Au cinéma comme en littérature ou en bande dessinée, le départ de l’Humanité pour les confins de la galaxie est dans les esprits de bien des auteurs depuis quelque temps, avec des œuvres qui n’envisagent jamais la diaspora des Terriens comme de sympathiques voyages d’agrément. En librairie le mois prochain, voici Arca, adaptation dessinée du roman éponyme de Romain Benassaya, paru en 2016. L’écrivain a lui-même signé le scénario de cette tranposition en images de son récit de S.F. : fuyant une Terre surpeuplée et à bout de ressources, des milliers d’exilés volontaires s’embarquent à bord de l’Arca III, arche de colonisation en partance pour la Griffe du lion, une exoplanète aux conditions de vie comparables à celles de la Terre. Placés en stase pendant la durée du voyage, les personnages s’éveillent pour s’apercevoir qu’ils n’ont pas atteint leur destination, qu’ils en sont peut-être même très loin, et qu’ils ont dormi beaucoup plus longtemps que prévu…
Le dessin en couleurs directes de l’Espagnol Joan Urgell, qui travaille entièrement à la main (c’est-à-dire sans outils numériques), apporte un cachet pastel très poétique à ce space opera inquiétant où les personnages luttent pour prendre la mesure de ce qui leur arrive et garder leur destin en main. Les énigmes pleuvent : pendant le sommeil de ses passagers, l’Arca s’est échoué sur un sol inconnu, pour autant le vaisseau n’est pas à l’air libre mais à l’intérieur d’une structure labyrinthique gigantesque. Comment est-il arrivé là ? Comment en sortir ? Est-ce même utile d’essayer de s’échapper ? Pour trouver quoi au dehors ? Parmi les colons, les hypothèses se mettent à pulluler, les opinions divergent sur la suite à donner à l’expédition. Motivés par des aspirations peu à peu contradictoires, les protagonistes s’opposent, nourrissant au passage un questionnement politique pertinent (comment faire adopter au groupe la vision d’un idéal commun sans verser dans le totalitarisme ?). Et l’on suit surtout les agissements d’Éric, le héros du récit, pas le genre d’homme à subir sans comprendre, et qui ambitionne d’aller explorer toujours plus loin en quête de réponses… Un album stimulant pour les lecteurs que la peur de l’inconnu lointain titille, et dont la curiosité intellectuelle s’accommode sans mal de quelques bouffées d’angoisse existentielle et métaphysique.
En librairie à partir du 25 janvier 2023.