Entrevue matinale avec Lena Scissorhands. La chanteuse du groupe californien Death Dealer Union avait réglé très tôt l’alarme de son réveil pour être à l’heure au rendez-vous d’une interview en visio depuis sa chambre d’hôtel, entre deux dates d’une tournée européenne avec son autre groupe, Infected Rain. Initiation, le premier album de Death Dealer Union, sera disponible en fin de semaine chez Napalm Records.
Khimaira : Il y a deux ans, quand Death Dealer Union a dévoilé ses premiers clips, tu n’apparaissais pas comme un membre permanent du groupe, on lisait « featuring Lena Scissorhands » dans le bandeau des vidéos. Mais les choses ont un peu changé, on dirait…
Lena Scissorhands : C’est juste. L’origine de Death Dealer Union remonte à la période du covid : pas moyen de voyager, impossible de partir en tournée, alors j’ai essayé de m’occuper du mieux que j’ai pu, notamment en acceptant plein de collaborations avec d’autres musiciens. Par exemple avec McKenna, le batteur du groupe, qui m’a proposé d’enregistrer quelque chose avec lui, de composer une chanson. Tout est parti de là. Puis on a enregistré un deuxième titre et les choses ont pris peu à peu une tournure plus sérieuse. McKenna tenait aussi à ce qu’on tourne des clips, d’où les deux singles qui sont sortis et auxquels tu fais allusion. Pour finir il m’a offert de devenir officiellement la chanteuse de ce nouveau groupe.
As-tu accepté tout de suite ?
Non, cela m’a demandé réflexion puisque j’étais déjà engagée à plein temps dans mon autre groupe, Infected Rain, et ce n’est pas évident de faire du bon travail dans plusieurs endroits à la fois ! Dans un premier temps, j’ai donc poliment décliné sa proposition avant de me raviser un peu plus tard suite à une nouvelle discussion. Le fait est que dans le milieu de la musique, il y a beaucoup d’exemples de gens qui arrivent à mener plusieurs activités de front, avec parfois des projets annexes qui évoluent en prenant de plus en plus d’ampleur… Alors malgré mes réticences premières, j’ai fini par accepter de rejoindre Death Dealer Union, dans la mesure où on m’offrait la garantie de pouvoir poursuivre sans problème mon activité au sein d’Infected Rain.
Ta voix est assez différente d’un groupe à l’autre : il y a beaucoup plus de chant clair dans les chansons de Death Dealer Union que dans les compos d’Infected Rain…
Quand tu écoutes The Integument, par exemple, c’est vrai que la différence est flagrante. Alors oui, le style n’est pas le même, la musique d’Infected Rain sonne de façon plus agressive que ce que je fais avec Death Dealer Union. Maintenant, même si l’approche est différente, au micro, c’est toujours moi et c’est toujours ma voix, et je tiens à transmettre autant d’émotions dans un groupe que dans l’autre.
Quelle a été la ligne directrice du groupe dès qu’il a été question d’enregistrer tout un album ?
On a tenu à ce que la musique soit immédiatement accessible, avec des chansons que les gens peuvent reprendre avec nous en concert, avec des mélodies qui s’installent tout de suite dans la tête. Je ne dis pas que ce sera toujours l’objectif du groupe, mais pour ce premier album, on avait envie d’arriver à ce résultat.
Tu parlais à l’instant de la chanson The Integument. Je trouve le titre étrange, le mot est plutôt insolite et j’ai un peu de mal à le rattacher au contenu des paroles…
Oh, pas la peine de chercher trop loin ! Le titre m’est venu d’un coup, simplement, il m’a paru approprié sur le moment sans que je puisse définir exactement pourquoi. Ce genre d’inspiration m’arrive souvent, et il est inutile de se mettre en quête de raisons logiques et profondes, ou d’essayer d’en interpréter le sens. Avec Infected Rain, j’ai écrit une chanson intitulée Orphan Soul, et certains ont cru que je faisais référence à ma propre vie, que j’étais orpheline. Mais pas du tout, il ne faut pas tomber dans le piège des conclusions faciles. Quand tu écris des paroles de chansons ou de la poésie, tu te sers souvent de métaphores pour évoquer un sentiment, une humeur ou une sensation, et pas pour rendre compte de faits qui se sont vraiment produits. Et puis je dois dire que j’aime bien que les raisons de tel titre ou de telles paroles restent plus ou moins obscures. Je n’éprouve aucun intérêt pour les choses platement évidentes.
Dans le refrain de The Integument, tu dis que « faire des erreurs est sans importance, ce qui compte c’est de savoir en tirer des leçons ». Tu n’es pas partie d’expériences vécues pour écrire cela ?
Quand je regarde en arrière, je fais de mon mieux pour ne pas considérer certaines de mes actions passées comme des erreurs. Peu importe ce que j’ai fait ou ce que j’ai traversé, peu importe la douleur ressentie sur le moment, je me dis que rien n’arrive sans raison et qu’il y a toujours quelque chose de positif à retirer de n’importe quelle situation. Après, on est tous pareils, il y a forcément des moments dans la vie où l’on regrette des choix, par exemple en termes de relations humaines, un domaine assez compliqué ! En ce qui me concerne, j’ai tendance à me fier naturellement aux personnes que je rencontre, les gens avec qui je travaille ou ceux qui deviennent des proches, des amis… et parfois je me rends compte que je n’aurais pas dû accorder si vite ma confiance. Ça fait mal, c’est sûr, mais c’est comme ça, et il faut comprendre qu’on ne peut pas considérer tous les gens de la même manière.
Quel a été ton parcours musical avant de te lancer avec Infected Rain ?
Aucun ! Infected Rain a été mon point de départ dans la musique, avant cela je n’avais jamais fait quoi que ce soit dans ce domaine, pas plus que je n’avais envisagé de devenir un jour musicienne. Tout a été une affaire de coïncidence : une fois, des amis qui faisaient de la musique m’ont invitée chez eux, on s’est amusés à chanter avec un micro et je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup ça. Non pas que j’étais contente de ma voix sur un plan purement artistique, simplement j’ai adoré la sensation de chanter et de tenir un micro. Et comme je suis quelqu’un de têtu, j’ai persévéré, j’ai pris quelques cours et c’est ainsi que tout a commencé.
J’aime bien ton nom de scène. C’est une référence à Tim Burton ?
Pas directement, même si j’adore Edward Scissorhands — c’est un film que j’ai pris l’habitude de revoir chaque année au moment de Noël. Lena Scissorhands est un surnom qui m’a été donné à l’époque où j’étais coiffeuse et maquilleuse. Une profession que j’ai exercée pendant longtemps : quand j’avais à peine 16 ans, j’ai suivi en plus de mes cours au lycée une formation pour devenir coiffeuse. Je tenais à gagner un revenu le plus vite possible et pouvoir aider ma famille. Et la coiffure, c’est une activité qui me plaisait bien. Un jour, des amis m’ont offert un t-shirt brodé avec l’inscription Lena Scissorhands. C’était il y a près de 20 ans et évidemment, la notoriété du film de Tim Burton à l’époque y était pour quelque chose. Et depuis, le surnom ne m’a plus quittée, je l’ai utilisé pour créer mon adresse mail, pour m’inscrire sur MySpace, Facebook, etc. Il m’a toujours plu, je n’ai pas cherché à m’en défaire quand j’ai commencé à devenir connue en tant que chanteuse.
Parmi tes tatouages, y en a-t-il un qui revêt une importance toute particulière ?
Tous, en fait ! Ils représentent tous quelque chose d’important à mes yeux, y compris ceux qui sont purement décoratifs. Mais si tu me demandes d’en désigner un et un seul, je dirais que c’est celui que je partage avec mes sœurs : nous portons toutes le même, c’est une manière de représenter le lien qui nous unit.
Et quand tu ne te consacres pas à la musique, à quoi aimes-tu occuper ton temps ?
Honnêtement, je n’ai pas vraiment d’autres passions, j’ai des centres d’intérêt des plus ordinaires. J’aime bien rester toujours active, donc je pars volontiers faire de la randonnée, je passe un peu de temps en salle de gym, ce genre de choses. Sinon, eh bien j’adore les livres et le cinéma, je vais aussi promener dans les centres commerciaux… À vrai dire, même si la musique est devenue nécessaire à mon équilibre — je parle du temps passé à écrire, composer, enregistrer, répéter… —, mes journées en tant que chanteuse peuvent s’avérer tellement harrassantes parfois que pendant mon temps libre, je n’aspire à rien d’autre que profiter de la compagnie de mes proches et maintenir également le lien avec ma famille, qui vit très loin de moi, en Europe. Ah oui, je n’oublie pas non plus la cuisine, j’aime aussi passer du temps derrière mes fourneaux. Pour déstresser, c’est une excellente thérapie !
En tant qu’auditrice, pourrais-tu nous faire part d’un de tes derniers coups de cœur musicaux ?
En ce moment, j’écoute beaucoup ce que fait NF, le chanteur de rap. Son dernier album est super. À part ça, je dois avouer que je ne me tiens pas forcément au courant de tout ce qui sort. J’aime surtout me réfugier dans des albums plus anciens, pour me replonger dans la musique avec laquelle j’ai grandi ou bien découvrir des artistes, des groupes que je n’ai pas eu le loisir d’écouter à l’époque. Lenny Kravitz, par exemple.
Pas tellement de metal, en fin de compte…
Si, j’écoute aussi beaucoup de metal, de tous styles. Mais si je devais citer un groupe en particulier, ce serait Pantera. J’ai beaucoup écouté leurs albums étant plus jeune. Il n’y a pas longtemps, ils étaient en tournée et j’ai eu l’honneur et le privilège de monter sur scène avec eux dans un festival. Le groupe est tellement mythique, ça a été un moment absolument unique pour moi !
Donc si je te demandais de me citer un album que tu aimes d’un bout à l’autre de façon inconditionnelle, ce serait un album de Pantera ?
Oui, mais j’aimerais aussi citer un titre de chanson et un seul, This Love [dans l’album Vulgar Display of Power, 1992 — NdR]. C’est un morceau que j’adore et qu’on ne cite pas souvent, je me demande un peu pourquoi.
Merci beaucoup pour tes réponses, Lena. Tous nos vœux pour la sortie de l’album et les concerts à venir !
Je t’en prie, merci à toi de m’avoir invitée !
Propos recueillis en août 2023. Remerciements à Anaïs Montigny (SLH Agency, Lyon) ainsi qu’à Sarah-Jane Albrecht et Lukas Frank (Napalm Records Berlin).
Sortie de l’album Initiation le 22 septembre 2023.