Faisons un bond de 18.000 ans dans le futur : il n’y a plus ni rois, ni présidents, ni nations, il n’y a même plus de planète Terre. La race humaine vit aux cent coins de l’univers, et, dans cette ère futuriste, seul règne l’argent et, partant, seuls dominent ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Les « magnobankiers », petite caste toute-puissante de sept privilégiés, enlèvent un champion militaire, Xar-Cero, pour lui confier une besogne grassement payée — 110 milliards d’aquadollars, rien que ça ! Deux pages plus loin, la mission est achevée mais pose à Xar-Cero un grave cas de conscience…

Cet album jubilatoire manie l’art du raccourci et de l’hyperbole avec une virtuosité qui laisse baba. L’action ultra-rapide ne s’embarrasse d’aucune transition, et la narration opère d’audacieux virages à 90 degrés qui voient le héros de l’histoire changer de nom, de statut, de planète, en un clin d’œil. Ballotté d’un bout à l’autre de la galaxie, mais sans jamais rien perdre de sa combativité, Xar-Cero vit une aventure surréaliste dont le propos anti-pouvoir et anti-fric consiste à montrer que l’argent est source de toutes les horreurs possibles — génocides, esclavage, manipulation des mémoires et des esprits, totalitarisme, etc. Scénariste de ce brûlot, Alejandro Jodoroswky jette de l’acide sur les consciences en imaginant des situations aberrantes qui font rire jaune autant qu’elles font froid dans le dos. Dans les phylactères, le langage des puissants ne sert qu’à gueuler des ordres arbitraires, proférer des menaces et des condamnations sans appel, ou cracher des insultes, tandis que le dessin hyper-maîtrisé de Pete Woods, par ailleurs illustrateur pour Marvel et DC, fait défiler une galerie de visages férocement expressifs, tout à fait dans le ton de la plume punk de « Jodo ». Le premier tome de ce space-opéra anar sera en librairie le 6 novembre 2024. On guette d’ores et déjà la suite, l’ensemble devant constituer un diptyque.