coup, taxés d’opportunisme, mais bon, tant pis. Je préciserai que Horsehead s’est fait suite au cas d’un film qui n’avait pas pu se monter en France — puisque faire du cinéma de genre en France, c’est compliqué — et ma réaction a été de me montrer lucide : si le cinéma de genre n’a pas lieu d’être ici, eh bien faisons le film en anglais pour des gens ailleurs que ça intéresse. C’était un pied de nez à la France, qui ne veut pas de notre cinéma.
Après, il y a des raisons artistiques : tout d’abord, on a envisagé ce film comme un hommage aux productions Hammer, au gothique britannique, aux films de Terence Fisher, de Roy Ward Baker… des cinéastes avec lesquels j’ai grandi et qui ont créé des atmosphères particulières autour d’acteurs comme Peter Cushing, Christopher Lee, en utilisant le technicolor, qui donnait une vraie densité à l’image. Et la langue anglaise typique des dialogues participait à l’aura de ces films. D’où la pertinence, la légitimité d’entendre de l’anglais britannique dans Horsehead. Ensuite, j’ai eu le souci d’éviter la verbosité : quand on veut dire quelque chose en français, on parle beaucoup, parce que la langue est ainsi faite et aussi parce que le dialoguiste français a tendance à écrire beaucoup. La langue s’y prête bien, c’est une super pâte à modeler, et du coup on en rajoute souvent des caisses. Pour ma part, ce n’est pas quelque chose que je trouve pêchu, catchy … d’où ma volonté de tendre vers une concision efficace, et des dialogues en anglais étaient le moyen d’aller droit au but.
Dans la bande son, il n’y a pas que des dialogues, il y aussi de la musique. Comment as-tu travaillé avec le compositeur de la b.o., Benjamin Shielden ?
Benjamin est d’une créativité et d’une réactivité incroyables, il n’arrête jamais de bosser ! Notre collaboration s’est déroulée à merveille, on a correspondu de façon quotidienne par mail, par téléphone, y compris la nuit… Il a fait preuve d’un dévouement absolu pour le film, il s’est impliqué autant que moi en donnant le meilleur de lui-même. Ce qui ne veut pas dire qu’on était toujours d’accord : il lui est arrivé de devoir défendre son bifteck pour faire valoir ses idées, pour me prouver que parfois j’avais tort, par exemple lorsque j’attendais de lui des morceaux référentiels, à la John Carpenter, alors que lui nourrissait des ambitions plus originales et créatives. Ça a été une collaboration hyper fructueuse, je suis fier de son travail et de sa musique.
Y a-t-il d’autres personnes avec qui tu as collaboré et qui ont, eux aussi, apporté de l’eau au moulin en discutant certains de tes choix ?
Oui, plein ! Je pourrais passer des heures à en dresser la liste complète ! À tous les niveaux, dans tous les départements, les gens ont eu des remarques, des suggestions à me faire. Et c’était formidable, ça correspondait à l’idée que je me fais d’un tournage, une aventure humaine un peu dingue où chacun met de son cœur, de son A.D.N. Le film a bénéficié de la richesse d’une équipe de quarante ou cinquante personnes, du chef-op’ au chef déco en passant par le casting, par les gens du maquillage… Chacun a apporté un peu de sa personnalité et j’espère que tout cela se retrouve dans le résultat final.
Cliquez ici pour lire (ou relire) la chronique de Horsehead par notre ami et collaborateur Lucas Giorgini.