Pas le genre de praticien qu’on va voir pour un rhume ou une conjonctivite… Dans le secret de son laboratoire, le Dr Dead se voit en nouveau Victor Frankenstein et tripatouille les macchabées. Pour en faire quoi ? Des musiciens à son service ! Un savant fou plus trois cadavres réanimés, cela donne Dominum, formation allemande de « zombie power metal » qui sort en cette fin décembre son tout premier album. De la bonne médecine pour les oreilles. Il nous fallait une prescription, nous sommes allés consulter.
Khimaira : Bonjour, Felix. Ou devrais-je plutôt dire Dr Dead ?
Felix Heldt : Dans les faits, oui, je suis bien le Dr Dead. Mais pour cette interview, je préfère qu’on s’en tienne à Felix (rires) !
Tes amis zombies et toi avez l’air de gars très cool, mais ressentez-vous tout de même un peu de tension à quelques jours de la sortie de l’album ?
Bien sûr, c’est notre premier album, on ne peut pas savoir à l’avance ce que les gens vont penser de nous. Cela dit, les quelques impressions qu’on a recueillies jusqu’ici sont très positives, et on est surtout impatients à l’idée de partir bientôt en tournée. Nous avons une série de dates prévues du 26 au 31 décembre pour faire la promotion de cette sortie. Nous sommes en pleine préparation, ce qui ne nous laisse pas beaucoup de temps pour gamberger.
Vous donnez en tout cas l’impression de sortir un peu de nulle part, avec cet album qui arrive et tous les clips qui l’accompagnent. Qui êtes-vous au juste ?
Eh bien, pour présenter les choses simplement, notre groupe c’est le Dr Dead et ses trois zombies (rires) ! Mais tu n’as pas tort, on a l’air d’arriver un peu de nulle part avec notre concept, d’autant qu’on a commencé l’enregistrement de l’album il y a à peine six mois. En gros, notre histoire c’est celle d’un savant qui a concocté un sérum qui transforme les gens en zombies. Ça, c’est pour le côté fiction. Dans la réalité, ça fait un petit bout de temps déjà qu’on existe en tant que groupe et qu’on joue un peu à droite à gauche.
Est-ce le heavy metal ou le goût pour le fantastique et l’horreur qui vous a rapprochés tous les quatre ?
Le metal avant tout. Notre point commun, c’est la musique. Dominum est un groupe très visuel, on est tous les quatre costumés — et on aime beaucoup ça ! — mais c’est avant tout le souci de faire la meilleure musique possible qui nous motive. Si les gens aiment notre album, ce sera génial, et s’ils accrochent aussi à notre univers visuel, à notre look, on le prendra comme un bonus.
Cette idée d’un groupe constitué de zombies, elle est venue comment ?
Mon attrait pour les zombies remonte au jour où je suis tombé sur mon premier film de morts-vivants — c’était Dawn of the Dead de Zack Snyder. J’étais encore un gamin, ce qui fait que les zombies m’ont un peu accompagné pendant toute ma vie ou presque ! Et puis il y a quelque temps, alors que j’étais en train de bosser à la production du dernier album de Visions of Atlantis, Pirates, je me suis fait la réflexion que dans le monde du metal, il y avait des groupes de metal viking, d’autres de metal pirate, d’autres encore qui parlent beaucoup de vampires ou de loups-garous… mais des groupes de metal zombie, il n’y en avait pas ! Alors pourquoi pas ?
Mais ton personnage de Dr Dead, ce n’est pas un zombie, plutôt un émule de Victor Frankenstein…
Oui, c’est une référence évidente. Le Dr Dead marche dans les pas de Frankenstein, mais il veut aller encore plus loin : Frankenstein a donné vie à sa créature, mais après ça a mal tourné. Dans l’esprit du Dr Dead, il faudrait que les gens soient tous pareils, et comme ça le monde serait meilleur. C’est un peu le point de vue du zombie, qui se fiche pas mal de qui tu es et de quoi tu as l’air : il te voit, il te bouffe et c’est tout !
Et on peut voir le Dr Dead à l’œuvre, en pleine expérience, dans le clip Patient Zero. J’aime beaucoup le décor du clip, il est lugubre à souhait. Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
C’est un lieu qui avait déjà servi de décor pour un film d’horreur. C’est une espèce de bunker en Allemagne, un grand complexe souterrain plein de tunnels et de recoins où se perdre. On a un peu galéré à y transporter tout le matériel de tournage et, une fois à l’intérieur, plus moyen de joindre qui que ce soit, il n’y avait aucun réseau ! Et par-dessus le marché, il faisait vraiment frisquet : on a tourné le clip en août dernier, il ne faisait pas plus de 15-16°C sur le plateau alors qu’à l’extérieur, le thermomètre grimpait à plus de 30°C. Il régnait là-dessous une atmosphère très particulière.
À part Dawn of the Dead, y a-t-il d’autres films de zombies qui t’ont marqué ?
Oui, il y en a plein. Récemment, la série The Last of Us m’a beaucoup plu, ainsi que Black Summer, que j’ai vue sur Netflix. Ce sont des histoires qui s’écartent des scénarios habituels des films du genre.
Et ce sont des histoires qui ont pour but de ficher la trouille, ce qui n’est pas le cas de Dominum : vous avez beau parler de monstres et de zombies, votre musique est très entraînante, et même presque dansante. C’est un univers d’horreur très fun que vous avez créé…
Compte tenu du sujet, c’est vrai qu’on aurait pu jouer du death metal et aboutir à quelque chose de beaucoup plus sombre et sérieux. Mais ça aurait été un peu trop téléphoné, je trouve, et par conséquent un peu ennuyeux. Or je tiens à ce qu’on s’amuse. Je trouve ça fun d’endosser la personnalité et le costume du Dr Dead, et je tiens à ce qu’on retrouve cet esprit et ce plaisir dans la musique et les mélodies. C’est une démarche qui n’est pas très éloignée de celle de Ghost, par exemple, un autre groupe dont les membres jouent des personnages et portent des masques. Et puis, je dois dire que quand on regarde l’état du monde aujourd’hui, je n’ai pas envie d’en rajouter dans le macabre et d’installer des atmosphères pesantes : je préfère que les gens sortent de nos concerts avec le sourire et le souvenir d’avoir passé un chouette moment.
On retrouve cet esprit dans l’aspect des masques : ce sont des faciès de morts-vivants, mais on ne peut pas passer à côté de leur design grotesque…
Exactement ! Ces masques ont été réalisés par un spécialiste des effets de maquillage, un gars basé à Berlin qui travaille surtout pour le cinéma. Le genre de type qui peut te fabriquer n’importe quel monstre ! Au départ, il nous a proposé des concepts visuels un peu dégueu, comme dans les films de zombies en fait, c’est-à-dire des maquillages réalistes et conçus pour être effrayants. Mais non : nous voulions quelque chose de plus drôle, de bien plus grotesque comme tu viens de dire. Il a travaillé sur ce concept : des têtes de monstres forcément un peu inquiétantes mais qui restent rigolotes. C’est toute une histoire, d’ailleurs, de créer ce genre de masques : il faut prendre un moulage de toute la tête, ce qui implique de se faire enduire d’une espèce de liquide et ensuite d’une couche de latex qu’on doit attendre de laisser sécher.
Pourrais-tu imaginer que pour un futur deuxième ou troisième album, vous changiez carrément de thème et donc de look, par exemple de vous changer en extraterrestres avec des masques à tête d’aliens ?
Pour l’instant, nous sommes tous les quatre bien contents de faire le show en zombies, alors je ne dirai pas qu’on va envisager un tel changement à court terme. Mais dans l’absolu, je n’aurais rien contre, tout est possible ! C’est ça qui est bien, on peut faire tout ce qu’on veut !
Quand j’ai écouté la chanson Cannibal Corpses, je me suis dit qu’elle aurait très bien fait l’affaire pour accompagner un générique de fin de film d’horreur. Une série B des années 1980, par exemple…
On en revient à ce que je disais tout à l’heure au sujet des films et des musiques qu’on découvre étant jeune : ils marquent ton esprit et d’une manière ou d’une autre, ces influences ressortent. Alors oui, j’aime beaucoup la musique des années 1980, et ça se retrouve dans cette chanson. Et retrouver une de nos chansons dans un générique de fin, je dois reconnaître que ça me plairait assez. Je n’y avais jamais pensé, il faudra qu’on essaie !
Et composer une bande originale de film, est-ce que serait une entreprise dans laquelle tu serais prêt à t’engager ?
Ce n’est pas comme de créer des chansons de trois à six minutes. Disons que ce n’est pas le même métier, et je ne suis pas sûr que je serais la personne la plus indiquée pour faire ce job si on me le demandait. Je préfère laisser ça à des gens dont c’est vraiment la profession, Hans Zimmer ou John Williams. Je me débrouille à la guitare et au clavier, mais sans plus. On ne peut pas toucher à tout, il faut arriver à décider clairement de qui on est et de ce qu’on ambitionne de faire. Je suis avant tout chanteur et producteur, ce qui me plaît c’est de trouver de bonnes mélodies pour placer ma voix.
La composition des chansons de l’album, y avez-vous travaillé tous ensemble ?
Non, et on n’a suivi aucune règle à ce niveau-là : chaque chanson a été écrite dans des endroits et des circonstances différentes ! J’essaie d’aborder ce travail de la manière la plus fraîche et spontanée possible, sans me cantonner à un lieu en particulier et en multipliant les collaborations, afin de ne jamais me répéter.
Je reviens à votre tournée qui s’annonce : à quoi peut-on s’attendre à un concert de Dominum ? Je serais curieux de voir comment vous mettez en scène votre musique…
On a conçu quelque chose d’assez marquant, je pense. On va jouer dans un super décor, sur scène il y aura de l’action, il va se passer des choses : les spectateurs pourront voir des zombies, ils pourront aussi les entendre et ils pourraient peut-être même se faire mordre par eux !
Sinon, en tant qu’amateur de musique, quel style de metal préfères-tu écouter ?
J’essaie d’ouvrir mon esprit et mes oreilles au plus de styles possibles, mais je privilégie quand même les compositions très mélodiques. Le power metal, bien sûr, le metal symphonique… je ne verse pas tellement dans la frange la plus extrême. Je sais apprécier une bonne chanson de death metal quand j’en entends une, mais je n’en écouterais pas tout le temps.
Récemment, qu’as-tu découvert de marquant ?
J’adore le dernier single d’Apocalyptica, What We’re Up Against, avec Elize Ryd d’Amaranth en invitée. Et sinon le tout dernier album de Beyond The Black, très réussi, avec de super chansons et une super voix. À part ça, je dois dire que je suis un fervent utilisateur de Spotify, dont l’algorithme me fait découvrir plein de choses que je trouve intéressantes. Voilà un aspect très positif de ce que peut nous apporter la technologie ! Sans ça, j’aurais peut-être tendance à écouter et réécouter toujours les mêmes albums…
Et le dernier album que tu as adoré, de la première à la dernière note, c’était… ?
Ordinary Man d’Ozzie Osbourne [sorti en 2020 — NdR]. Je suis un très grand fan d’Osbourne. Dans cet album, il parle de la mort inéluctable, c’est très émouvant. L’album est parfait de bout en bout, y compris le duo qu’il a enregistré avec Elton John, que je trouve aussi très touchant.
Si toi-même tu demandais à un chanteur de faire un « featuring » sur un de tes albums, à qui t’adresserais-tu ?
Je suis désolé de te donner la même réponse : Ozzie Osbourne ! Ce serait tellement cool… Quoiqu’on enregistrerait peut-être pendant dix minutes, maximum, et après je passerais dix heures à lui poser tout un tas de questions !
Quant à moi, je n’ai pas dix heures pour t’interroger, seulement un créneau de trente minutes et je vois qu’il est déjà l’heure de se quitter… Merci pour tes réponses et, puisque les fêtes approchent, joyeux Noël, Felix !
C’était un plaisir. Merci à toi pour cette chouette interview et tes excellentes questions ! Joyeux Noël !
Propos recueillis le 21 décembre 2023. Un très grand merci à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) et Lisa Gratzke (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Hey Living People le 29 décembre 2023.