Pas de chance pour Nathan Gardner et les siens : devant leur ferme, où ils élèvent des alpagas, s’écrase une météorite luminescente. Dans le cinéma d’horreur, ce n’est jamais bon signe : le « blob » est arrivé chez nous par le même chemin ainsi que le gros caillou porteur de moisissures tombé dans le jardin de Stephen King en personne dans Creepshow de George Romero. Des phénomènes étranges se produisent bientôt alentour, qui mettent en danger toute la famille…
Color Out Of Space est une adaptation de La Couleur tombée du ciel, nouvelle de 1927 d’H.P. Lovecraft. L’artiste a l’origine de cette mouture filmée (le récit a déjà été porté à l’écran quelques fois, et on en trouve aussi des traces dans Annihilation d’Alex Garland) n’est autre que le singulier Richard Stanley, cinéaste sud-africain établi depuis plusieurs années dans le Sud-Ouest de la France, où il a tourné en 2011 The Mother of Toads (pour l’anthologie de courts métrage The Theatre Bizarre) et, il y a sept ans, un intéressant documentaire sur l’héritage ésotérique des Cathares, entre Monségur et Rennes-le-Château (voir ici ma chronique, le film ayant été projeté à Gérardmer en 2014). Stanley et son équipe se sont installés un mois durant au Portugal, début 2019, pour y reconstituer le nord-est américain rural, censément proche de Providence, la ville natale de Lovecraft. Non sans une certaine nonchalance, Nicolas Cage interprète le père de famille complètement dépassé par les événements. Pour les habitués de la prose lovecraftienne, le désarroi du bonhomme n’est pas une surprise : quelle issue attend les personnages des récits de Lovecraft une fois qu’ils sont aux prises avec les forces invisibles terrifiantes, incommensurables, tapies à notre insu dans les plus obscurs recoins de l’univers ? La mort, la folie… ou alors ils disparaissent.
L’horreur qui frappe le petit groupe de personnages est très belle : autour du point d’impact (et du point d’eau, non loin, infecté par la substance extraterrestre) se développent une flore et une faune insectoïde multicolores, dont les teintes vives chatoyantes ne laissent aucunement présager le danger mortel qu’elles représentent. L’aura maléfique de la météorite a un impact sur les corps, les esprits, voire sur le temps lui-même. La ferme de Gardner devient peu à peu un petit théâtre de l’épouvante, et Richard Stanley mène très bien son récit. Le métrage est un peu long, peut-être, mais vraiment inquiétant et visuellement très réussi. Un peu sorcier-chaman sur les bords, Stanley s’amuse à caser un personnage inutile mais cocasse de vieux squatteur beatnik fumeur de shit. Il glisse aussi un peu partout des allusions discrètes à l’univers littéraire d’H.P.L. (un logo par-ci, un nom par-là — un des personnages se nomme Ward Phillips !). Malgré un budget limité (à peine 6 millions de dollars US), du bon travail à découvrir non pas en salles, dommage (à moins que vous ayez pu assister à l’une des projos du PIFFF 2019), mais à la maison, le film devant arriver bientôt en DVD et VOD. Si d’aventure vous avez aussi sous la main le très bon et sanglant Mandy de Panos Cosmatos (également avec Cage), vous avez de quoi vous offrir un « double feature » psychédélique de rêve comme n’est pas près de vous le proposer le multiplexe de votre quartier.