Deuxième tome des Fées des sixties (après Les Disparitions d’Imbolc de Maroh et Macaione). Cette fois, c’est à un trio — Gihef et Christian Lachenal au scénario, Alberto Zanon au dessin — de nous raconter une histoire de fées. L’album reprend la situation-cadre exposée dans le premier volume (plein de fées sont sorties de leur dimension magique d’Avalon et vivent dans l’Angleterre des années 1960) pour nous faire voleter avec Anann, une gentille fée rousse intriguée par les humains, séduite par leur musique — les Rolling Stones ! — et leur goût de la fête. Faisant fi des réserves prudentes d’une congénère, la candide Anann quitte la forêt pour s’aventurer en ville, à Manchester, où elle aimerait devenir chanteuse mais où l’attendent de terribles dangers.
L’histoire ne ménage cette fois aucune incursion dans le monde des fées, nous sommes de la première page jusqu’à la dernière dans une société anglaise encore crispée autour de vieilles valeurs. Le rock’n’roll a beau sortir des autoradios et des enceintes des concerts, les gens ne sont pas tous disposés à accepter une société en pleine évolution. À Manchester, Anann tombe amoureuse de Stella, une jeune femme issue de la classe ouvrière et qui porte le deuil de sa sœur, morte tragiquement deux ans plus tôt au cours d’une rixe en pleine rue. Car les gens en viennent facilement aux mains, ils ne supportent pas les Irlandais, encore moins les immigrés pakistanais, alors que penser d’un couple de femmes qui se montre en pleine rue ?
Après un premier volume qui nous a un peu chiffonnés par son détournement des archétypes de la fantasy au profit d’une militance queer, la lecture de L’Ange de Manchester se révèle être une formidable surprise. L’histoire est dure, elle confronte une âme innocente — celle d’Anann — à la cruauté du monde. La fée se retrouve la cible de commentaires désobligeants, d’insultes (parce qu’elle aime une autre femme, parce qu’elle est jeune, parce qu’elle est une fée), elle se rend compte aussi que des humains exploitent les créatures magiques (on trafique de la poussière d’ailes de fée, avec les mutilations que cela implique). Et pour couronner le tout, un couple d’assassins sévit en ville pour châtier les acteurs de la décadence sociale. Le scénario réussit avec finesse le mélange de genres, à la fois chronique sociale, sentimentale, et récit policier, et le style d’Alberto Zanon (formé entre autres chez Disney) sied à merveille à cette fable cruelle, avec des héroïnes très expressives, à la psychologie fouillée, et qui n’aspirent à rien d’autre qu’à vivre heureuses. Tout ce qu’on aurait envie de leur souhaiter une fois la BD refermée, même si l’on sait, good gracious, que rien n’est jamais gagné.
En librairie le 5 avril 2023. Le troisième volume de Fées des sixties, intitulé Tombée du ciel, est annoncé pour le 7 juin.