Règles, univers et scénarios constituent un triptyque à la base de la plupart des jeux de rôle permettant de ranger ses derniers dans trois grandes catégories : ceux centrés sur les aspects ludiques, comme D&D et son éternel quête de puissance, ceux centrés l’univers, comme Vampire, et ceux centrés sur les histoires, comme l’Appel de Cthulhu. Ce n’est pas pour rien les campagnes ont toujours occupé une place centrale dans la gamme de ce dernier – certaines étant devenues pour le moins mythiques.
La preuve de nouveau avec ce monstrueux Par Delà les Montagnes Hallucinés ! Car c’est bien à un monstre que nous avons ici à faire; avec ses presque 700 pages, c’est l’un des plus imposants suppléments jamais parus. Sa taille tient au choix de Sans Détour de compiler en un seul tome non seulement la campagne à proprement parler mais aussi de très nombreuses aides de jeux parues séparément en VO.
Il faut louer ici l’intelligence (et le courage aussi, vu le risque que cela représente) de ce choix. Par delà les Montagnes Hallucinées n’est en effet pas tout à fait une campagne, au sens d’un ensemble de scénarios ayant chacun leurs propres intrigues, bien que liés entre eux par un fil directeur, mais plutôt une unique (et très longue) aventure. Sans détour a très bien intégré ce paramètre en évitant de la découper en plusieurs tomes.
Le programme de cette dernière ? Nos aventuriers sont embauchés pour participer à une grande expédition. Direction, l’antarctique, où les organisateurs espèrent bien comprendre ce qu’il est advenu à une précédente expédition effectuée quelques années plus tôt. La campagne emmène ainsi les PJ de la préparation au voyage à New-York, déjà pas de tout repos, jusqu’à leur fuite du continent et les conséquences de leurs découvertes sur place. Le mythe n’occupe donc pas toujours le devant de la scène et n’est véritablement présent que passé les deux tiers. Les dangers du voyage et les expéditions concurrentes constituent cependant autant d’éléments qui occuperont les PJ et tiendront en haleine les joueurs.
Le tout est de plus particulièrement frais, un adjectif pour le moins inattendue (même pour une histoire se déroulant au pôle sud !) pour jeu ayant déjà connu des dizaines de suppléments depuis sa naissance. Car oui, Par delà les Montagnes, en plus de ses qualités intrinsèques évidentes (qualité des développements, PNJ variés et impeccablement écrits, rythme soutenu d’un bout à l’autre…) fait aussi l’exploit d’être plutôt original. Vous n’y trouverez pas d’oncle mort mystérieusement, c’est dire !
Un mot enfin sur sa jouabilité. Il est régulièrement écrit qu’on ne se lance pas dans une telle campagne sans un certain travail de la part du MJ. Dans l’absolu, c’est vrai. Mais rapporté à l’immensité de celle-ci, l’investissement requis à sa préparation est finalement plutôt faible. L’une des principales raisons tient dans le découpage de l’ouvrage. Les scénarios, répartis en 5 livres, n’occupent en effet "que" la moitié du supplément – soit plus de 300 pages tout de même, pour ceux qui n’auraient pas suivis. L’autre moitié est constituée d’aides de jeux variées et complètes : explication détaillée du contexte, longue présentation de l’antarctique et de la logistique (matériel, véhicules, santé…) des expéditions sur ce continent en général et de celle des PJ en particulier, recueil des principaux PNJ… L’unique bémol de ce côté, si vraiment il en fallait un, concerne l’absence de la grande carte de l’antarctique présente dans la VO. Arriver à un tel pinaillage pour trouver des défauts, c’est bien la preuve d’une indéniable réussite.
Il faudra donc certes des joueurs motivés pour aborder ce monstre, eu égard à sa durée. Mais, qualité qui achève d’en faire un chef d’oeuvre, il reste largement jouable, plus que les Masques de Nyarlathotep ou les Rejetons d’Azatoth, tout en étant bien plus intéressant que Terreur sur l’Orient Express. Chef d’oeuvre, qu’on vous dit!