Téléportons-nous en Alsace, et plus exactement à Strasbourg, où la science-fiction française vient de trouver un nouveau porte-parole. Luna Joice est l’auteure de Community, en librairie depuis septembre (lire ici notre chronique).
Bonjour, Luna. Community est ton premier roman de science-fiction…
J’ai déjà abordé plusieurs genres, et je me suis toujours dit que, tôt ou tard, je me lancerais dans cette entreprise. Un peu par défi personnel car, à vrai dire, je n’ai pas lu moi-même tellement de romans de science-fiction. Mais j’adore la SF au cinéma.
Community est un récit de SF dystopique. Est-ce un genre qui te séduit particulièrement ?
Oui, tout à fait, en cinéma comme en littérature. La démarche des auteurs qui imaginent des sociétés dystopiques force le respect : ils parviennent à envisager des problèmes que nous n’avons pas encore à affronter, et à suggérer des solutions. Une démarche complexe, qui exige de se triturer les méninges pour se poser de bonnes questions quant à la manière dont la société pourrait évoluer.
Le récit débute par une liste de neuf lois, la constitution de Community. Est-ce un petit clin d’œil à Isaac Asimov et ses trois lois de la robotique ?
On peut prendre ça pour un clin d’œil à Asimov, c’est juste, ça m’a traversé l’esprit alors que j’écrivais. Cela dit, le fait d’énoncer ces lois était un préambule nécessaire. Toute société est régie par des règles, et je tenais à poser de façon claire les grands principes de cette société futuriste. On connaît d’emblée les obligations et les interdits du monde de Community. Du coup, trois lois, ce n’était pas assez, il m’en fallait un peu plus pour aboutir à un cadre qui puisse régir toute l’existence des humains de l’an 3006 !
Le monde que tu imagines dans ton roman est-il né de ton observation de la vie actuelle ?
L’histoire découle en effet d’expériences vécues un peu désagréables, comme ce jour où j’ai cru que quelqu’un s’adressait à moi et avec qui j’ai engagé la conversation. Le gars, tout surpris, se tourne vers moi et me répond : « Ah non mais je ne te parlais pas, je suis en ligne ! ». Et tu te retrouves tout con en remarquant l’écouteur dans son oreille, et en repartant bredouille. On a parfois l’impression que les gens parlent tout seuls, qu’on ne peut plus vraiment communiquer avec eux. Et je suis partie de ce mot-clé, communication, pour construire le roman… Il me vient un autre exemple : quand j’étais petite, je vivais dans un quartier d’immeubles et il y avait un parc de jeux en plein milieu. La première chose que je faisais en rentrant de l’école, après avoir déposé mon cartable à la maison, était d’y filer pour y retrouver mes camarades de classe et mes petits voisins… Il y a quelques années, je suis repassée par ce quartier et par ce parc, pile à l’heure, vers 17 h-18 h, où on allait y jouer. Et l’endroit était désert ! Ça m’a fait un pincement au cœur : qu’est-ce qui, en une quinzaine d’années, avait pu changer pour que les enfants cessent d’aller jouer ensemble ? Le fait est que les mentalités et les interactions entres les enfants ont radicalement changé avec l’intrusion massive de la technologie dans le milieu familial.
Dans Community, l’aspect scientifique, technique est primordial. T’es-tu livrée à des recherches sur les neurosciences ou d’autres domaines pour étayer ton récit ?
Oui, j’y ai passé des heures et des heures, et je peux même compter ça en jours. Il n’y a pas un seul terme scientifique dans Community qui ait été placé au hasard. Quand les personnages échangent sur le rôle des différentes zones du cerveau, par exemple, lorsque les sentiments ou la mémoire entrent en jeu. D’ailleurs je me suis rendu compte que des recherches existaient déjà concernant la télépathie ! Dans un premier temps, la communication télépathique se ferait de cerveau à machine, ce serait une première étape avant de réaliser la connexion entre deux cerveaux humains… Il semble que deux expériences aient été menées, l’une en Inde, l’autre ici, en France, à Strasbourg, et elles auraient été concluantes.
Penses-tu qu’il y a des limites que la science ne devrait pas dépasser ?
À mon avis, la science ne se pose aucune limite, et quand les scientifiques seront en mesure d’améliorer l’être humain, ils n’hésiteront pas. Après, il y aura des bugs, tout ne fonctionnera pas de façon idéale… Tout ce qu’on peut faire, c’est recommander la prudence, émettre des avertissements. Mais on ne peut pas aller contre les avancées technologiques.
Tu évoquais la mémoire à l’instant : est-ce un thème qui te tient à cœur ? La préservation de la mémoire, à un titre individuel autant que collectif…
C’est un élément très important du roman, c’est juste. Je me suis demandé ce qui pourrait arriver de pire à un être humain, et la perte de la mémoire compte parmi les épreuves les plus cruelles : c’est perdre l’essence de ce que nous sommes car ce qui nous construit et nous façonne en tant qu’individus, c’est la somme de nos expériences et des interactions que nous avons avec notre entourage. Bon, ce n’est pas de la science-fiction, des maladies existent — la maladie d’Alzheimer — qui entraînent la perte de la mémoire, mais c’est aussi ce qui pourrait se produire si la science se mettait à trifouiller le cerveau, à jouer avec. Le roman pose un dilemme : seriez-vous prêt à vivre en paix et en harmonie avec tout ce qui vous entoure mais, en contrepartie, perdre votre mémoire, y compris celle des gens qui vous sont chers ? Cela dit, force est de constater que, dans notre société, l’idéologie dominante n’est pas si éloignée de celle de Community : dans le roman, lorsqu’on arrive à l’âge adulte, on fait une croix sur sa famille pour entrer dans la vie professionnelle. Dans la réalité, on n’apprend pas autre chose aux enfants : on ne leur explique pas que plus tard, il sera important pour eux de fonder un foyer heureux, mais seulement de travailler à l’école pour ensuite se réaliser en exerçant un bon métier.
Dirais-tu que ton héroïne, Lyah, te ressemble ? Autrement dit, as-tu toi-même une personnalité « analyste et obsessionnelle » ?
Obsessionnelle, sans doute, car comme je disais à l’instant, j’ai mené beaucoup de recherches documentaires en préparation de l’écriture, je me suis plongée dans ce travail sans dévier de ma route… et je dois dire aussi que j’aime bien, en général, que les choses soient bien faites et bien organisées ! Mais analyste, non, je ne dirais pas ça. Je suis plus d’un tempérament rêveur. Lyah, d’ailleurs, est elle aussi une rêveuse, mais elle fait aussi montre de beaucoup de naïveté, ce qui n’est pas mon cas. C’est la société et son éducation qui l’ont rendue ainsi, il ne pouvait guère en être autrement, et je n’allais pas en faire une violente rebelle qui combat l’ordre établi à la tête d’un commando !
Jouons un peu avec le questionnaire auquel Lyah doit répondre au début du roman… Parmi ces traits de caractères, choisis les deux qui te correspondent le plus : SERVIABLE / CURIEUSE / INVESTIE / ALTRUISTE / RÉFLÉCHIE / COURAGEUSE / SPORTIVE / HUMBLE.
Curieuse, sans aucun doute : il faut l’être pour se lancer dans l’écriture d’un roman. Serviable aussi, j’adore rendre service ! Après, il n’est pas évident de se juger soi-même…
À la fin du livre, on tombe sur une playlist d’une douzaine de morceaux. Est-ce que ce sont des musiques qui t’ont accompagnée durant l’écriture ou bien des suggestions pour une bande-son idéale pendant la lecture ?
Ce sont des morceaux que j’ai écoutés pendant l’écriture, il y en a même un, de Two Steps From Hell, qui m’a inspiré l’histoire ! D’autres m’ont aidée à visualiser certaines scènes. Il y a une chanson d’Édith Piaf également. C’est un peu vieux jeu, peut-être, mais j’adore Piaf et je n’ai pas résisté à l’envie d’y faire référence dans le roman. La musique est très importante pour moi, c’est pour cela que j’ai tenu à faire de Lyah un personnage qui y soit aussi très attaché. La musique a mille vertus, elle permet de libérer l’esprit et l’imagination. Je ne pouvais pas aussi passer à côté de Hans Zimmer dans cette playlist : c’est pour moi l’un des meilleurs compositeurs actuels, je l’écoute très souvent, y compris en voiture. Certains allument la radio pour conduire, d’autres écoutent des chansons actuelles… moi, je suis à fond dans les compos de Hans Zimmer !
Et côté lecture, que lis-tu en ce moment ?
Pas grand-chose, je dois avouer, car je suis l’heureuse maman d’un petit garçon âgé de quelques semaines ! Alors je n’ai pas tellement de temps à consacrer à la lecture. Cependant, j’ai quand même acheté tout récemment Les Furtifs d’Alain Damasio.
Un grand nom français de la SF…
Exactement ! Entre deux siestes et deux changes, je pense que je ne vais pas tarder à m’y plonger !