Le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne mais le pays exporte toujours le metal britannique. Bientôt sur toutes les platines du continent, voici Hell Unleashed, le nouvel album d’Evile, quatuor anglais basé dans le West Yorkshire. À l’approche de la sortie le 30 avril, le guitariste et chanteur du groupe Oliver ‘Ol’ Drake nous entretient de moult sujets épouvantables — l’enfer, les tueurs en série, les troubles obsessionnels compulsifs, The Thing de John Carpenter et, pire encore que tout ça, le Brexit ! Accrochez-vous.
Khimaira : Bonjour, Ol. Evile existe depuis 2007 mais tu as fait une pause de quelques années et tu es revenu dans le groupe récemment, pas seulement en tant que guitariste mais aussi comme chanteur. Comment te sens-tu à ce nouveau poste ?
Ol Drake : Eh bien, je suis assez content du résultat. Je veux dire, je me suis mieux débrouillé que ce que je pensais. J’ai toujours fait des chœurs dans le groupe, alors ce n’était pas absurde que je passe au chant en soliste. Cela dit, j’ai des progrès à faire, j’apprends encore à faire ça correctement. Pour l’enregistrement, j’ai pu compter sur l’assistance de Chris Clancy, qui a produit l’album et a une très longue expérience de chanteur derrière lui.
Evile est resté sept ans sans sortir d’album. Qu’est-ce qui a motivé le lancement de Hell Unleashed ?
En 2018, je discutais avec Matt [Matt Drake, frère d’Ol, premier chanteur et guitariste du groupe — NdR]. Il était depuis quelque temps sans nouvelle du guitariste qui m’avait remplacé au sein d’Evile. Le type ne venait plus aux répétitions, il ne répondait plus aux messages. Sur le ton de la plaisanterie, j’ai déclaré que j’allais le remplacer à mon tour, et Matt m’a répondu : « Oui, pourquoi pas, on n’a qu’à reprendre tout ça ensemble ! ». Ils n’avaient rien composé en cinq ans, pendant toute la période où je n’étais plus dans le groupe. Une parenthèse un peu longue, alors on a tenu à sortir un nouvel album le plus tôt possible. En fin de compte, Matt a fini par quitter le groupe à son tour, et on a mis deux ans à composer Hell Unleashed. L’enregistrement a pris deux semaines, au Backstage Recording Studio d’Andy Sneap.
Il y a un petit nouveau au générique de cet album…
Oui, comme Matt est parti, j’ai pris aussi la place du guitariste soliste. Il fallait trouver quelqu’un pour me succéder à la guitare rythmique, nous ne savions pas vraiment vers qui nous tourner. Et puis il y a un groupe ici, à Huddersfield, qui s’appelle RipTide. Notre batteur, Ben, est très pote avec leur chanteur-guitariste, Adam. Comme il était déjà dans un groupe, on n’avait pas pensé à lui d’emblée, mais voilà : on lui a laissé un message — « Salut, c’est Evile à l’appareil, est-ce que ça te dirait de jouer pour nous ? ». Ça lui a fait un choc car il se trouve que c’est un fan de longue date, il écoute les albums d’Evile depuis l’âge de 11 ans ! Et ça se passe très bien avec lui, c’est un mec vraiment cool.
Quand j’ai parcouru les titres de la tracklist, je me suis tout de suite arrêté sur The Thing 1982 : j’adore ce film — et la plupart des autres films de John Carpenter — et je me suis dit que dans Evile, vous étiez dans le même cas…
(Rires) Dans le mille ! Par le passé, on a déjà écrit des chansons inspirées de films — First Blood, dans notre premier album, était inspirée de Rambo, pour Killer From The Deep, c’était Les Dents de la mer — mais tout ça remontait assez loin alors, sur le nouvel album, pourquoi pas retenter l’expérience avec mon film préféré entre tous, The Thing ! Un super sujet pour une chanson, les paroles me sont venues en une journée.
Il y en a d’autres dans l’album qui sont inspirées de films ?
Non, c’est la seule. On n’a pas enregistré un album-concept, les chansons sont toutes indépendantes les unes des autres et traitent chacune d’un sujet particulier. Paralyzed parle de la paralysie du sommeil, Gore d’un tueur en série — on est peut-être bien le premier groupe de metal à faire une chanson là-dessus. Disorder aborde la question des troubles obsessionnels compulsifs. Les autres titres sont inspirés de tout un tas de trucs cool, de jeux vidéo, de ce que j’ai pu voir de marrant à la télé…
Et la chanson-titre de l’album, c’est Hell Unleashed. C’est la vocation du groupe, « déchaîner les enfers » ?
(Sourire) Oh, tu sais, on n’a pas vraiment besoin de ça en ce moment, le monde actuel est bien assez infernal. Au sujet du texte de la chanson elle-même, Ben, notre batteur — c’est lui qui l’a écrite —, serait plus à même de donner des infos. Il s’est plus ou moins inspiré d’un jeu vidéo qu’il aime bien, il me semble. Un jeu de tir à la première personne qui est sorti l’an dernier. Ben a aussi écrit les paroles de War of Attrition.
Et donc les autres chansons, c’est toi qui les as écrites ?
Oui, j’ai écrit toutes les autres. Au début, je me suis fait aider d’un ami, Carl, parce que je n’avais encore jamais écrit de paroles et je voulais faire ça bien. Il m’a filé un coup de main pour les deux premières et je me suis senti plus en confiance.
Il y a un featuring pour Gore : un comédien américain, Brian Posehn, a apporté son concours. J’ai un peu de mal à évaluer ce qu’il a fait exactement sur ce titre, pourrais-tu m’en dire plus ?
On a un peu semé le trouble avec ce featuring. Brian Posehn, c’est quelqu’un qui a déjà participé à l’enregistrement de notre chanson Cult, sur notre troisième album. Il a chanté dans les chœurs. Je lui ai envoyé un mail pour lui demander si ça le brancherait de renouveler l’expérience sur Gore. Il était partant, et voilà ! Maintenant, ce n’était pas censé être mis en avant de la sorte. C’est notre maison de disques qui s’est aperçu de sa présence sur l’album et qui a jugé opportun de souligner sa participation avec un featuring. Et du coup, ça crée une certaine confusion, d’autant que Brian n’apparaît pas dans le clip.
Il est chouette, d’ailleurs, ce clip. J’aime beaucoup ces silhouettes noires aux yeux rouges…
Merci ! Le réalisateur s’appelle James Mansell. Je lui ai parlé en détail du sujet de la chanson, qui m’a été inspiré par un documentaire que j’ai visionné sur un tueur en série — pas la peine de préciser de qui il s’agissait, ces gens-là ne méritent pas qu’on leur accorde une quelconque renommée. Avec James, on a discuté de la meilleure manière de représenter à l’image les tueurs en série, et montrer qu’ils sont cachés parmi nous, dans la société. D’où notre idée d’un type qui sillonne les rues à la recherche de victimes et qui rentre ensuite tranquillement le soir à la maison, dans sa famille. Ce pourrait être n’importe qui, et personne n’est conscient de sa véritable personnalité. Le responsable de l’animation sur le clip s’est avéré excellent pour créer à l’image ce qu’on voulait voir, des noirs et des rouges tranchés et marquants visuellement. On est très contents du résultat, c’est un super clip.
L’artwork de l’album est aussi très réussi. Je suis toujours à la recherche de symboles riches de sens dans les visuels des pochettes, alors je me demandais ce que représente l’œil au centre de l’image…
C’est Michael Whelan qui l’a dessiné [artiste-peintre américain spécialisé dans le fantastique, il a aussi créé des pochettes d’albums pour, entre autres, les Jackson Five, Meat Loaf et Sepultura — NdR]. Comme je te disais à l’instant quand je parlais de Gore, il y a parfois un côté maléfique chez certaines personnes, qu’on ne soupçonne pas. Ces gens-là en revanche t’observent, d’où cet œil diabolique qui te regarde en face. Après, on n’aime pas non plus dire à ceux qui nous écoutent ce qu’ils doivent penser, chacun est libre de se faire sa propre interprétation du sens de l’image.
J’ai pu découvrir l’album en avant-première grâce à un lien vers une écoute en streaming. Ce qui est très bien, mais ce n’est peut-être pas la façon idéale de découvrir un disque. Est-ce que tu as une préférence quant au support pour profiter au mieux de la musique d’Evile ?
Je ne suis pas très fan non plus de l’écoute en ligne. Sinon, honnêtement, j’ai toujours trouvé très bon le son des CD, aussi bien au casque que sur une chaîne. Je sais qu’il y a plein de monde qui vante le vinyle en arguant du fait que le son est meilleur. Mais à l’heure du numérique, je ne trouve vraiment pas qu’il y ait une si grande différence. Je veux bien comprendre que les gens qui ont commencé par écouter de la musique sur vinyles et sur cassettes audio aient une préférence pour ces supports parce qu’ils trouvent le son plus chaud, mais ce n’est pas capital pour moi. Le tout, c’est d’utiliser un casque ou des enceintes de bonne qualité. J’écoute aussi beaucoup de musique dans ma voiture, surtout quand il s’agit de metal — à la maison, notre petit dernier n’a que sept mois, alors on évite de passer du thrash à plein volume !
Le dernier album que tu as découvert, pourrais-tu me dire ce que c’est ?
Le hic, c’est que ça fait un certain temps, déjà, que j’ai arrêté de me tenir au courant de ce qui sort. Ce n’est pas un choix délibéré, simplement j’adore écouter des albums anciens, par exemple — c’est un peu gênant, je sais — les bons vieux disques de Dean Martin ou de Frank Sinatra, ce genre de choses. Si, quand même : j’ai écouté Amorphis récemment, j’ai bien aimé, et Gojira aussi. Mais enfin, voilà, mon truc ce sont les vieux albums.
Bon, et le dernier album, tous styles confondus, que tu as adoré de la première à la dernière note ?
Waou, c’est vraiment difficile, comme question ! Le seul titre qui me vienne à l’esprit ne date pas d’hier, c’est l’album Arise de Sepultura. Ça remonte à 1994, quelque chose comme ça [1991 ! — NdR].
Tu as cité Gojira, un de nos meilleurs groupes français. Est-ce qu’Evile est déjà venu jouer en France ?
Oui, on a joué en première partie de Megadeth à Paris, et quelques autres fois aussi. C’était super, à chaque fois. J’adore Paris!
Est-ce que le Brexit va vous compliquer la vie pour revenir jouer de ce côté-ci de la Manche ?
Certainement ! Je ne vais pas me lancer dans une critique politique du Brexit, mais en tant que musicien, ça craint vraiment. Peut-être pas pour les très grosses pointures, mais pour les groupes plus petits ça risque de coûter très cher, trop cher à présent de partir en tournée sur le continent. J’ai fait part de ces craintes à notre agent, et elle est hélas du même avis que moi.
Si l’Écosse réussissait à s’affranchir du Royaume-Uni et revenait dans l’Union européenne, tu serais prêt à partir vivre là-bas ?
(Rires) Oui, absolument ! Je pense que je pourrais vivre très heureux en Écosse !
Bonne soirée à toi, Ol. Et plein de succès pour la sortie de l’album.
Merci à toi, Julien, passe aussi une bonne soirée. Take care.
Propos recueillis en avril 2021. Remerciements à Magali Besson (Sounds Like Hell Productions) et Mona Miluski (All Noir).