Après un premier album de reprises en 2017, enregistré à quatre voix, puis le départ d’Amanda Somerville, Exit Eden est désormais un trio composé d’Anna Brunner, Marina La Torraca et Clémentine Delauney. C’est cette dernière que nous avons rencontrée pour parler de Femmes fatales, le second album du groupe.
Khimaira : Bonjour, Clémentine. Je suis ravi de te retrouver en interview. Les fois précédentes, nous avons parlé de Visions Of Atlantis, mais aujourd’hui ton actualité c’est le nouvel album d’Exit Eden. Il y a douze morceaux en tout, six compos originales et six reprises…
Clémentine Delauney : C’est exact. Est-ce que tu as une chanson préférée dans l’album ?
Celle qui m’a le plus surpris, c’est Désenchantée de Mylène Farmer, une chanteuse qui jusqu’ici a rarement fait l’objet de reprises officielles. Étant la seule Française du trio, je suppose que c’est toi qui a suggéré de chanter ce titre ?
Non. Ç’aurait pu être le cas, c’est vrai, et j’aurais pu me targuer d’avoir eu cette bonne idée, mais les choix de reprises ont tous été faits par notre producteur. Désenchantée, c’est une chanson qui est connue à l’étranger, justement parce qu’elle a été reprise une première fois par une artiste belge, Kate Ryan [en 2010 — NdR]. Elle en a enregistré une version remix, bien plus dansante que l’originale, qui a permis de populariser le titre hors de France. C’est pourquoi notre label en connaissait l’existence. L’idée était aussi de mettre en avant nos origines respectives puisque, dans le trio, nous sommes toutes de nationalités différentes [Anna Brunner est allemande, Marina La Torraca brésilienne — NdR]. D’où cette reprise qui permet de montrer que je peux aussi chanter en français. J’ai été ravie et honorée de cette proposition : Mylène Farmer fait partie des artistes avec lesquels j’ai grandi, en tant que personne et en tant que musicienne. J’ai beaucoup écouté ses albums étant plus jeune, et je tiens à ce que cette reprise soit considérée comme un hommage.
On a parfois reproché à Mylène Farmer de ne pas avoir une voix très puissante, ce qui n’est pas du tout ton cas. Est-ce que tu as veillé à ne pas trop en faire pour ne pas écraser la chanson par la force de ta voix ?
Disons que Mylène Farmer utilise surtout sa voix de tête, sauf dans son album Anamorphosée, qu’elle a enregistré dans des tonalités plus graves. Mais comme tu dis, ce n’est pas une chanteuse qui a mis l’accent sur la puissance vocale dans son approche artistique, et de mon côté je n’ai pas cherché à l’imiter : j’ai abordé la chanson comme si c’était une des miennes, ou comme si c’était une compo originale d’Exit Eden. Je l’ai chantée avec ma voix de poitrine tout en veillant à en préserver la mélancolie, qui est inhérente aux paroles. L’interprétation doit toujours venir servir le sens.
Autre choix de titre qui m’a étonné, It’s a Sin des Pet Shop Boys. Il m’a surpris parce que la chanson a déjà été reprise par Ghost il n’y a pas très longtemps avec des arrangements metal. Avez-vous étudié cette version avant d’enregistrer ? Pas pour vous en inspirer, plutôt vous en démarquer…
Là encore, c’est un choix de notre producteur, qui avait très envie de nous entendre chanter ce titre. Et je dois dire que cette décision remonte déjà à loin : l’album sort en janvier 2024 mais les enregistrements vocaux ont été réalisés en février 2022, et toutes les démos étaient prêtes depuis 2021. Après, je ne sais plus de quand exactement date la reprise de Ghost ?
2018, dans l’album Prequel.
Ok, alors en effet, c’était bien avant. Mais je ne suis pas persuadée que la version de Ghost ait eu une quelconque influence sur ce choix de chanson. Notre producteur avait sa vision à lui pour en faire un morceau d’Exit Eden, et c’est parti de là.
J’en viens aux compositions originales. Comment se passe votre travail ? Dans les clips, on ne voit que vous trois, les chanteuses, et les musiciens sont invisibles…
On ne les voit pas à l’image car Exit Eden n’est pas un groupe à proprement parler, c’est un projet mené par Napalm Records et le travail de composition est réalisé majoritairement par Hannes Braun, notre producteur [par ailleurs chanteur du groupe Kissin’ Dynamite — NdR]. Il n’œuvre pas seul, il travaille en parfaite symbiose avec Anna car ils ont l’habitude de collaborer régulièrement. Anna s’occupe des paroles, lui de la musique. Donc inutile d’imaginer un groupe-fantôme qui écrit et qu’on ne verrait jamais. Idem pour la scène : on n’a pas de membres live officiels. Jusqu’en 2019, on a tourné avec des musiciens de Kissin’ Dynamite — tous des amis d’Anna. Pour ma part, je suis très active pour tout ce qui a trait à l’aspect visuel du groupe.
Parmi les compos originales, il y a Run!, dont le clip est sorti il y a quelques semaines. Avec un invité de marque, Marko Hietala…
Cette collaboration est partie d’un rêve ! Quand Hannes a écrit ce morceau, il a ménagé au milieu de la chanson un pont et, pour ce moment précis, il a voulu quelque chose d’assez « rentre-dedans » dans l’interprétation. Alors Hannes a demandé à Anna — c’est notre rockeuse dans le groupe, elle a une saturation naturelle dans la voix que je trouve assez géniale — de venir chanter ce pont en lui demandant de le faire à la manière de Marko Hietala. Au fil des essais, ils ont convenu que cette partie de la chanson était vraiment faite pour Marko, et on s’est dit que ce serait fantastique s’il pouvait venir enregistrer en guest. On avait un peu l’impression de rêver à haute voix, mais après tout nous sommes chez Napalm Records, un label qui a des ressources, et le rêve n’était peut-être pas inaccessible. Napalm a adoré l’idée, ils ont contacté Marko, lui ont fait écouter la chanson et il a suffisamment aimé pour accepter de nous rejoindre, en studio et ensuite sur le tournage du clip.
Donc vous voilà un beau jour en compagnie de Marko. Comment décrirais-tu votre collaboration avec lui ? Et quel type de personne est-il ?
C’est un véritable artiste. Je veux dire par là qu’il est un peu dans son monde et, en même temps, c’est quelqu’un d’adorable. Je pense que quand il décide de se lancer dans quelque chose, il s’y consacre à fond, et c’est exactement ce qu’il a montré sur le tournage. Il a couru dans le sable, dans l’eau, il devait tomber à genoux, etc. Il a joué le jeu en suivant toutes les consignes du réalisateur, avec un enthousiasme et une concentration impressionnants. On voyait bien qu’il ressentait beaucoup de plaisir à être là et à jouer la comédie. À la fin de ses prises, il était trempé, il avait froid et il était un peu crevé. Il aurait pu demander à se faire raccompagner mais au lieu de ça, il a tenu à rester jusqu’au bout du tournage.
Avez-vous parlé un peu de son travail ? Que fait-il en ce moment ?
Oui, il nous a dit deux mots du prochain album de son groupe, Tarot. On a parlé un peu de songwriting avec lui, c’était très agréable. Des moments un peu surréalistes pour nous car c’est quelqu’un qui a vraiment une aura particulière dans le monde du metal.
Exit Eden, c’était auparavant un quatuor. À présent vous êtes un trio, ce qui vous a permis d’apparaître dans ce clip comme les trois Parques de la mythologie romaine. C’est entre leurs mains que tombe le personnage que joue Marko…
Tout à fait, et c’est moi qui ai décidé de reprendre cette image mythologique des Parques : dans le contexte de l’album et des « femmes fatales », cela me paraissait approprié. Nous voulions parler de la puissance féminine obscure, alors pourquoi ne pas décliner ce concept dans nos vidéos, à chaque fois sous un angle différent. Et quand il a été établi que Run! sortirait en single et que Marko serait dans le clip, je me suis dit qu’on n’allait pas se contenter de se faire filmer chantant en sa compagnie. Je suis allée chercher du côté des mythes et légendes qui mettent en avant le côté dangereux du pouvoir féminin, et les Parques collaient parfaitement au sujet. Ces déesses sont les maîtresses de la vie des hommes, des personnages qui nous permettaient d’échapper à l’esthétique « Beauty and the Beast » dans laquelle on aurait pu tomber.
Tu viens de mentionner le titre de l’album, Femmes fatales. Je l’aime beaucoup, il claque bien, tout comme le tag rouge sur les boiseries de la pochette. Qu’est-ce que c’est, pour vous, une femme fatale ?
Dans l’univers du metal comme de la musique en général, et même dans la société actuelle, on tient à faire pencher la balance de l’autre côté, c’est-à-dire redonner du pouvoir aux femmes. Et ça ne veut pas dire être gentille, sage, toujours dans la retenue et polie en permanence. Il y a une énergie qu’on appelle « dark feminine energy », qui résume bien le pouvoir de séduction des femmes, et leur pouvoir de décision, notamment en ce qui concerne la façon dont elles mènent leur vie. Sans pour autant être méchantes, on peut très bien avoir du pouvoir, de l’influence, faire preuve d’autant d’assurance et d’assertivité que n’importe quel homme. Attention, il n’est pas question que les femmes, pour se faire respecter, doivent se donner pour ambition de devenir des hommes — s’habiller comme eux, faire les mêmes choses, être productives, parler comme eux, etc. Au contraire, on tient à montrer qu’en jouant avec nos propres armes, on peut gagner le même pouvoir et le même niveau d’influence que les hommes. La voilà, notre image de la femme fatale : une femme qui s’émancipe dans la féminité, un objectif que nous pouvons toutes atteindre.
La photo de la pochette m’évoque l’univers du film noir, dans le cinéma américain des années 1940-50. C’est très classique et classieux, et pas courant du tout pour illustrer un album de metal…
Merci, je suis contente de ce commentaire parce que c’est exactement ce dont j’avais envie pour Femmes fatales. J’ai voulu qu’on sorte des codes du metal, qu’on n’apparaisse surtout pas comme trois filles gothiques perdues dans un château. Forcément, notre label a un peu tiqué en découvrant ces photos. Ils nous ont dit « oui, c’est cool, mais il va quand même falloir assombrir un peu tout ça ». Alors ils ont rajouté des fleurs noires, la tête de mort, de la fumée, etc. pour arriver à un rendu plus « dark » que les images d’origine. Mais l’idée de départ demeure : le personnage de la « femme fatale » a un côté intemporel, classique, c’est un archétype dont on a rehaussé l’élégance par quelques touches rock’n’roll dans les tenues histoire de ne pas être non plus totalement hors-sujet.
J’aimerais profiter de cet entretien pour parler un peu aussi de Visions of Atlantis. Le groupe a fait beaucoup parler de lui depuis l’an dernier : il y a eu tout d’abord la sortie de l’album Pirates, puis le live enregistré au Wacken Open Air en Allemagne et enfin, tout récemment, la version orchestrale de Pirates. Cette dernière sortie était-elle prévue de longue date ?
Je ne pourrais pas te dire à partir de quand on a commencé à parler sérieusement de sortir cette version, mais je me souviens avoir trouvé les pistes orchestrales magnifiques dès qu’on a commencé à les recevoir. Je crois même m’être exclamée à ce moment-là qu’un album orchestral serait une super idée ! Car forcément, quand on le mixe avec un groupe de metal et deux chanteurs, le son d’un orchestre passe à l’arrière-plan. On l’entend bien, mais il y a plein de détails qui sont perdus. Or j’adore la musique orchestrale, les bandes originales de fims… et quand Pirates a recueilli toutes ces critiques positives, on s’est dit que les archi-fans du groupe seraient peut-être intéressés de pouvoir écouter les enregistrements orchestraux. C’est en tout cas que nous laissaient penser beaucoup de fans avec qui on a discuté pendant notre tournée.
Le concert enregistré au Wacken Open Air, dirais-tu que ça a été la date la plus mémorable de cette tournée ?
Mémorable, certainement, dans le sens où c’est toujours impressionnant de jouer là-bas. Après, ça n’a peut-être pas été le meilleur show avec le meilleur son ni avec la meilleure production : dans un festival, on ne maîtrise pas tout, on est en plein air, on n’a pas le temps de faire correctement la balance, tout n’est pas aussi bien réglé que pour un concert en salle. Qui plus est, on n’était pas encore bien rodés pour jouer certains morceaux de Pirates, on se les est mieux appropriés par la suite. Mais la soirée méritait quand même qu’on marque le coup : plein de gens sur place ont adoré ce show et je pense que ça leur a fait très plaisir de pouvoir acheter le live.
Que va-t-il se passer en 2024 pour Visions Of Atlantis ?
On a deux énormes tournées déjà annoncées, une en première partie de Korpiklaani en avril aux États-Unis et une autre de cinq semaines en tête d’affiche à travers l’Europe — il y aura trois dates en France : Paris, Lyon et Toulouse. Les ventes de billets ont commencé et on a le plaisir de voir qu’ils partent très vite !
Tu viens de mentionner Lyon, une ville que tu connais très bien, entre autres grâce à tes activités au sein de Sounds Like Hell Agency, qui travaille à la diffusion de la musique metal en France. Arrives-tu à facilement à jongler entre Sounds Like Hell et ta carrière de chanteuse ?
Oui, bien sûr. Je suis toujours directrice de la structure et donc responsable de son développement. J’ai la responsabilité de faire en sorte que l’équipe soit toujours bien occupée et heureuse d’être là et de faire ce qu’on fait. Aujourd’hui on a trouvé un modèle de fonctionnement qui me permet de ne pas être là en permanence, qui n’exige pas que je sois sur place à chaque concert. J’ai longtemps œuvré seule à la programmation, à contacter les agents pour faire venir les artistes dans notre agglomération. C’est toujours dans mes attributions mais je travaille à présent en binôme avec Samantha, dans le sud, qui dirige Black Keys Productions [association basée à Menton — NdR].
Merci beaucoup pour tes réponses, Clémentine. Passe de joyeuses fêtes et tous nos vœux pour la sortie de Femmes fatales !
Je t’en prie, merci à toi ! À bientôt !
Propos recueillis en décembre 2023. Remerciements à Anaïs Montigny (Sounds Like Hell Agency, Lyon) et Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Femmes fatales le 12 janvier 2024.