Force est de constater que les morts-vivants qu’on a connus se font plutôt rares ces dernières années, dans le cinéma notamment, où ils sont le plus souvent remplacés soit par des « infectés », soit par des spécimens de zombies encore tout frais, capables de sprinter pour attraper les vivants terrorisés. Ce qui fait que la vision réjouissante des cadavres poussiéreux, plus ou moins décomposés et s’extirpant de leurs tombes à la force des ongles est devenue un spectacle rare. Heureusement, quelques-uns songent encore à convoquer de telles assemblées, par exemple le dessinateur William Skaar, grâce à qui un vieux cimetière s’anime à la faveur d’une chaude et belle nuit : franchissant sans mal le portail rouillé de la nécropole, la jeune Deanna, au look gothique, s’adonne pour rire à un strip-tease sous les yeux de deux copines. Horreur et stupéfaction : les occupants des cercueils alentour se réveillent pour admirer le show et poser leurs sales pognes squelettiques sur la chair dénudée de la demoiselle !
Il est probable que la fameuse scène d’effeuillage entre les tombes de la comédienne Linnea Quigley dans le non moins célèbre Le Retour des morts-vivants (1985) de Dan O’Bannon soit à l’origine de l’inspiration de Bill Skaar, en tout cas concernant le point de départ de cette aventure érotique et morbide. Ensuite, comme l’indique le titre français, c’est plutôt du côté des contes traditionnels des Mille et Une Nuits que l’histoire s’oriente : menacée d’être dévorée par les macchabées baveux, Deanna a l’idée de sauver sa peau en leur racontant les épisodes les plus salaces de son existence délurée. Des anedoctes cochonnes « à faire bander les morts » mais aussi fantastiques, puisqu’il y sera question d’un manoir délabré, mystérieux, et d’un monde souterrain peuplé de créatures dégueus et perverses.
L’idée de faire de la plantureuse Deanna une nouvelle Shéhérazade est très amusante (tant pis s’il n’y aura, en définitive, que deux contes et non mille et un), et les planches passent du noir et blanc à la couleur lorsque la belle se lance dans ses récits. L’ambiance est à la fois macabre et drolatique, les décors « old school » sont splendides et les rondeurs du trait crayonné fleurent bon le cartoon underground. Quant au texte, élégant et fort bien traduit, il explore tous les champs lexicaux de l’horreur à grand renfort de réjouissantes hyperboles. Un quasi sans-faute (on peut éventuellement tiquer devant quelques approximations morphologiques) qui, en plus des « Mille et Une Nuits », cite abondamment Dante et Lovecraft tout en se montrant digne des riches heures des comics d’horreur américain. Bien sûr, last but not least, la plus-value érotique n’est pas négligeable, avec une héroïne qui n’a jamais froid, ni aux yeux ni ailleurs, et plusieurs longs passages de sexe franchement explicites.
Disponible en version numérique et en librairie depuis le 11 décembre 2018.