L’association Méluzine organisait le week-end dernier un samedi spécial vampires avec conférence, jeux de rôle et soirée costumée. Grâce à la présidente de l’association, Anouck Zana, j’ai pu interviewer deux des intervenants.
Interview Jean Marigny
Bonjour Jean. Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter?
Je suis professeur honoraire de l’université de Grenoble. J’ai fait une thèse sur les vampires et depuis ils ne m’ont jamais lâché ! J’ai publié plusieurs ouvrages sur le sujet, le dernier en date étant un beau livre.
Pour ceux qui ne connaissent pas bien le vampire, quelle définition lui donneriez-vous ?
Trois conditions définissent le vampire. D’abord, c’est un mort-vivant : ce n’est pas un démon ou un esprit mauvais. Il suce le sang ; il a constamment besoin d’en ingérer pour survire. Enfin, ses victimes deviennent à leur tour des vampires. Ces trois conditions ne se trouvent réunies qu’à la fin du 17ème. On commence à parler de revenants sortant de leur tombe à la fin du 10ème, mais la créature n’est pas encore nommée telle quelle. Quant au terme « vampire », il n’apparaît qu’en 1732 à cause d’une enquête sur le vampire Arnold Paole en Serbie. Avant, chaque pays avait son appellation: les Allemands employaient le terme « blutsauger » – « suceurs de sang » par exemple.
Dans votre ouvrage « Sang pour sang », on y apprend que le siècle des Lumières est l’âge d’or du vampire. On pourrait justement penser le contraire. Pourquoi ce phénomène à cette époque ?
La croyance dans les vampires s’était limitée à des régions très reculées, habitées par des paysans généralement incultes. A partir du moment où l’Empereur d’Autriche s’est intéressé à la chose, il a envoyé sur place des enquêteurs, des médecins, des philosophes, des prêtres pour enquêter sur cette affaire qui se répandait de plus en plus. A ce moment-là, l’Occident a découvert le vampire. Voltaire lui-même était absolument furieux de voir qu’au siècle des Lumières, on croyait encore à ces superstitions ! Le pape a été obligé de publier une bulle pour affirmer que les vampires n’existaient pas. La littérature n’a récupéré le vampire que très tardivement, au 19ème, avec de la littérature en prose tout d’abord.
Peu à peu, le loup-garou s’est éloigné du vampire. Pourquoi et comment s’est mise en place cette évolution ? La littérature et/ou le cinéma en sont-ils les « responsables » ?
On peut considérer que depuis la Préhistoire, les hommes ont crû à des créatures venant leur sucer le sang : des divinités, des sorciers… sauf des morts-vivants ; les morts-vivants suceurs de sang sont une idée du Christianisme! Le loup-garou est de toute façon une créature antérieure au vampire. On le retrouve dans la littérature latine et gréco-latine. Les deux personnages ont donc évolué parallèlement, mais sans jamais se rencontrer vraiment. Curieusement, dans certains pays comme la Grèce, vous avez une catégorie de vampires « les broucolaques » dont on ne sait pas vraiment s’ils sont des vampires ou des loups-garous.
Au final, l’engouement pour les vampires est plus important. Pourquoi ?
J’ai ma petite idée là-dessus. Le loup-garou représente la bestialité, la dualité de l’homme qui est à la fois être pensant et animal. Une fois que vous avez dit ça, vous avez tout dit ! Alors que le vampire est beaucoup plus complexe. D’abord, il y a le sang qui a une valeur sacrée dans certaines religions. Vous avez la sexualité : le vampirisme est quelque chose de très sexuel puisque tout passe par la bouche. Et puis vous avez aussi la mort et la vie éternelle. L’homme, depuis qu’il existe, s’interroge sur la fin de sa vie et sur ce qui se passe après. Le vampire est donc au milieu de cette constellation de questions. C’est sans doute ça qui le rend plus populaire.
Les ancêtres de Dracula sont peu connus (« Le vampyre » de Polidori, « Varney le vampire » et « Carmilla »). Pourquoi cela ? Même de nos jours avec la « mode » du vampire, ces figures ne reviennent pas sur le devant de la scène.
C’est véritablement à partir du roman de Stoker qu’on commence à s’intéresser aux vampires. Le vampyre de Polidori avait cependant lancé une mode avec tout un tas de pièces de théâtre et un opéra, complètement oubliés de nos jours. Mais la mode étant retombée, ces textes sont passés sans prendre racines. Dracula a relancé cette mode, mais s’il n’y avait pas eu le cinéma, on aurait certainement oublié le Comte comme on a oublié Varney ou Carmilla ! Le cinéma a donc véritablement lancé ce personnage en en faisant un super-héros, incitant les gens à relire le roman.
Si Dracula rencontrait Edward, que lui dirait-il ?
Il lui dirait « Mon p’tit gars, tu manques un petit peu de peps ! Il faut se défendre dans la vie et là, chasser des animaux la nuit, c’est bien gentil, mais le sang humain est bien meilleur. » Je pense qu’il le regarderait avec beaucoup de condescendance. [rires]
Justement, que pensez-vous de l’évolution actuelle de la littérature et du cinéma vampirique où en effet le vampire devient très sage ?
Personnellement, je regrette cette évolution. Pour moi, le vampire, c’est d’abord une créature maléfique, c’est quelqu’un qui tue, un assassin. Essayer totalement de le disculper et de le rendre à tout prix sympathique en gommant tout ce qu’il a de criminel, comme l’a fait Stephenie Meyer, ça me paraît très naïf. Les vampires que j’aime, ce sont justement les vampires qui représentent la dualité entre humanité/morale et la bestialité féroce. Par exemple, la petite Claudia dans Entretien avec un vampire est une gamine absolument adorable, très mignonne, mais c’est un prédateur féroce, contrairement à Edward (Twilight) qui, lui, est totalement gentil. Je trouve que Dracula est trop du côté du mal et qu’Edward trop du côté du bien ; il faut qu’il y ait les deux. Le vampire est à la fois ange et démon !
Une dernière question pour vous. Quels sont vos futurs projets ?
Alors, les vampires, je vais les laisser de côté. Je suis en train de préparer un livre sur la représentation de l’enfance dans la littérature d’horreur/fantastique et S.F. pour essayer de montrer que l’enfance n’est pas ce que l’on pense. Les adultes ont une vision angélique de l’enfance, et on voit à travers cette littérature que les enfants peuvent être pires que les adultes.
Merci beaucoup, Jean Marigny.
Merci.
Interview Vanessa Terral
Bonjour Vanessa, peux-tu te présenter en quelques mots pour les lecteurs ?
J’ai commencé à travailler dans le fanzinat. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai vraiment découvert le fanzine manga et imaginaire. J’ai commencé plutôt avec le manga, mais étant écrivain, j’ai vite dérivé sur l’imaginaire notamment avec le fanzine Borderline. En faisant des salons j’ai rencontré les petites maisons d’édition: Malpertuis, Argemmios… J’ai répondu à des appels à textes, une de mes nouvelles a été publiée et après, quand mon style a commencé à être reconnu, j’ai été contactée par des maisons un peu plus grosses comme Le Chat Noir.
Que représente le vampire pour toi ?
Il représente trois choses pour moi. A la fois, un immense égocentrisme au sens « ramener à soi ». Cette espèce de fantasme de prédateur ultime de l’Humanité que nous avons perdu, puisqu’il n’y a plus vraiment de prédateurs dans nos contrées ; dès qu’un prédateur pointe le bout de sa truffe, on se dit « ah tiens, un loup ! ».
Comme le vampire est mort, son esprit s’est détaché de son corps, mais revient par magie, on s’imagine que son esprit est allé dans le Royaume des Morts et en est revenu avec quelque chose, une forme de savoir en-dehors de la nature puisque normalement, une fois qu’on est mort, on ne devrait pas revenir à la vie.
Et toi, quelles affinités as-tu avec le vampire ? Dans tes lectures ? Est-ce une créature qui te plaît ou finalement penses-tu qu’elle n’est pas si fascinante que ça ?
Ça dépend comment il est traité. Si le vampire est montré comme une entité surnaturelle avec tout le folklore magique, l’occultisme… ça me va. J’ai un peu trop soupé du vampire descendant de Caïn, limité à la tradition du Premier Testament. Et aussi le côté un peu prédateur notamment avec la série 13 balles dans la peau qui replace vraiment le vampire en tant que prédateur.
Comme conseil de lecture justement, que proposerais-tu ? Par exemple trois romans ou sagas ?
Le classique Âmes Perdues de Poppy Z. Brite. Peut-être la série Chronique des Stryges de Li-Cam. Et justement pour ne pas oublier que le vampire est un être horrifique; un prédateur, la série 13 balles dans la peau de David Wellington.
Je suis obligée de poser cette question : quel est ton point de vue sur « Twilight » et la bit-litt ? Disons l’évolution du vampire.
Je pense que le vampire joue encore très bien son rôle de catalyseur de fantasmes, de craintes et d’espoirs de la société. Pour moi Twilight, c’est ça ! C’est vraiment une crainte de la part de Stephenie Meyer vis-à-vis de la société extérieure à la communauté mormone qui a voulu transcender ça avec ses vampires. Ils ont justement perdu leur égocentrisme puisqu’ils se rassemblent dans une famille où chacun peut compter sur les autres ; ils sont devenus végétariens : ils ont perdu énormément de choses ! Peut-être qu’elle voyait les autres, ceux qui vivent dans la société qui l’entourait comme des vampires. Je me demande si elle n’en n’avait pas peur et si elle n’a pas écrit ce livre en réaction à cette peur.
Au final, cette évolution te plaît-elle ou est-ce qu’elle te rebute ?
De toute façon l’évolution me plaît, pas pour Twilight, mais pour la façon dont les gens abordent la société actuelle. Twilight, je n’ai pas aimé, j’ai trouvé l’écriture un peu poussive. Après, au niveau de la bit-litt, il y a d’autres choses. De toute façon, le terme est français. Cela regroupe une partie de romans urban-fantasy et une partie paranormal-romance. Ce qui vient de l’urban-fantasy, la plupart du temps j’aime bien. Après, la paranormal-romance, c’est comme toute romance, c’est-à-dire il y a du bon, du mauvais et du moyen, mais quelque part c’est juste un sous-genre de la romance qu’on a accolé à la fantasy et qu’on a appelé bit-litt. Le problème c’est que la plupart des lecteurs en France confondent les termes bit-litt et romance-paranormale. Mon roman, L’Aube de la Guerrière, c’est de la bit-litt, mais de la bit-litt « première génération » comme je l’appelle. On retrouve les codes de Mercy Thomson ou encore Anita Blake dans la sous-partie urban-fantasy. Les codes de la romance ne se retrouvent pas dans l’urban-fantasy, mais dans cette bit-litt de base qui correspondrait plus à des codes du fantastique. La priorité du genre reste la quête d’une héroïne forte qui ne se laisse pas faire.
J’ai une question qu’on t’a déjà posée: est-ce qu’un jour on verra un roman voir une saga mettant en avant Hélianthe ?
[rires] J’espère ! Dans l’idéal, j’aimerais rajouter quelques nouvelles et présenter le tout dans un premier tome. Mais entre-temps, j’ai eu des commandes que je dois d’abord honorer. Mais elle est présente ! Ça reste un projet. Dès que j’ai un peu de temps, je me mets à réécrire des nouvelles d’Hélianthe.
Et puis une dernière question. Tes futurs projets ? S’il y en a que tu peux citer.
Une novella feuilletonnante va sortir à partir du mois prochain aux éditions du Petit Caveau, en plusieurs épisodes disponibles directement sur le site. Sinon je suis sur le projet Le merveilleux est partout de Gaël Dupret, le concept étant une photo/un texte/une musique. Prendre des créatures mythologiques et folkloriques pour venir les placer dans notre monde… Une nouvelle devrait sortir à Voyelle pour leur collection numérique. Un autre projet dont je ne peux pas trop parler ; il s’agit d’un one-shot d’urban-fantasy qui se passe à Paris et pour une fois, le héros est un mec !
Merci à Vanessa pour sa disponibilité et toutes ses réponses. Pour suivre son actualité, c’est ici!
Conférence à 13h
Jean Marigny a commencé par situer le vampire dans un univers gothique. Un des fondements de l’image actuelle du vampire se situe dans le roman de Richard Matheson Je suis une légende. Puis, il nous a expliqué l’évolution du vampire qui commence peu à peu à avoir des sentiments comme dans la série TV Dark Shadows puis dans Les vampires de l’alfama où les vampires aiment et souffrent. Enfin, dans Les Confessions de Dracula, l’humour vient se glisser aux côtés de la créature. Les vampires modernes sont donc plus humanisés.
Marjolaine Boutet, maître de conférences en histoire contemporaine, a résumé l’évolution du vampire au cinéma et à la télévision en passant par des classiques comme le Dracula de Tod Browning jusqu’à Buffy. Un exposé très enrichissant sur l’image véhiculée par cette créature.
Alice Arslanagic, responsable des collections chez Milady, nous a présenté de façon plutôt enlevée et comique ce qu’était la bit-litt. Un autre regard sur cette littérature où l’on fait l’amalgame entre urban fantasy et paranormal-romance ; d’ailleurs ce terme est bien séparé en deux aux États-Unis (ce qu’a d’ailleurs dit Vanessa dans son interview). La bit-litt présente un univers fantastique, mais réaliste et assez féministe puisque ces romans mettent en avant une héroïne. C’est une quête d’héroïne (et non d’un héros) forte et définissant toujours ses propres règles. Elle fait ce qui lui plaît et surtout ce qu’elle décide ! Au final, je me suis dit qu’il serait intéressant de découvrir en profondeur cette littérature. Et comme l’a répété plusieurs fois Alice, Twilight n’est pas de la bit-litt!
CONCLUSION
Une journée placée sous le signe du vampire que je referai volontiers ! Une bonne organisation de la part de l’asso et des intervenants passionnants. Une bonne ambiance (forcément, au Dernier Bar avant la Fin du Monde, ça aide !) et des rencontres sympathiques au sein de l’assemblée.